Quand les islamistes infiltrent les universités

Désolant et inquiétant : sur les campus britanniques, les syndicats étudiants traquent la liberté d’expression et bloquent le débat intellectuel.

Scène de la vie ordinaire dans une université britannique. Cela se passe à la London South Bank University lors des journées portes ouvertes. Chaque association, installée derrière son stand, promeut joyeusement ses activités auprès des nouveaux arrivants. Celui de l’Association des étudiants athées a affiché un dessin détourné de la Création d’Adam, de Michel-Ange, en remplaçant la figure de Dieu par celle d’un monstre en spaghettis volant. Il s’agit, vous l’aurez compris, de façon à la fois potache et gentille de se moquer de l’idée d’un dieu créateur de l’Univers. Problème : le dessin a choqué un étudiant qui s’est immédiatement plaint à l’université. Un représentant du syndicat étudiant a retiré l’affiche dans l’heure et demandé à l’association de plier bagages au motif que ce dessin offensait la sensibilité des étudiants religieux.

Non loin, à la prestigieuse London School Of Economics, ce sont les gardiens chargés de la sécurité du campus qui ont demandé à des étudiants membres de l’Association athée, laïque et humaniste de couvrir leurs tee-shirts, considérés comme des armes de « harcèlement » créant un « environnement offensant ». Sur leurs tee-shirts, le dessin d’un jeune Jésus et d’un jeune Mo (Mahomet) prenant une pinte de bière ensemble. Dans les deux cas, après des révélations dans la presse et d’âpres discussions entre les intéressés, la direction des deux universités a fini par se désolidariser des syndicats et du personnel universitaire et par annuler leur décision de censure.

Les laïques ou encore des féministes émérites sont mis à l’indexCependant, il n’y a pas que les dessins satiriques ou œcuméniques qui fâchent cette nouvelle génération d’étudiants religieux, il y a aussi les personnes. L’ironie est que, aujourd’hui, les personnes sulfureuses ne se nomment plus tant Marine Le Pen, qui a pu ainsi s’exprimer devant les étudiants Oxford en février dernier, non, ce sont désormais les laïques, les militants pour la réforme de l’islam ou encore des féministes émérites, qui sont mis à l’index. Les voici non seulement chahutés violemment mais également interdits de tribune. Maryam Namazie, iranienne, féministe et militante de la laïcité, a été invitée à participer à un colloque à l’université de Warwick par une association étudiante en septembre dernier. Elle est connue pour son combat pour l’abrogation de la charia et des lois religieuses pratiquées ici et là au niveau local en Grande-Bretagne. Son mouvement se nomme One Law For All. Ayant appris la nouvelle de sa venue, le syndicat étudiant décide d’annuler l’événement et de l’interdire de campus au prétexte qu’il faut respecter « le droit des étudiants musulmans à ne pas se sentir intimidés ou discriminé » par les propos « incendiaires » de cette militante des droits de l’homme.

« Méfiez-vous du stalinisme qui dort dans les campus ». C’est le titre d’un éditorial signé David Aaronovitch, journaliste au Times, président d’Index On Censorship (organisation internationale de veille pour la liberté d’expression dans le monde) et ancien président du Syndicat national des étudiants britanniques. Invité à débattre à l’émission politique de la BBC, « Newsnight », avec le jeune président des étudiants de l’université de Leeds, en novembre dernier, il eut du mal à cacher son effroi et sa consternation : « Nous débattions de la liberté d’expression sur les campus et, dans un étonnant retournement générationnel, le vieil homme de 60 ans, c’est-à-dire moi, était pour, et le jeune de 20 ans était contre. » Au cours de l’émission, l’étudiant, Toke Dahler, expliqua les procédures désormais en vigueur dans les universités britanniques : « Quand les associations veulent inviter des intervenants, ils nous demandent si ces personnes risquent d’offenser qui que ce soit sur le campus. Nous menons l’enquête et prenons notre décision sur ce critère. »

Arguments personnels

Du temps où David Aaronovitch était président du Syndicat national étudiant, au début des années 70, « [ils n’interdisaient] que la venue des fascistes, c’est-à-dire de ceux qui appelaient au massacre ou à la déportation des minorités. Il y avait toujours des gauchistes qui voulaient aussi interdire les sionistes et les sociologues américains, mais ils n’y arrivaient pas. » Et d’ajouter : « Nous aurions évidemment dû laisser parler les fascistes. » A l’époque, l’argument était politique ; aujourd’hui, il est personnel. Si quelqu’un vous met mal à l’aise, non seulement vous avez le droit de demander son interdiction des podiums du campus, mais l’université vous donne raison. Autrement dit, un mouvement est en marche, celui d’aseptiser la vie des universités et de nettoyer les campus de toutes idées, mots ou sujets qui pourraient mettre mal à l’aise. Cette sensibilité à fleur de peau, et poussée à l’extrême, crée parmi les étudiants et leurs professeurs une culture d’autocensure. Pis, elle fait de la subjectivité (« Je me sens offensée par cette idée ») l’étalon-or du discours intellectuel, tuant ainsi toute recherche de l’objectif.

