La capitale turque a été victime de deux attentats particulièrement meurtriers en moins d’un mois. Deux attaques revendiquées par les Faucons de la liberté du Kurdistan, un groupe dissident du PKK. Le gouvernement affirme lui que le PKK est à la manœuvre. Pourtant, la thèse des deux organisations concurrentes paraît plus crédible.
En un mois, la capitale turque a subi coup sur coup deux attentats extrêmement meurtriers. Le 17 février, une explosion en plein coeur d’Ankara, près de la place centrale où sont situés plusieurs ministères, le Parlement et l’état-major, provoque la mort de 29 personnes et en blesse 80. Un attentat à la voiture piégée qui visait des autobus transportant militaires et fonctionnaires. Un mois plus tard, le 13 mars à 18h45, dans le quartier très fréquenté de Kizilay, une violente déflagration coûte la vie cette fois à 37 personnes. Plus de 120 blessés se retrouvent hospitalisés. Deux attentats particulièrement sanglants, tous deux revendiqués par un même groupe : les Faucons de la liberté du Kurdistan (TAK).
L’Etat turc affirme pourtant que le PKK (le Parti des travailleurs du Kurdistan) et les YPG (les Unités de protection du peuple, branche armée du Parti de l’union démocratique syrien PYD), sont impliqués dans ces deux attaques. Ce que les deux organisations nient catégoriquement. « En dépit de toutes ses provocations et attaques à la frontière du Rojava, nous avons agi avec une responsabilité historique et n’avons jamais exercé de représailles contre la Turquie (…) Nous tenons à réitérer notre message aux peuples de Turquie et du monde : nous n’avons aucun lien avec cet incident. Cela ne concerne pas ce seul cas, vu que nous n’avons jamais été impliquées dans une attaque contre la Turquie », fait savoir le Commandement général des YPG.
Dans un communiqué publié sur son site internet le 17 mars, les Faucons de la liberté du Kurdista écrivent : « Le 13 mars au soir, une attaque-suicide a été menée à 18h45 dans les rues de la capitale de la république turque fasciste. Nous revendiquons cette attaque ». Expliquant que la bombe a explosé avant l’arrivée de « l’objectif militaire » à cause de l’intervention policière, causant des pertes civiles, le groupe armé en attribue la faute au gouvernement « fasciste » de Recep Erdogan. Le TAK justifie ces deux attentats comme une réponse à l’intervention de l’armée turque à Cizre, une localité a majorité kurde dans le sud-est de la Turquie. Selahattin Demirtas, le chef de file du Parti de la démocratie des peuples (HDP), avait dénoncé à l’époque le « massacre » perpétré par les autorités turques dont la mort de 60 civiles kurdes, réfugiés dans les caves de deux immeubles qui auraient été brûlés vifs. « Les autorités ont ensuite dispersé les corps des victimes dans les rues et les maisons dévastées (par les combats) comme si les cadavres étaient déjà là », décrivait le responsable politique. Ahmet Davutoglu, le premier ministre turc, lui, niait toute forme d’exactions : « L’État turc lutte seulement contre les terroristes ».
C’est donc sur fond de guerre civile que ce groupe armé a repris du service. En 2004, les Faucons de la liberté se constituent en faisant scission avec le PKK, jugé trop modéré, comme le rappelle leur profession de foi consultable sur leur site Internet. Le 16 juillet 2005, cinq personnes sont tuées dans la station balnéaire de Kusadasi par une bombe. Les premiers soupçons se portent sur le PKK qui dément formellement toute responsabilité. Quelques jours plus tard, le TAK revendique finalement l’action, inaugurant son entrée dans une sanglante lutte armée. Les Faucons de la liberté affirment ainsi leur différence. Car les deux organisations, à l’image de l’attentat de Kusadasi, diffèrent sur leur mode opératoire. Comme ils l’écrivent dans leur communiqué du 19 février, les Faucons de la liberté veulent, en plus des forces armées turques, « détruire » le secteur touristique. Alors que le PKK s’attaque principalement aux militaires et aux policiers, le TAK, lui, vise aussi des civils. Une menace que l’on retrouve déjà dans leur profession de foi : « Nous mettons en garde les touristes étrangers et turcs de ne pas aller dans les zones touristiques en Turquie. Nous ne sommes pas responsables de ceux qui vont mourir dans les actions qui se produiront sur ces sites. La Turquie n’est pas un pays sûr et ne le sera jamais. Parce que nous sommes un peuple qui risque la destruction et que nous sommes dans une guerre », préviennent-ils. Les attentats de cette organisation particulièrement secrète se succèdent jusqu’en 2010. Puis, plus rien pendant cinq ans. Mais, le 23 décembre 2015, ils revendiquent une attaque au mortier contre l’aéroport Sabiha Gökçen d’Istanbul, préfigurant leur retour.
Deux organisations parallèles donc, mais issues de la même idéologie développée par Abdullah Öcalan. Les Faucons de la liberté du Kurdistan, sur leur site Internet, reconnaissent d’ailleurs le fondateur du PKK comme leur chef. « Il se pourrait que les TAK soient à la base une création du PKK et qu’ils s’en soient séparés progressivement, jugeant sa position trop molle », avance Olivier Grosjean, maître de conférence en science politique à l’université Paris-1 Panthéon-Sorbonne, interrogé par Le Monde. Le journaliste Mahmut Bozarslan, qui travaille pour plusieurs médias comme l’AFP, rapporte dans Al-Monitor les confidences d’anciens membres du PPK qui accréditent cette thèse. Après l’arrestation du fondateur du PKK, Abdullah Ocalan, son organisation reçoit un afflux considérable de nouvelles recrues venant des villes. Très implantés dans les campagnes, l’organisation armée y voit une aubaine et va entraîner militairement ces jeunes urbains pour les renvoyer dans leurs foyers, comme agents dormants. Coupés de tous liens avec les états-majors du PKK, une partie de ces recrues auraient pris peu à peu leur indépendance jusqu’à s’émanciper totalement. Huseyin Turhalli, lui aussi un ancien du mouvement cité par le journaliste, considère ainsi que « le TAK n’est pas une aile du PKK. Il est une structure qui a adopté l’idéologie et la philosophie du PKK, mais diverge de celle-ci dans les actions. En d’autres termes, si le PKK accepte de cesser les hostilités, le TAK suivra cette ligne. Mais je ne pense pas que le TAK soit une organisation qui est commandée par le PKK ».
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