Dans la quête de l’immortalité, les diètes miracles font toujours recette. Et qu’importe si l’on glorifie un légume prodigieux, préconise des privations ou même prescrit des carences. L’hypocondrie se soigne par l’ablation d’argent.
Tous ceux qui ont le bonheur de connaître la belle, martiale et riche Valérie Orsoni l’ont entendue raconter ce qu’elle appelle son «épiphanie». Un jour de 2003, aux Etats-Unis, où ce petit bout de femme corse végète avec son premier mari, les médecins lui annoncent une tumeur au cerveau, ainsi qu’un cancer des cervicales – ou de l’utérus, selon les versions docilement rapportées par la presse féminine. Malheureuse comme pas deux, allongée sur son lit de souffrance, fixant le plafond, elle réalise soudain que la médecine ne peut pas tout et, par association d’idées, décide de prendre son destin en main et de se lancer dans le… conseil diététique. «Finis, les régimes qui ne marchent pas !» promet Valérie aux désespérées qui veulent «partager une expertise de coaching minceur qui a déjà conquis le tout-Hollywood». Qu’importe si le patronyme du «Dr Hanks» qui se porte garant de la scientificité de sa méthode – LeBootCamp – soit mal orthographié, qu’importe aussi s’il n’exerce plus à Stanford et si sa notice biographique qui mentionne son hobby, les Lego, ne fait référence à aucune expertise nutritionnelle ! L’essentiel : Valérie Orsoni – guérie depuis de son cancer – s’est fait une place sur le marché hyperconcurrentiel des gourous du régime.
« Nous sommes dans une société du bien-être qui sous-tend que, pour aller bien, il faut suivre un régime. »
Sur un registre franchement plus «sweet» et «girly», l’anglaise Ella Woodward revient de loin elle aussi pour présenter son «carnet de recettes green, végétariennes, sans gluten, sans sucre raffiné et sans lactose», dérivé de son blog au succès planétaire. Sur fond de smoothies pastel et de baies rouges et noires, cette beauté printanière raconte, encore et encore, que son alimentation a changé sa vie après qu’elle a été atteinte, à 22 ans, du terrifiant syndrome Stop (syndrome de tachycardie orthostatique posturale). «Ne pouvant plus compter sur les médecins, je devais trouver par moi-même un moyen de retrouver ma vie d’avant. Pendant une semaine, j’ai fait des recherches, et découvert des approches holistiques et naturelles de la santé», confie l’ex-mannequin. Ainsi, les ménagères qui poussent leur chariot rempli de lardons sous vide, de pizzas surgelées et de pâte à tartiner se disent : si le risotto de sarrasin à la betterave et son brownie de patates douces ont «changé la vie» d’Ella, pourquoi pas la mienne ? Dans les rayons livres des hypermarchés, la place manque pour présenter tous les born again qui offrent de partager leur expérience, aux confins de la mode, de la crédulité et de la science. «Nous sommes dans une société du bien-être qui sous-tend que, pour aller bien, il faut suivre un régime», se désespère Bruno Bonaz, professeur au CHU de Grenoble qui, aussi bizarre que cela paraisse, n’a pas écrit de livre. En effet, à en croire les sondages commandés par telle fédération de fabricants d’édulcorants ou par l’industriel Nestlé, tous les Français ont fait, font ou feront un régime. «Dans une époque inédite où tout est disponible, en toute saison et de toute provenance, on devine un besoin de refabriquer des interdits alimentaires sur une base non religieuse», avance Myriam Weil, pas dupe des tendances et néanmoins cofondatrice d’un chouette blog diététique, LaMinutePapillon. Le régime qui précédait les vacances à la mer est devenu ringard ; vive le régime toute l’année. Alors, à chacun sa tocade nutritionnelle, pourvu qu’elle trompe l’ennui et soigne les angoisses de chaque malade imaginaire.
