C’est un article de la loi El Khomri très peu commenté : celui censé faire respecter la laïcité au sein de l’entreprise. Pour Malika Sorel-Sutter, ancien membre du Haut Conseil à l’Intégration, il provoquerait au contraire une grave « insécurité juridique » pour les entreprises et un risque de « pressions communautaristes ».
C’est un aspect peu commenté du projet de loi El Khomri. Pour l’ancien membre du collège du Haut Conseil à l’Intégration, Malika Sorel-Sutter, les différentes controverses qui ont émaillé la présentation de la loi El Khomri ont éludé « un point fort préoccupant ». « Nul ou presque », explique-t-elle dans une tribune publiée ce mercredi 9 mars par le Figaro Vox, ne revient sur « l’insécurité juridique » que prévoit d’induire l’article 6 de ladite loi : il reviendra aux entreprises « de motiver toute limitation ou restriction » de la pratique religieuse en leur sein.
Le projet El Khomri reprend ici en préambule les conclusions du rapport du comité Badinter rendu fin janvier qui prévoyait d’entériner la laïcité dans le code du travail. Jusqu’ici, la notion de laïcité dans l’entreprise n’apparaissait pas en tant que telle. Le religieux était rattaché à l’article L1121-1 consacré au « respect des droits et libertés dans l’entreprise« . Cependant, pour l’essayiste, cette façon d’introduire la laïcité dans le code du travail est piégeuse.
L’article 6 du projet El Khomri entérine une laïcité ouverte mais encadrée, qui trouverait sa nouvelle formulation ainsi dans le code du travail :
« La liberté du salarié de manifester ses convictions, y compris religieuses, ne peut connaître de restrictions que si elles sont justifiées par l’exercice d’autres libertés et droits fondamentaux ou par les nécessités du bon fonctionnement de l’entreprise et si elles sont proportionnées au but recherché. »
Pour Malika Sorel-Sutter, cette formulation place justement les entreprises dans une « insécurité juridique » encore plus grande : « La liberté de pratique est totale et c’est à l’entreprise qu’il revient de motiver toute limitation ou restriction en la matière. » L’essayiste préconise plutôt, « faute de mieux« , de laisser aux entreprises la possibilité de « se doter d’un règlement intérieur » :
« À défaut d’instaurer la neutralité religieuse en entreprise, tant attendue aussi bien par les patrons que par les salariés, il eût fallu, faute de mieux, que ce projet de loi Travail ne mentionne rien à ce sujet pour ménager aux entreprises la possibilité de se doter d’un règlement intérieur qui leur permette de se protéger. »
Le problème n’est pourtant pas anodin. « En un an seulement » pourtant, le nombre de conflits impliquant des « demandes liées » au fait religieux a « doublé », selon l’Observatoire du fait religieux en entreprise, rappelle l’auteur de la Décomposition française (Fayard). Et de poursuivre : « Si les patrons le déplorent, c’est qu’ils savent à quel point ces conflits entravent la cohésion des équipes et peuvent engendrer un climat délétère au sein de l’entreprise, sans compter le risque de glissement de certaines équipes vers un fonctionnement communautaire, comme cela a pu être constaté entre autres à la RATP. »
Le réseau de transport public parisien a de fait connu une poussée du communautarisme islamiste, en particulier parmi ses 17.000 chauffeurs de bus. Une montée de la communautarisation au sein du groupe mise en lumière lors des attentats du 13 novembre par le parcours de l’un des kamikazes du Bataclan, Samy Amimour, ce dernier ayant lui-même travaillé à la RATP quinze mois entre 2011 et 2012.
Une autre entreprise a cristallisé le problème de manière très différente dès 2008 : la crèche Baby Loup, à Chanteloup-les-Vignes (Yvelines), trainée en justice par une employée qui, après un long congé parental, était réapparue voilée et avait refusé d’ôter son foulard dans l’enceinte de la crèche. Licenciée, elle avait finalement été déboutée par la justice mais au terme d’une interminable procédure judiciaire.
Malika Sorel-Sutter rappelle enfin que dès septembre 2011, dans un rapport intitulé « De la neutralité religieuse en entreprise » remis au Premier ministre François Fillon, le Haut Conseil à l’Intégration « faisait déjà état de la gravité d’une situation à laquelle il convenait de remédier, pour peu que l’on soit attaché à ce que les entreprises ne se transforment pas en champs de bataille. »
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