Maitre Sylvie Topaloff est venue plaider ce 16 mars pour deux associations – Ecologie sans frontière et L214 – afin que la fameuse ferme des 1000 vaches soit soumise à l’inspection d’un expert indépendant. Son époux, Alain Finkielkraut, lui aussi très engagé, était présent dans la salle.
La salle du tribunal bourdonne du brouhaha sourd d’avant ouverture de séance. Un avocat en robe s’approche de Maître Sylvie Topaloff : « – chère consœur, c’est pour vous qu’il y a le philosophe ? » Du menton, il désigne Alain Finkielkraut, qui attend – presque sans s’impatienter – sur un banc de la salle pleine à craquer. « – Non, c’est pour les vaches », s’interpose une militante écolo, cheveux poivre et sel noués en queue de cheval. Ce matin du jeudi 16 mars, le Tribunal de grande instance d’Amiens ne bruisse que de la présence de l’intellectuel dans les murs du Palais de justice. « C’est pour une affaire de vaches », chuchote-t-on…
Soyons précis : une affaire de mille vaches. Car en cette matinée frigorifique, Me Sylvie Topaloff est venue plaider en référé pour le compte de deux associations – Ecologie sans frontière et L214 – afin que la fameuse « ferme des 1000 vaches », sise à Drucat, dans la Somme, soit soumise à « l’inspection d’un expert indépendant ». Une requête qu’Alain Finkielkraut, époux de Sylvie Topaloff à la ville, et défenseur ardent de la cause bovine – au point, même, d’avoir fait graver la tête d’un spécimen normand sur sa toute nouvelle épée d’académicien – est venu soutenir. Effet bœuf garanti…
Alors, de quoi s’agit-il ? Voilà dix-huit mois que la ferme « des 1000 vaches » – un hangar de 230 mètres de long, soit la longueur de trois terrains de football – a effectué sa première traite, sous l’œil inquiet de l’opinion publique (68% des Français sont opposés aux projets de fermes-usines, selon un sondage Ifop). Initialement conçue pour 1000 bêtes, l’exploitation avait vu, quelques mois avant l’ouverture de ses portes, sa capacité autorisée ramenée à 500 bovins par la préfecture. Mais les débats autour de son modèle productiviste et intensif n’ont jamais cessé pour autant. Il furent même sacrément relancés quand, en juin dernier, un ancien salarié a dénoncé, via une interview anonyme donnée à Reporterre.net, les mauvais traitements dont les bovidés faisaient selon lui l’objet. Dépassement important du nombre de bovins annoncé, nourriture animale parfois avariée « avec des boulettes de pourri », mortalité de cinq veaux par semaine, 300 boiteries, excréments jonchant le sol… La description qu’il fit de la « ferme » alarma tant la préfecture que cette dernière ordonna une inspection. Laquelle établit, en effet, qu’il y avait non pas 500 mais 795 vaches dans l’exploitation (plus leurs descendances). En revanche : pas (ou plus ?) de trace des « mauvais traitements » décrits.
Depuis, de nombreuses voix et associations (dont les deux requérantes) considèrent que le suivi administratif prévu par la loi ne permet pas de se « rassurer » quant aux conditions dans lesquelles sont élevées ces vaches « ouvrières», pour reprendre le terme de Jocelyne Porcher, directrice de recherches à l’INRA. Mettant en doute la compétence et/ou l’indépendance des contrôles vétérinaires effectués depuis par l’administration, Ecologie sans frontière et L214 demandaient, ce matin, au TGI d’Amiens, la désignation d’un expert indépendant. « Les rapports d’inspection n’épuisent pas le contrôle que ce nouveau type d’exploitation expérimentale requiert », a plaidé Me Topaloff, regrettant au passage que les gérants aient annulé la visite du « comité de suivi » pourtant institué après le scandale de juin 2015. « Nous demandons notamment que des prélèvements soient effectués sur les animaux, nous précise Brigitte Gothière de L214. Cela permet de trouver trace de conditions de vie qui peuvent être masquées lors des inspections ».
« Si le rapport d’expertise prouve que l’on s’est trompé ; que, finalement, le béton que foulent ces vaches toute leur vie, sans jamais avoir accès au moindre bout de pâturage, est un plancher acceptable ; s’il s’avère que le fait qu’elles ne voient le ciel que le jour où elles partent à l’abattoir, ou qu’elles soient soumises à un nombre de traites supérieur à la normale, leur offre des conditions de vie acceptables au regard de ce que prévoit la loi, alors nous devrons vous rembourser l’expertise ! », a conclu Me Topaloff.
Une plaidoirie qui n’a guère ému la partie adverse, laquelle se dit harcelée par un combat idéologique qui n’a rien à faire dans un tribunal. « Nous ne sommes pas ici pour faire de l’émotion. Nous ne sommes pas ici pour faire de la philosophie – même s’il y a un philosophe éminent dans la salle –, nous sommes là pour faire du droit », a déclaré Me Bodart dans ses propos liminaires, avant de développer le principal argument de la défense : « Il existe un cadre de contrôle juridique, et le préfet s’y est conformé. Le reste, c’est pour les colonnes du Monde, ou pour les colonnes du Débat ».
L’enjeu de ce référé est bien de savoir si ce type d’exploitation inédite (et amenée à se multiplier) nécessite une transparence et une attention que le contrôle vétérinaire « classique » ne permet pas d’assurer, notamment au regard des nouvelles législations concernant les bêtes – une loi votée en février 2015 stipule que les animaux sont des « êtres vivants doués de sensibilité », qui doivent être protégés contre les « mauvais traitements ». Délibéré le 30 mars.
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