Autrefois, le terme « populiste » apparaissait plus sérieux. Désormais, on retrouve dans ce bric-à-brac idéologique des mouvements xénophobes, des partis qui refusent l’austérité et des formations qui combattent le fonctionnement de l’Union européenne. Que gagne-t-on à jeter dans un même sac d’infamie ce qui relève, par exemple, du patriotisme et ce qui ressort du nationalisme ?
Le populisme n’est certainement pas une idée neuve, mais il est en passe de devenir le mot à la mode tant on en use et on en abuse. Une formule creuse et paresseuse, symptôme de la pensée vide du vide. Cette semaine encore, elle figurait sur tous les prompteurs pour évoquer à la fois les scores fulgurants de l’AFD (l’Alternative pour l’Allemagne) outre-Rhin et les victoires aux dernières primaires américaines de Donald Trump. Dans un cas, il est pourtant question d’un discours fondé sur la défense du commerce, du calme et de l’ordre (Geschäfte, Ruhe und Ordnung) et, dans l’autre, de philippiques destinées à arracher l’Amérique de sa torpeur à coups d’électrochocs. Qu’importe ! Vous voyez poindre un nouvel arrivant au grand banquet démocratique ? Vous manquez de temps pour analyser le contexte historique, l’environnement politique, l’idéal social que porte ce dernier ? Ne vous embarrassez pas, qualifiez-le de «populiste», si possible avec une légère moue de dégoût pour faire comprendre à votre interlocuteur qu’il vient de pénétrer dans l’antichambre du nazisme. Cela ne coûte rien et vous permettra d’avoir votre rond de serviette à C dans l’air.
Autrefois, au royaume de Fort, Fort Lointain, le terme apparaissait plus sérieux. Il était (presque), auréolé de scientificité. «Populiste» sentait son maître de conférences à Sciences-Po. Et puis, avec le temps, nos chers publicistes se sont vite aperçus que le vocable a l’avantage de pouvoir multiplier les combinaisons audacieuses telles que : «national-populisme», «gaucho-populisme», «libéralo-populisme» «populisme syndical»… etc. Jusqu’au moment où l’on finit par se rendre compte – horresco referens – que le populiste, c’est toujours l’autre.
Bric-à-brac idéologique
Comme je l’ai écrit dans la Panique identitaire (Grasset, 2014), on retrouve ainsi dans ce bric-à-brac idéologique des mouvements xénophobes, des partis qui refusent l’austérité et des formations qui combattent le fonctionnement de l’Union européenne. Des politologues, comme Mark Leonard, patron du think tank European Council On Foreign Relations, n’hésitent pas à associer sous le même vocable honni de «populisme» le Parti socialiste des Pays-Bas, le parti conservateur anglais et le Parti communiste français. Mais on peut aller encore plus loin. Spécialiste des sciences du langage, Patrick Charaudeau traque l’usage du mot* avec la passion de l’entomologiste recherchant une nouvelle espèce d’araignée paon dans le sud du Queensland. Et il a raison de souligner que le discours chiraquien sur la «fracture sociale» de 1995 et que le discours sarkoziste de 2007 contre la «coupure entre le peuple et les élites» étaient de nature populiste.
En fait, cette notion a un double usage. Elle permet de stigmatiser le camp adverse. Pour la gauche, elle caractérise la droite jouant sur la corde émotionnelle, pour la droite, elle qualifie la gauche tirant sur le registre démagogique. Mais elle sert surtout aux gouvernants, aux établis, à disqualifier un mouvement qui s’oppose à leur politique ou à leur mode de gouvernance.
Sans remonter aux mouvements agrariens puis ouvriers aux Etats-Unis ou au mouvement socialiste russe au XIXe siècle, le populisme avait commencé par désigner le soutien aux classes populaires. En France, ce fut une école littéraire. Le romancier Eugène Dabit, auteur du fameux Hôtel du Nord, reçut en 1931 le Prix du roman populiste. Moralité : tordre ce mot et le présenter sous une acception péjorative suggère souvent une méfiance, voire un souverain mépris à l’égard de tout ce qui concerne le peuple.
Démocratie et populisme marchent ensemble
Que gagne-t-on à jeter dans un même sac d’infamie ce qui relève, par exemple, du patriotisme et ce qui ressort du nationalisme ? Ce dernier ne vit pas la patrie comme une fenêtre vers l’universalité, mais comme un rempart permettant la purification d’une identité fantasmée. Le but ultime de ce citoyen est de trouver le fameux et fumeux «ennemi de l’intérieur». Le patriote pense comme Henri IV quand il se dresse contre l’Espagne bigote, qui veut jeter son manteau de bure sur l’ensemble de l’Europe. Le nationaliste se comporte à la façon de la ligue des Guise, qui apposait une croix blanche sur les portes des maisons pour signaler les protestants à égorger dans leur lit. Cette confusion des esprits est du petit bois pour la grande chaudière de l’identitaire.
De même, que gagne-t-on à entretenir en permanence la confusion entre ce qui relève de la fonction plébéienne (Syriza en Grèce, Front de gauche en France, Podemos et Gauche plurielle en Espagne…) et ce qui s’apparente à la pulsion extrémiste ? Rien. Si ce n’est le fait de masquer que démocratie et populisme marchent ensemble. La première est le cadre en dehors duquel il n’y a pas de vie politique digne de ce nom et le second est la protection naturelle des citoyens. Le contre-pouvoir qui se met naturellement en place face à la «dure loi de la raison majoritaire»*. Et voilà pourquoi, depuis plusieurs siècles, se poursuit le dialogue entre Socrate et Alcibiade.
* Réflexions pour l’analyse du discours populiste, revue Mots, no 97.
>>> Retrouvez cet édito dans le numéro de Marianne en kiosques.
Il est également disponible au format numérique en vous abonnant ou au numéro via et
Powered by WPeMatico
This Post Has 0 Comments