Les scandales qui ne font pas scandale en disent parfois plus que les polémiques qui s’éternisent. La façon de faire taire le féminisme de Kamel Daoud n’a guère suscité plus d’émoi que celle d’encourager le sexisme d’Orelsan. La coïncidence de ces deux événements qui s’emboîtent parfaitement témoigne de la communautarisation des esprits. Sale temps pour les femmes.
L’écrivain et journaliste algérien n’a fait que rappeler ce qu’il écrit depuis des années sur «l’univers douloureux et affreux que sont la misère sexuelle dans le monde arabo-musulman, le rapport malade à la femme, au corps et au désir». Un constat banal. L’islamologue Bernard Lewis voyait dans le «sexisme musulman» une explication des difficultés du Moyen-Orient : «La relégation des femmes à un statut d’infériorité non seulement prive le monde musulman des talents et des énergies de la moitié de sa population, mais encore confie l’éducation, à un âge crucial, de l’autre moitié à des mères analphabètes et opprimées. Une telle éducation produit des individus arrogants ou soumis, inaptes à la vie dans une société libre et ouverte.» L’anthropologue Germaine Tillion disait de même sur le malheur des femmes interdites d’espace public et soumises à l’empire de mâles adulés dès leur plus jeune âge. Mais Kamel Daoud a eu le tort de le répéter à propos du pogrom sexuel de Cologne, étouffé en vain : «Avec les derniers flux d’immigrés du Moyen-Orient et d’Afrique, le rapport pathologique que certains pays du monde arabe entretiennent avec la femme fait irruption en Europe.» Au moment où un pape de la sociologie française invitait à une «lecture politique» des hordes de Cologne, expliquant que s’en prendre «à des femmes allemandes, blanches» donnait un «sens» à leur violence…
Ce n’est pas pour avoir critiqué la religion que Daoud est ciblé, mais pour avoir défendu les valeurs européennes.
Alors que Libération reprochait à Daoud des «phrases provocatrices qui ont mis le feu» et France Culture d’être «peu précis dans ses accusations», une vingtaine d’intellectuels, moins originaux mais plus efficaces, l’ont accusé d’«islamophobie» dans le Monde. Gilles Kepel a dénoncé une «fatwa venant de l’Occident». Mais, à la différence de celle que lui a lancée l’imam algérien Abdelfattah Zeraoui en 2014, ce n’est pas pour avoir critiqué la religion que Daoud est ciblé, mais pour avoir défendu les valeurs européennes. La grande nouveauté de cette pétition – qui a décidé l’écrivain à se taire – est d’aller jusqu’au bout du principe multiculturaliste : demander aux immigrés de respecter les femmes relève d’un «projet disciplinaire» «scandaleux du fait de l’insupportable routine de la mission civilisatrice et de la supériorité des valeurs occidentales qu’il évoque». Ces universitaires français remettent à sa vraie place l’Algérien Daoud, le qualifiant d’«intellectuel laïque minoritaire» se prenant pour un «humaniste autoproclamé». Un traître à ses origines pour avoir avoué «jalouser le rapport aux femmes des Occidentaux, une différence qui l’enrichit». Cette condamnation a le mérite d’assumer le multiculturalisme comme programme idéologique de substitution aux valeurs de l’individualisme occidental. La règle de la diversité : tout est relatif, tout est subjectif.
C’est précisément ce que vient de dire la cour d’appel de Versailles en relaxant Orelsan, condamné en première instance pour «provocation à la violence» à la suite de plaintes d’associations féministes. Le rappeur énonçait dans ses chansons un mode d’emploi des femmes enjoignant à leur «casser le nez sur un coup de tête», ne «respectant» que celles «qui encaissent jusqu’à devenir handicapées physiques». Les magistrats auraient pu justifier la relaxe au nom du droit absolu à la liberté d’expression. Non, ils sont déjà branchés sur l’air du temps comme en attestent les motivations de leur jugement blanchissant Orelsan. Refusant un «pouvoir de censure qui s’exercerait au nom d’une morale nécessairement subjective», ils entendent respecter «des modes d’expression, souvent minoritaires, mais qui sont aussi le reflet d’une société vivante et qui ont leur place dans une démocratie». Il n’y a plus de morale commune, mais que des subjectivités : tu penses qu’il faut tabasser les femmes ? Respect ! La subjectivité d’Idriss Sihamedi, patron de BarakaCity, lui interdit de serrer la main des femmes ? «J’ai le droit, on est dans le pays de Charlie !»
A chaque fois, c’est la liberté des femmes qui passe à l’as.
La pédagogie du multiculturalisme progresse donc à tous les étages. Cette idéologie de remplacement dont le choix n’a jamais été soumis aux Français est depuis dix ans la ligne officielle imposée par Bruxelles : «L’intégration est un processus dynamique à double sens d’acceptation mutuelle.» Le Conseil français du culte musulman créé par Sarkozy prescrit depuis deux ans qu’une musulmane doit être voilée. On ne parle plus d’individus, mais de communautés, même chez un esprit fin comme le philosophe libéral Pierre Manent qui propose d’admettre les «mœurs musulmanes» : «Les relations entre les sexes sont un sujet d’une telle complexité et délicatesse qu’il est sans doute déraisonnable de damner une civilisation sur cette question.» Mais, à chaque fois, c’est la liberté des femmes qui passe à l’as. Ici et ailleurs, comme le dit la sociologue et écrivain d’origine iranienne Chahla Chafiq, pas plus écoutée que Kamel Daoud : «En désignant la liberté sexuelle comme le point crucial de la culture occidentale, l’islamisme identifie les droits des femmes et des homosexuels comme les pires fléaux d’une occidentalisation qui détruirait l’identité islamique.»
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