Le Tribunal constitutionnel polonais a rejeté mercredi 9 mars une loi qui vise à le paralyser. Une décision que le gouvernement polonais récuse, ce qui préoccupe une nouvelle fois une opposition citoyenne inquiète des atteintes répétées aux libertés publiques.
Le ciel s’assombrit encore en Pologne. Depuis que le parti nationaliste et traditionaliste Droit et Justice (PiS) a pris le contrôle de la Diète (la chambre basse) en octobre dernier, les manifestations à l’encontre des réformes votées par la majorité parlementaire se multiplient. Des dizaines de Polonais se sont encore réunis mercredi soir devant le Tribunal constitutionnel pour lui apporter leur soutien, alors que son président annonçait le rejet d’une loi visant à en modifier le fonctionnement par des dispositions « non conformes à la Constitution ».
Mais le refus de la cour constitutionnelle de valider la conformité du texte à la loi fondamentale polonaise n’émeut pas plus que cela le pouvoir conservateur. Au mépris même de la loi, la Première ministre Beata Szydlo avait déjà annoncé mardi que la décision du Tribunal « ne sera pas une décision, dans le sens légal du terme », assurant qu’elle ne peut « violer la Constitution » « en publiant ce document » au Journal officiel. Et de justifier ce choix par l’absence de plusieurs juges lors de l’examen de la loi, des magistrats précisément nommés… par le président Andrezj Duda (PiS). Une attitude que dénonce sans réserve Jean-Yves Potel, écrivain et universitaire spécialiste de la Pologne, qui assure à Marianne que le PiS « joue avec le feu en instaurant une double légalité : constitutionnelle et gouvernementale ». Ce que l’ancien président de la cour constitutionnelle Marek Safjan estime « dramatique » : « On est en train d’entrer dans l’anarchie ».
La loi en question, promulguée le 28 décembre par le président conservateur Andrzej Duda, complexifie le fonctionnement de la cour constitutionnelle, en entravant substantiellement son activité. Des délais de trois à six mois entre le dépôt d’une requête auprès du Tribunal et son verdict sont ainsi prévus par le texte. Mais le point épineux de la réforme concerne les modalités de vote de la Cour suprême. La loi impose des restrictions qui ont pour seul objet de prendre en compte les voix des cinq magistrats récemment nommés par le présidentj Duda. Une décision qui fait suite au refus présidentiel d’assermenter un mois plus tôt trois juges élus par la majorité de centre-droit sortante. Pour parachever le tout, le texte prévoit la possibilité de sanctions à l’égard des juges constitutionnels, voire leur révocation par le pouvoir politique.
De son côté, Andrzej Duda assure que « ce changement contribue à renforcer la position et la situation du Tribunal correctionnel ». Le président polonais est rejoint en ce sens par le chef du PiS Jaroslaw Kaczynski, qui affirme que cette réforme permet de « mettre de l’ordre » dans le fonctionnement du Tribunal et ainsi, d’éliminer un obstacle dans la mise en œuvre des promesses électorales… Au détriment de la séparation des pouvoirs, donc.
« L’acte final de la liquidation du Tribunal constitutionnel »Des pratiques autoritaires que la présidente de la Cour de cassation Malgorzata Gersdorf considère comme des manœuvres visant « à entraver, voire empêcher » le fonctionnement de la juridiction suprême. « Nous avons affaire à l’acte final de la liquidation de facto du Tribunal constitutionnel car, dès son entrée en vigueur, la loi paralysera ce tribunal totalement », renchérit Jerzy Stepien. L’ancien président du Tribunal constitutionnel rejoint ainsi la large opposition à la réforme, qui rassemble du parti libéral d’opposition jusqu’à l’association citoyenne du Comité de défense de la démocratie (KOD), laquelle compte à ce jour près de 180.000 membres sur Facebook.
