La réforme des médias publics et de la cour constitutionnelle en Pologne par le pouvoir ultra-conservateur préoccupe Marco Perolini, chercheur à Amnesty International, qui salue néanmoins l’action de l’Union européenne pour faire respecter l’Etat de droit.
Une cour constitutionnelle bâillonnée, des médias publics aux ordres… Le respect de l’Etat de droit et des droits humains est toujours plus précaire en Pologne, depuis le retour des conservateurs au Parlement en octobre 2015. Une situation qu’analyse pour Marianne Marco Perolini, chercheur pour l’ONG Amnesty International.
Marianne : Quel regard portez-vous sur l’offensive du pouvoir polonais sur les médias ?
Marco Perolini* : Cette loi, signée par le président Duda en janvier, remet clairement en question l’indépendance des médias audiovisuels publics. : avant son introduction, les membres du comité de gestion et de supervision de l’audiovisuel public répondaient à un organisme indépendant. Aujourd’hui, ils répondent directement au gouvernement polonais, et plus précisément à un ministère spécifique. Au-delà de la censure prévisible de l’audiovisuel public, cette loi risque aussi d’amener les journalistes en général à s’autocensurer.
Quels sont les principaux autres motifs d’inquiétude pour Amnesty International ?
Une inquiétude générale se dégage des différentes lois récemment adoptées, notamment celles sur la surveillance et sur la cour constitutionnelle. En s’attaquant au pouvoir judiciaire du Tribunal constitutionnel, le gouvernement polonais remet en cause la séparation des pouvoirs ainsi que le respect des droits humains. La Commission de Venise du Conseil de l’Europe a d’ailleurs publié samedi 12 mars un rapport très critique sur ce sujet, que partage totalement Amnesty International.
Doit-on s’inquiéter du respect des libertés publiques en général du peuple polonais ?
Après les élections législatives d’octobre, on a assisté à des développements inquiétants auxquels Amnesty International ne s’attendait pas. Avant le scrutin, nous avions demandé aux candidats de s’engager sur un texte défendant les droits humains. Le document revenait notamment sur les lacunes de la législation polonaise, sur la lutte contre les discriminations et sur la condamnation des crimes de haine. Il est clair que le pouvoir polonais est aujourd’hui loin de ces préoccupations…
Comment un gouvernement peut-il ainsi librement renier des droits fondamentaux sans que l’Union européenne intervienne ?
L’Union européenne s’implique : en application des traités communautaires, la Commission a pour la première fois engagé une procédure exceptionnelle pour faire respecter l’Etat de droit. Au terme de ce mécanisme, les votes de la Pologne lors des conseils européens pourraient être suspendus. Une autre procédure, informelle, est également utilisée par Bruxelles : la Commission discute en effet de la réforme du Tribunal constitutionnel et de celle des médias publics. Nous sommes encore dans la phase d’évaluation, qui a débuté en janvier. Bruxelles devrait par la suite adresser des recommandations très précises au pouvoir polonais.
L’Union européenne a-t-elle commis une erreur en sous-estimant la survenue de la crise polonaise ?
Il est difficile de dire que l’Union européenne a sous-estimé la crise, puisque tout s’est produit assez vite depuis les élections. Le parlement polonais s’est réuni pour la première fois début novembre, et le 22 décembre a été votée la loi qui réforme la procédure constitutionnelle. L’Union européenne a entamé cette procédure informelle presque immédiatement, les premières communications officielles ayant été adressées dès le mois de janvier. Le recours à ce dispositif reste donc plutôt positif.
Un chercheur indiquait à Marianne craindre « un scénario à l’ukrainienne ». Partagez-vous cette projection ?
Avant les élections d’octobre dernier, la Pologne était déjà marquée par une forte polarisation. Une partie de la population est sympathisante du parti au pouvoir, le PiS, qui a gagné les élections de manière démocratique. Or avant même les élections, le PiS avait par exemple proposé des restrictions sur le droit à l’avortement, déjà très limité en Pologne. De l’autre côté, la société civile polonaise reste forte, organisée, et se montre encore aujourd’hui critique et vigilante sur les développements actuels. Cette Pologne progressiste exprime une profonde frustration vis-à-vis des récentes réformes. De là à anticiper un « scénario à l’ukrainienne », à ce stade c’est un peu extrême…
*Marco Perolini est chercheur à Amnesty International. Basé au siège à Londres, il travaille sur les discriminations envers les minorités en Europe.
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