Le scandale de l’abattoir du Vigan jette une fois de plus l’anathème sur une filière viande sérieusement malmenée. Et, une fois de plus, il fait déplorer le coupable désengagement de l’Etat.
On apprend avec joie que, faute de fonctionnaires pour contrôler les multinationales spécialisées dans l’optimisation fiscale, 80 milliards d’euros échappent chaque année au Trésor public. Qu’importe, le cochon payeur contribuable est là pour se faire saigner à la place des satrapes de la finance internationale. A propos de saignée, les images de l’abattoir du Vigan, dans le Gard, où l’on voit des animaux torturés avant d’être achevés par des sadiques en tenue blanche, et qui font suite à celles d’Alès, en octobre 2015, révèlent, une fois de plus, que les services de l’Etat sont inefficaces ou inexistants.
Quand une société se permet un tel relâchement, c’est qu’elle ne craint plus la puissance publique. D’autant plus affligeant que cet abattoir est certifié bio par l’organisme Ecocert (pour 5 % de sa production), référence en matière de fiabilité sur les produits issus de l’agriculture biologique, et que cette abomination, relayée et amplifiée par les ayatollahs de la secte végétarienne, jette la suspicion sur la filière de la viande au moment où ce marché est à la fois fragilisé et malmené.
Après la vache folle, le minerai roumain, le steak cancérogène, on se doute que ces atroces visions d’animaux massacrés ne peuvent que renforcer l’activisme de ceux qui souhaitent interdire ou abolir la consommation de viande en France. Ravis de lancer leurs anathèmes sur la boucherie, sous prétexte qu’elle vend de l’animal supplicié, afin de culpabiliser les amateurs d’escalope et de gigot, soudain devenus complices des bourreaux du veau et de l’agneau, ils deviennent à leur tour les complices d’un système productiviste dont l’objectif est d’éradiquer les élevages de taille moyenne pour les remplacer par des usines à barbaque. Amalgame aussi stupide que de diffuser des images d’accidents de la route provoqués par des chauffards dans l’espoir d’obtenir un jour l’interdiction de l’automobile.
Ces actes ignobles doivent être combattus et sanctionnés sans relâche en donnant aux autorités censées les empêcher les moyens nécessaires au respect de la loi et à l’accomplissement de leurs missions. A ce rythme-là de discrédits, la seule viande disponible en France sera bientôt celle, bas de gamme, importée de loin par une grande distribution triomphante.
L’implication d’Ecocert, qui n’est pour rien dans les maltraitances puisqu’il ne certifie que l’origine du produit, en amont et en aval de la chaîne, ajoute tout de même de la confusion au scandale. Et si ce n’est pas le paramètre bio qui est ici en cause, mais l’éthique d’une entreprise engagée par des valeurs professionnelles, le symbole n’en est pas moins catastrophique aux yeux de l’opinion. A l’heure où le doute gagne les consommateurs quant aux normes de précautions alimentaires et aux labels qualitatifs, souvent mis en cause par ceux qui prétendent que « tout ça, c’est du pipeau » (alors que ça ne l’est pas, sauf quand du cheval compose des lasagnes au bœuf), des scènes d’une telle barbarie donnent des haut-le-cœur. Voici un abattoir modèle fonctionnant en circuits courts, tourné vers le commerce de proximité et porteur de toutes les garanties quand à l’éthique de production et de formation du personnel, qui bascule dans le film d’horreur.
Ce serait un cas isolé, passe encore, mais entre les révélations de l’association L214, les accusations de Pierre Hinard, ancien directeur qualité de Castel viandes, dans son livre Omerta sur la viande (Grasset, 2014), et les témoignages cumulés de salariés de la filière dénonçant l’ampleur de ces pratiques, on sait désormais qu’Alès et Le Vigan ne sont pas des exceptions. En quoi l’Etat est-il responsable ? S’il n’est pas responsable de l’ignominie des gestes, pas plus que des fraudes ou du viol des réglementations, il l’est de ne plus être présent là où l’on a besoin de lui.
Cédant aux pressions d’un Medef se plaignant de « harcèlement normatif », le gouvernement Fillon a démantelé certains services, réduisant les effectifs, modifiant les hiérarchies, désorganisant les procédures, pour diluer l’efficacité d’une administration qui empêche le marché de magouiller en rond. Ainsi la célèbre direction de la répression des fraudes, qui ne dépendait que de Paris, a été réduite à des cellules territoriales aux ordres du préfet, la DDPP (direction départementale de protection des populations).
Idem pour les services vétérinaires, dont la vertu est de s’acharner sur les petits artisans pour ne pas voir ce qui se passe chez les industriels. Au lieu de pourchasser les tricheurs et les voyous, certains inspecteurs zélés préfèrent persécuter la production de qualité, traquant la moindre trace de listeria chez un fabricant de fromage au lait cru au nom du dogme hygiéniste normalisateur.
La fonction publique coûte cher à ce pays mais elle est fondamentale au bien-être sanitaire et social. Force est de constater qu’il y a souvent des fonctionnaires en surnombre, parfois un peu tatillons, là où ils n’ont pas d’utilité, alors qu’il en manque de toute évidence là où leur présence est fondamentale. Nous observons que la plupart des grands scandales alimentaires auraient pu être évités si les services concernés avaient eu les moyens de faire leur devoir. Cette dérégulation finit par abîmer la République, car rien n’est pire pour un Etat de droit que de perdre la confiance de ses citoyens.
Le mercredi 26 juin 2013, suivant les recommandations du ministre délégué à la Consommation, Benoît Hamon, qui s’y était pourtant engagé publiquement après le scandale des lasagnes au minerai de cheval roumain, l’Assemblée nationale renonçait à l’obligation d’indiquer l’origine de la viande entrant dans les plats transformés. La veille, la Commission européenne avait fait savoir à Paris qu’elle était hostile à une mesure dont le coût serait lourd à porter pour l’industrie agroalimentaire. Argument sentant le lobbying à plein nez…
Trois ans plus tard, confronté à une crise sans précédent dans la filière bovine, aggravée par une virulente colère paysanne, le gouvernement français s’est soudain senti pousser des sabots pour envoyer paître Bruxelles. Ainsi, le 17 février 2016, appuyant un vote du Parlement européen demandant à la Commission d’instituer cette traçabilité, Stéphane Le Foll, ministre de l’Agriculture, annonçait un décret rendant obligatoire l’indication de la provenance de la viande sur l’étiquetage des plats transformés en France. Pour rassurer Bruxelles, le ministre précisait le caractère expérimental de ce décret, à revoir dans trois mois.
N’empêche, notre gouvernement a osé faire un bras d’honneur à la Commission, et l’Europe est toujours en place. Mince alors ! Peu signalé par les médias, l’événement est de taille. Reste à savoir si le décret Le Foll restera dans les annales ou fera long feu. Comme quoi, les jacqueries du XXIe siècle, avec siège de Rennes et barrage de routes par les tracteurs, stimulent davantage le courage de l’exécutif qu’un consensus parlementaire. C’est curieux, chez les politiques, ce besoin de voir la Bastille prise d’assaut pour se remuer.
Powered by WPeMatico
This Post Has 0 Comments