 « Bientôt, ces staliniens au teint diaphane seront au pouvoir »Cette nouvelle réalité aux allures totalitaires ne sert pas uniquement les intérêts obscurs des islamistes et religieux intolérants de tout bord, mais également toutes les minorités aux revendications séparatistes. Récemment, la féministe australienne Germaine Greer, auteur, en 1970, du best-seller la Femme eunuque, était interdite de conférence à la demande de l’association Transgenre de Cardiff. En cause, son franc-parler et ses opinions. Sur les transgenres, Greer a toujours estimé qu’une femme n’est pas seulement « un homme sans pénis », c’est aussi une expérience de vie. « La personne qui n’a jamais eu de règles depuis l’âge de 13 ans ne peut savoir ce qu’est réellement être une femme. » Une opération chirurgicale n’équivaut pas à une expérience de vie, estime-t-elle. « Ce n’est que mon opinion et cela ne constitue pas une insulte », ajoute-t-elle. C’est Rachael Melhuish, membre du Syndicat des étudiantes de Cardiff qui, a lancé l’attaque par une pétition sur change.org. Elle a appelé à refuser l’accès de l’université à la féministe australienne « en raison de ses opinions misogynes vis-à-vis des transgenres, notamment son refus de les reconnaître femmes et d’ignorer l’existence de la transphobie ». Autrement dit, on lui reproche de penser ce qu’elle pense. Et David Aaronovitch de conclure : « Il semblerait que la jeune génération d’étudiants préfère contrôler la liberté d’expression plutôt que la faciliter. Or, bientôt, ces staliniens au teint diaphane seront au pouvoir. »

Bravant les menaces, et sous escorte policière, Germaine Greer, 76 ans, a fini par donner sa conférence, en novembre 2015, à l’université de Warwick avec pour thème : « Les femmes et le pouvoir : les leçons du XXe siècle ». Cependant, le ver est dans le fruit. Comme a pu le constater à son tour l’un des éditorialistes de l’Observer, Nick Cohen, auteur d’un livre sur la censure et l’autocensure (You Can’t Read This Book), lui aussi invité à débattre de la liberté d’expression avec les étudiants du King’s College à Londres : « J’ai eu affaire dans ma vie à beaucoup de gens méprisant la liberté d’expression, des pires racistes aux partisans de Vladimir Poutine, mais rien ne me préparait au mépris de ces jeunes gens pour ce que, finalement, ils ne connaissent pas. »

Mentalité consumériste

Quand Nick Cohen dit aux étudiants de la prestigieuse université que, si le campus devait demeurer un espace où ils pouvaient vivre en sécurité, cependant il ne devait en aucun cas devenir un espace où les idées et le débat pouvaient être contrôlés, car c’était la négation même de l’éducation supérieure, une étudiante l’a accusé de promouvoir «la maltraitance et l’exploitation des étudiants». Nick Cohen ne s’est pas démonté pour autant et a répliqué : «Votre hypocrisie sera votre ruine.»

Un symposium intitulé « Comprendre Charlie Hebdo » était interditLe coût très élevé des frais de scolarité (15 000 € l’année, en moyenne) semble avoir transformé, une fois pour toutes, les étudiants en clients et en consommateurs. S’ils désapprouvent un intervenant, leur droit de consommateur est de refuser le produit présenté. Pourquoi défendraient-ils des principes et des valeurs qui ne servent pas forcément leurs intérêts particuliers de clients ? Au même moment où la voix de Nick Cohen résonnait, courageuse et incomprise, dans un hall londonien, à Belfast, à la Queen’s University, un symposium intitulé « Comprendre Charlie Hebdo : nouvelles perspectives sur la citoyenneté après Charlie » était interdit. Et Cohen de conclure : « La liberté de pensée et le débat ouvert, jusqu’ici deux raisons de l’existence même de l’université, sont désormais considérés comme des menaces qu’il faut absolument neutraliser. Aujourd’hui, il n’est pas seulement difficile, mais presque impossible, de caricaturer l’islam tellement nous sommes tétanisés par la peur de la violence, il est également difficile, voire impossible en Grande-Bretagne de débattre et discuter de la nature de cette violence. »

En laissant aux syndicats étudiants le rôle de censeurs, les autorités universitaires britanniques, péchant par défaitisme autant que par irresponsabilité, renoncent en fait à leur obligation légale (et clairement énoncée dans The Education Act de 1986) de garantir la liberté d’expression dans les campus du pays. Nick Cohen de commenter avec ironie : « La libre expression peut faire des dégâts à l’estime de ceux qui se sentent vexés, mais elle est bien plus saine pour la santé mentale et physique des étudiants que l’alcool, les passions amoureuses et les concours. Or on n’a pas jusqu’ici essayé de bannir l’amour et les examens des campus sous prétexte qu’ils seraient traumatisants. »

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