Tourne, tourne, carrousel des privations ! Inutile d’avoir une allergie reconnue par la Faculté pour cumuler les exclusions. Marion Kaplan, par exemple, distribue les niet comme d’autres, autrefois, les caramels mous. Cette bionutritionniste, déjà auteur d’un livre de recettes «paléobiotiques», assène dans Vivre sans gluten pour les nuls : «Il est temps de faire l’expérience d’une alimentation sans gluten et, je vous le conseille, pour avoir de vrais résultats, d’éliminer les produits laitiers issus de la vache.» Allez, hop ! Privé de dessert, de pain, de viande, de poisson, de lait ou carrément soumis au jeûne, le menu est large. A l’hôpital Trousseau de Paris, les enfants malnutris admis en urgence ne sont pas des Roms, mais des bambins soumis au même régime végétalien que celui de leurs parents exaltés, fragilisés par manque de vitamine B12. Bombardé d’injonctions sanitaires – avec tout ce qui sort sur les pesticides, tu manges encore des pommes, toi ? -, médicales – tu es bien sûr que tu ne couves pas un petit cancer, là ? – et esthétiques – j’ai pas un peu pris, là ? -, l’omnivore n’est plus libre, sinon de choisir dans la gamme des privations. Psychologues, les éditeurs s’adaptent à leur clientèle inconstante et proposent pour pas cher, à l’instar de Solar et de son cahier Stop au sucre, des cures désintox de trois semaines, biodégrabables en somme. Une carence chasse l’autre, et les autorités sanitaires observent cette surenchère de commandements sans se mettre la rate au court-bouillon. Ainsi, la starisation de Frédéric Saldmann échappe aux radars de la communauté scientifique, dès lors que la prose de ce docteur ne repose sur rien d’autre qu’un ascétisme au souffle court. Des années durant, son confrère Pierre Dukan a pu également gonfler son compte en banque en commercialisant un régime hyperprotéiné qui disqualifie tout ce qui n’est pas viande maigre, poisson ou laitages allégés. Or, il a fallu une condamnation en justice pour établir que cette disqualification quasi morale du gras et du sucre mettait les corps en danger sans produire d’effet amaigrissant durable.
Par esprit de corps, peur du procès et sans doute aussi par respect pour les fortunes générées, le conseil de l’ordre des médecins regarde ailleurs.Par esprit de corps, peur du procès et sans doute aussi par respect pour les fortunes générées par ces best-sellers, le conseil de l’ordre des médecins regarde ailleurs, et le dernier rapport officiel sur le danger des régimes est vieux de six ans. Chatouiller les certitudes tarifées d’autres scientifiques n’est guère dans les mœurs médicales françaises, au grand dam du Pr Serge Hercberg qui déplore une «cacophonie nutritionnelle néfaste pour le consommateur» et réclame une «moralisation de ce secteur». «Le problème, précise ce promoteur d’un code couleur indiquant la valeur nutritionnelle de chaque aliment, est d’alerter le public sur le fait que les ouvrages écrits par le Pr Tartempion ou le Dr X n’ont pas été validés par des instances scientifiques et qu’en aucun cas l’ouvrage d’un scientifique (médecin ou non) isolé ne doit être considéré comme un outil d’information ayant une quelconque valeur.»
Profitant de la torpeur officielle, David Khayat pose ainsi en blouse blanche pour vendre le Vrai Régime anticancer, à coup d’ail, de brocoli, de curcuma et de grenade (lire l’encadré ci-dessous). A toutes fins judiciaires utiles, le président d’honneur de l’Institut national du cancer avertit toutefois : «Comme vous le voyez, ici encore, tout est fait pour vous démontrer qu’il n’y a pas, et ne peut y avoir de régime anticancer universel.»
De fait, pour le cancérologue qui cultive ses réseaux politiques et médiatiques, tout est bon, même l’honnêteté, pour disputer des parts de marché aux autres vendeurs d’immortalité. Dans ce théâtre singulier où les spectateurs payent pour que les comédiens se payent leur tête, le bon sens ne fait pas recette. Ayant pris la défense des avocats et de quelques autres bonnes graisses, injustement accusées de se loger directement dans les fesses et les poignées d’amour, un ingénieur nutritionniste pétri d’humour et de bon sens a voulu mettre un Coup de pied dans le plat (Marabout, 2015). «La balle est dans notre camp, n’accablons pas les aliments : on n’est pas gavés de force ! Les responsables ? C’est pas eux, c’est nous ! Pour le meilleur et pour le pire. Difficile mais possible, l’éducation nutritionnelle sera notre chance si nous lui laissons une place dans nos certitudes et nos faiblesses.»
Las, comme prévu, un tel rappel à la raison omnivore ne fait pas recette dans les magazines, qui snobent un scientifique encombré de rigueur, exerçant dans la bonne ville de Rennes et non en Californie, et n’ayant pas fait l’effort marketing basique de choisir un patronyme plus sexy que Philippe Legrand. En nutrition comme en politique, décidément, le normal n’est pas une valeur commerciale.
L’homme de l’art, qui délaisse sa consultation à 500 € pour partager sa science avec ses centaines de milliers de lecteurs, a placé la grenade dans le top 7 des aliments anticancer. Interrogé toutefois par Marianne sur ce produit «fantastiquement intéressant», paré d’une «grande efficacité pour le cancer de la prostate» et qu’il «conseille à [ses] malades», le Pr David Khayat quitte son habituel registre péremptoire : «J’ai indiqué, dans la préface et la postface de mon livre, que, même en suivant tous les conseils possibles, il ne fallait pas rêver et que, au maximum, on ne réduirait son risque de cancer que de 1 à 2 %.»
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