À 17 années d’intervalle, l’annonce de suppressions d’emploi dans l’industrie provoque des réactions singulièrement différentes dans les rangs socialistes à l’Assemblée nationale. Démonstration avec les interventions changeantes d’une députée PS à la suite de trois plans sociaux chez Michelin, entre 1999 et 2016…
Il fut un temps pas si lointain où un plan social chez Michelin provoquait un tollé dans les rangs des parlementaires de gauche, socialistes en première ligne. En octobre 1999, Odile Saugues, députée PS du Puy-de-Dôme et par ailleurs ancienne salariée du manufacturier clermontois, dénonce à l’Assemblée nationale le dernier plan social d’une longue série annoncé par le Bibendum le 8 septembre de la même année. Cette saignée doit laisser 7.500 personnes sur le carreau en France et fera prononcer au Premier ministre Lionel Jospin l’une de ces tirades indélébiles : « Il ne faut pas tout attendre de l’Etat ».
« Une gestion qui définit la destruction d’emplois comme une création de valeurs »
Mais Odile Saugues, élue deux ans plus tôt pour son premier mandat, ne veut pas baisser les bras. Après avoir rappelé devant les députés les « résultats financiers en forte progression sur le seul semestre 1999 » du groupe, la députée rapporte « l’indignation » des salariés, qualifiée de « vive et légitime ». « L’affaire Michelin est révélatrice d’un profond malaise face à l’évolution du capitalisme, continue-t-elle. On est passé dans ce cas du paternalisme absolu, d’un ordre moral qui prétendait régenter la cité et la vie des salariés, à une gestion qui considère désormais les hommes comme de simples variables d’ajustement et qui définit la destruction d’emplois comme une création de valeurs ». Bref, pour l’élue auvergnate, « l’entreprise ne peut et ne pourra jamais se résumer aux seuls dirigeants et aux seuls actionnaires ».
Une intervention musclée prononcée sous les vivats du groupe socialiste. Et confortée par la ministre de l’emploi et de la solidarité d’alors, Martine Aubry. Pour cette dernière, « le dossier Michelin est sans doute révélateur de ce que doivent être, ou ne pas être, les relations entre une entreprise et ses salariés« .
En juin 2009, rebelote avec un nouveau plan social signé Michelin biffant 2.893 postes de l’organigramme de l’entreprise. Toujours députée, Odile Saugues dénonce alors le « cynisme » de la multinationale, qui dégraisse en France pour mieux investir en Inde. « Cynisme » encore, pointe-t-elle, « dans la présentation ‘soft’ de départs volontaires, quand on sait que le site de Clermont-Ferrand, de 1982 à 2009, a vu réduire le nombre de ses salariés de 32.000 à moins de 12.000 et ses usines se transformer peu à peu en musées ». Difficile d’être plus claire.
Ah, ces Chinois et leurs pneus mono-vie
Mais sept ans plus tard, la même Odile Saugues, au cours des questions au gouvernement du 2 mars 2016, revient sur le dernier plan social de Michelin, annoncé la veille : 494 postes supprimés à Clermont-Ferrand. « Sans aucun départ contraint », précise d’emblée la députée dans sa question à Emmanuel Macron, oubliant le « cynisme » de « la présentation ‘soft’ de départs volontaires » qu’elle dénonçait en 2009. Le ton est nettement moins offensif que par le passé : peut-être l’usure, pour une députée au coeur de son quatrième mandat. Ou un vague sentiment d’impuissance, devant les charrettes de licenciements qui passent et jamais ne s’arrêtent… Et puis, à qui la faute ? À « l’évolution du capitalisme », dénoncée en 1999 ? À cette gestion qui « définit la destruction d’emplois comme une création de valeurs » ? À la cupidité des actionnaires ? Rien de tout cela en 2016 : cette fois, ce sont les Chinois et l’arrivée de leurs pneus « mono-vie », concurrents des pneus reconditionnés produits par Michelin, qui sont responsables de tout.
Résignée, la députée demande timidement au ministre que le plan social de Clermont-Ferrand « se déroule dans de bonnes conditions de dialogue social » mais aussi de « veiller à ce que les pneus chinois respectent les règles européennes », notamment sur le plan environnemental. Autant de demandes qui ne ramèneront pas les 824 emplois détruits – uniquement des départs à la retraite et reclassements, rassure Michelin.
Des réorganisations exemplaires, « c’est suffisamment rare pour être mentionné »
Pas vraiment déstabilisé par des exigences aussi modestes, le ministre de l’Economie et de l’Industrie Emmanuel Macron s’empare dans la foulée du micro pour… tresser des lauriers à Michelin, dans un hémicycle amorphe : « Depuis 1863, ce groupe est l’un de nos fleurons industriels. Il représente encore 20.000 emplois sur notre territoire et c’est un groupe engagé dans l’industrialisation française, qui a toujours géré ses réorganisations de manière exemplaire. Je tiens à le dire ici, parce que c’est suffisamment rare pour être mentionné ». Les actionnaires du Bibendum n’en demandaient pas tant, mais les voilà chaleureusement loués par un gouvernement socialiste au lendemain de l’annonce d’un énième plan social.
Remonté contre ces asiatiques au dos bien large, Emmanuel Macron dénonce ensuite à son tour la « concurrence déloyale chinoise » et promet de « conduire les actions qui conviennent au plan européen ». Plus fort encore : « Avec le groupe Michelin, nous allons réorganiser les choses de manière harmonieuse », déclare le ministre, promesses d’investissements du manufacturier à l’appui. Du « profond malaise face à l’évolution du capitalisme » de 1999 à la réorganisation « de manière harmonieuse » d’aujourd’hui, pas sûr que les salariés encore en poste chez Michelin souhaitent être défendus par le socialisme version 2016.
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