Accord Europe-Turquie sur les migrants : le "sale marchandage" du président Erdogan

Alors que doivent se réunir à partir d’aujourd’hui les vingt-huit membres de l’Union européenne à Bruxelles, avec la Turquie, afin de finaliser l’accord censé résoudre la crise migratoire, le journaliste turc Can Dündar, récemment emprisonné par le pouvoir turc, déplore dans une tribune publiée dans le Monde, que l’Europe, fragilisée, cède au « chantage » de la Turquie où les droits de l’homme ne cessent de reculer.

Le recul des droits de l’Homme en Turquie, Can Dündar en a été l’une des victimes les plus emblématiques. Pour avoir publié des informations, en mai 2015, sur une livraison d’armes opérée par les services de renseignement turcs en Syrie, ce journaliste de 54 ans, directeur en chef du quotidien laïc Cumhuriyet, a été arrêté en novembre dernier et jeté en prison, après une plainte déposée par le propre président turc, Recep Erdogan, auprès du Parquet d’Ankara.

Inculpé pour « espionnage » et « divulgation de secret d’Etat », il a passé plus de trois longs mois derrière les barreaux, en détention provisoire, avant que la Cour constitutionnelle ne le remette en liberté au début du mois de mars. S’il prend aujourd’hui la plume, dans l’attente de son jugement – il risque la prison à vie – c’est pour dénoncer le « marchandage » voire le « chantage » exercé par le président turc Erdogan envers une Europe fragilisée par la crise des migrants, dans une tribune publiée ce jeudi 17 mars par le Monde. Les vingt-huit membres de l’Union Européenne doivent en effet se réunir à Bruxelles, avec la Turquie, à partir d’aujourd’hui, afin de finaliser l’accord censé résoudre la crise migratoire.

Ainsi l’Europe, emmenée par la chancelière Angela Merkel, et la Turquie, s’apprêtent-elles à mettre en place un système de « réadmission » sur le sol turc des futurs réfugiés syriens débarqués en Grèce. Pour chaque Syrien renvoyé en Turquie, un Syrien en provenance de Turquie serait réinstallé en Europe. A ce « un pour un » d’ores et déjà très critiqué, en raison notamment du fait que l’Allemagne a écarté des négociations ses partenaires, l’Europe débloquerait non plus une enveloppe de trois milliards d’euros mais six milliards d’euros d’aide, et libéraliserait la procédure d’obtention de visa pour les ressortissants turcs.

« Le marchandage des réfugiés » est « un marchandage bien sale », d’autant que les Européens sont tombés dans le piège du président Erdogan, écrit Can Dündar. « Si vous ne faites pas ce que je veux, j’ouvre les frontières et vous verrez ce que vous verrez. »

L’Europe aurait donc commencé à faire, selon le journaliste, ce que monsieur Erdogan souhaitait. En témoigne, selon lui le report (à deux reprises) par l’Europe de la publication du rapport sur le recul des droits de l’Homme et des libertés fondamentales en Turquie.

Un « cadeau » , explique Can Dündar, qui n’aurait pas suffit au président turc, d’après la publication du compte-rendu par le site grec Euro2day.gr d’un dialogue entre Jean-Claude Juncker, le président de la Commission européenne, et Erdogan. « C’est à votre demande que nous avons reporté la publication de ce rapport. Je me sens berné« , aurait regretté Jean-Claude Juncker.

Angela Merkel, quant à elle, préfère souligner « la percée » dans les négocations sur la crise des migrants plutôt que le recul des droits de l’Homme en Turquie. Une hypocrisie que Can Dündar résume de la sorte : « pendant que Davutoglu » (le Premier ministre turc ndlr), déclarait lors d’une conférence de presse, début février, au cours de la visite officielle de la chancelière allemande en Turquie, qu’ « aucun journaliste » dans le pays n’était « en prison à cause de ses activités de journaliste, j’étais devant la télévision… de la prison. »

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