La mobilisation contre la réforme du Tribunal constitutionnel dépasse les seules frontières nationales, l’Union européenne et le Conseil de l’Europe s’inquiétant des atteintes portées à l’encontre de l’Etat de droit en Pologne. Dans une lettre adressée le 30 décembre aux responsables polonais, le vice-président de la Commission européenne Frans Timmermans a demandé « que cette loi ne soit pas finalement adoptée, ou au moins qu’elle n’entre pas en vigueur » avant que son impact sur l’indépendance de la Cour suprême ne soit évalué. Une requête qui est manifestement restée lettre morte. « L’UE n’a pas vraiment de moyens de pression », analyse Maciej Gdula, sociologue de l’université de Varsovie. Il estime que la seule solution européenne viable « serait d’exclure la Pologne du Conseil européen », une décision qui requiert une unanimité des pays membres. Or, la Hongrie de Viktor Orban, modèle affiché de cette nouvelle Pologne nationaliste, « a déjà fait savoir qu’elle y opposerait son veto ». Plus largement, « les pays européens ne peuvent pas faire grand chose : la Commission a beaucoup de difficultés à faire autre chose que des condamnations verbales », renchérit Jean-Yves Potel.
« La démocratie et les droits de l’Homme sont en danger »Le Conseil de l’Europe se montre bien plus impliqué que Bruxelles sur le sujet, investissant la Commission de Venise de la mission d’analyser le conflit et de livrer un avis. Un avant-projet du rapport, qui sera rendu public le 12 mars, a fuité samedi 5 mars dans la presse polonaise. Et il est peu de dire que les conclusions du document sont accablantes : « Tant que le Tribunal constitutionnel ne peut poursuivre son travail de manière efficace, non seulement l’Etat de droit mais la démocratie et les droits de l’Homme sont en danger », considèrent ainsi les experts européens, qui appellent au retrait par le Parlement « des résolutions adoptées en contradiction avec les décisions du Tribunal ». Un avis tranché mais non contraignant, que balaie d’un revers de main le chef du gouvernement Beata Szydlo. La présidente du Conseil considère que « le fait que ce projet ait fait l’objet de fuites dans les médias démontre que des personnes souhaitent alimenter les mauvaises opinions »…
La loi réformant le Tribunal constitutionnel n’est pas la première manifestation d’une résurgence autoritaire en Pologne. Au pouvoir depuis cinq mois, les conservateurs du PiS ont déjà entamé une large réforme du parquet général, de l’administration et des médias publics. Ainsi les Polonais ont appris le 23 janvier que le ministre de l’Environnement a ordonné le retrait d’un spot télévisé, commandé par son prédécesseur libéral, faisant la promotion du tri des ordures et des déchets ménagers. Le clip présente deux hommes, un célèbre restaurateur et un critique gastronomique, qui expliquent le bon usage du tri sélectif à un jeune garçon. Non pas que le gouvernement conservateur souhaite abandonner sa politique de développement durable, c’est le développement des jeunes Polonais qui est ici en question. Les autorités considèrent en effet que ce spot cherche à convertir les enfants à « l’idéologie du genre »…
« Une véritable épuration à la tête des médias publics »Avant le ministre de l’Environnement qui bouleverse les programmes audiovisuels, son homologue au Budget, désormais chargé de nommer et révoquer – sans consultation du conseil national de l’audiovisuel – les nouveaux patrons des médias publics, a nommé au poste de président de la télévision publique un certain Jacek Kurski. Un « spin doctor du PiS », selon son propre frère Jaroslaw, rédacteur-en-chef adjoint du quotidien d’opposition Gazeta Wyborcza. « C’est une véritable épuration qui a eu lieu à la tête des médias publics, où ont été placées des personnalités notoirement ultra-conservatrices », soutient Jean-Yves Potel.
C’est donc sous les coups portés de plus en plus fort par un pouvoir ultra-conservateur que tente de s’exprimer aujourd’hui l’opposition citoyenne. Ils étaient 80.000 Polonais à défiler le 27 février dans les rues de Varsovie pour dénoncer la politique gouvernementale et l’instrumentalisation par le pouvoir du processus de transition post-communiste, cinq jours après la publication d’archives mettant en cause l’intégrité de Lech Walesa.
Privé par ses dirigeants d’un nombre croissant de libertés publiques, le peuple polonais saura-t-il suivre l’exemple de l’ex-leader de Solidarnosc à l’époque de ses révoltes ? Constatant avec une « grande inquiétude » que « le pouvoir va vers l’affrontement », Jean-Yves Potel estime que « l’on ne peut pas exclure un scénario à l’ukrainienne »…
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