Déradicalisation : la défense du centre de Lylia Bouzar

A la suite des différents articles (« Marianne », « le JDD », « Libération »…) parus sur l’arrêt de la collaboration entre le Centre de prévention des dérives sectaires liées à l’islam (CPDSI) et les autorités publiques, sa présidente Lylia Bouzar, dirigeante du cabinet Bouzar Expertises, a tenu à apporter pour « Marianne » quelques précisons.

Marianne : Certains parlementaires, dont la sénatrice centriste Nathalie Goulet, présidente de la commission d’enquête sur les réseau djihadistes, reprochent au dispositif de déradicalisation son manque de transparence. Impossibilité d’évaluer les résultats annoncés, tout d’abord, et utilisation des budgets ensuite. Un audit sur la gestion des fonds attribués aux différentes structures a été demandé à la mission « sécurité » de la commission des finances du Sénat…

Lylia Bouzar : Nous n’avons reçu aucun papier à ce sujet. Je ne sais pas ce que Madame Goulet a contre nous. Nos comptes sont clairs, et nos procédures administratives et financières le sont également. Une association comme la nôtre, à partir du moment où elle touche plus de 150.000 euros par an (le CPDSI a touché 900.000 euros sur l’année 2015 jusqu’à la fin de sa mission en avril 2016), est suivie par un expert comptable et par un commissaire aux comptes, assermenté : il nous a donné quitus pour l’année 2014 et nous auditera pour l’année écoulée le mois prochain. Le budget qui nous a été alloué a servi à payer les sept salariés, les déplacements, les hôtels et les locations de salles.

 

Vous reconnaîtrez que sur le fonctionnement du CPDSI et ses résultats tangibles, il subsiste un certain flou. Pas de locaux, quasi-impossibilité pour les médias de rencontrer les familles concernées, alors que votre mère, Dounia Bouzar est partout sur les plateaux de télévision et annonce des chiffres invérifiables ?

Ce n’est pas flou pour le comité de pilotage animé par le SG-CIPD (Comité interministériel de prévention de la délinquance) qui se réunit tous les mois au ministère de l’Intérieur et qui suit l’avancée de nos travaux, en tout cas. Tout figure dans le Rapport d’activité annuel 2015 du CPDSI, consultable sur notre site. Oui, nous n’avons pas de locaux, et nous nous réunissons dans des salles louées, de la manière la plus anonyme possible. C’est un mode de fonctionnement dicté par de simples impératifs de sécurité. Nous avons voulu protéger les familles au maximum, cette garantie d’anonymat vis-à-vis des médias permettait la mise en confiance. Nous traitons des données confidentielles, et il ne nous est pas venu à l’idée que cela pouvait donner une impression d’opacité, même si nous en prenons conscience aujourd’hui. Quand ces familles, qui sont dans des situations diverses, se retrouvent comparées à celles des frères Kouachi, de Nemouche, c’est insupportable. Faire porter cette problématique par Dounia, c’était le moyen de les épargner.

Notre mission est une mission de prévention de la radicalisation, grâce à nos équipes mobiles d’intervention. Elle nous a été confiée par le ministère de l’Intérieur, par une circulaire en date du 20 mai 2015 qui fait suite à un appel d’offres auquel nous avons été les seuls à répondre. Elle consiste à agir auprès des familles et des préfectures. Ces dernières font appel à nous si elles le désirent, dans le cadre de la mise en place des cellules de suivi départementales. Sur l’année 2015, nous avons comptabilisé 721 saisines, dont 454 directement au CPDSI sans passer par les préfectures, et 267 directement par les 34 préfectures. Depuis les attentats de novembre, nous avons fermé notre saisine directe et demandé aux familles de passer par le numéro Vert ou par leur préfecture. Pour ce qui est des suivis par notre méthode de désembrigadement, nous en avons 234, dont 50 commencés en 2014, et 55 des saisines effectuées en préfecture. 325 sont dans un suivi « à dimension variable » : 10 bientôt sortant de détention que nous allons accompagner, 50 familles dont les enfants sont déjà en Syrie ou en Irak, 50 mineures dans un contexte à risque (fréquentation d’un individu identifié comme radical), 50 dossiers transmis à des experts psychiatres, et 165 se définissant comme salafistes quitétistes, en rupture scolaire au-dessous de l’âge légal. Nous sommes en train de mener une étude approfondie sur cette dernière catégorie, à risque. Enfin, 212 jeunes sont suivis par les équipes des préfectures qui ont demandé un appui du CPDSI. L’objectif est de rendre ces équipes autonomes.

 

On reproche au CPDSI un certain mélange des genres et des conflits d’intérêt avec Bouzar Expertises, le cabinet privé que vous avez monté avec votre mère.

C’est un énorme anachronisme. Nous avons créé notre entreprise quand ma mère a quitté la PJJ (Protection judiciaire de la jeunesse), à la suite de désaccords profonds avec Nicolas Sarkozy sur la question de la laïcité quand elle était au CFCM (Conseil français du culte musulman). Nous connaissons très bien, depuis des années, ces questions de laïcité et de radicalisation dans l’entreprise. Avoir monté ce cabinet, pour nous c’est une énorme fierté. Pour ce qui est de la mission de désembrigadement, Manuel Valls a reçu Dounia quand il était ministre de l’Intérieur, à deux reprises, mais rien n’en est sorti. C’est Bernard Cazeneuve qui nous a demandé de créer une association afin de lutter contre la radicalisation, ce qui a été fait en avril 2014 : si j’en suis la présidente, c’est parce que pour siéger au Conseil d’administration d’une association, il faut être bénévole, et que ma mère quittant Bouzar Expertises pour se consacrer à sa mission au sein du CPDSI, en serait salariée. Nos activités sont différentes, même si du fait des problématiques de radicalisation, notamment dans certaines entreprises, le cabinet a pris une autre dimension en 2015.

 

Arrêter la mission du CPDSI à cause d’un désaccord sur la déchéance de la nationalité, n’est-ce pas un peu excessif au regard de l’urgence à mener cette mission de déradicalisation?

Là encore, c’est une mauvaise interprétation qui a été faite par les médias. C’est notre collaboration avec le gouvernement qui va s’arrêter, en refusant la reconduction tacite de l’appel d’offre. Depuis des années, depuis qu’il était maire d’Evry, nous sommes en désaccord avec Manuel Valls. Sur la discrimination positive  à l’époque, et aujourd’hui sur la confusion entretenue entre djihadisme et islam, la polémique sur l’Observatoire de la laïcité, et sur l’explication par la sociologie qui serait déjà une forme d’excuse. Mais nous allons continuer notre mission, sans doute avec un des grands acteurs privés de la protection de l’enfance, que je ne peux pas encore citer.
 

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