Temps de parole : cette discrète réforme qui favorise les grands partis

Une proposition de loi socialiste en cours d’examen au Parlement s’apprête à raccourcir la période d’égalité des temps de parole médiatiques pendant la campagne présidentielle. Un scandale, dénoncent les « petits » candidats visés par le texte.

A un peu plus d’un an de l’élection présidentielle de 2017, le Parlement est en train de modifier certaines règles qui régentent la campagne dans une indifférence quasi-générale. Pourtant, l’une des mesures en cours d’adoption s’annonce lourde de conséquences, puisqu’elle prévoit de réduire la période pendant laquelle les médias doivent respecter une égalité du temps de parole entre les candidats. Une disposition susceptible d’avantager les candidats investis par les principaux partis, au détriment de ceux qui partent de plus loin.

Cette mesure polémique fait partie d’une proposition de loi organique déposée par le groupe socialiste à l’Assemblée nationale. Ce texte a été examiné par les députés en décembre, puis par les sénateurs en février, en procédure accélérée. Cela veut dire que l’examen est réduit à une seule lecture par assemblée. Députés et sénateurs, qui ont voté des versions différentes du texte, tenteront de se mette d’accord en commission mixte paritaire (CMP) le 15 mars.

L’une de leurs divergences concerne la durée de la période d’égalité des temps de parole. Les règles actuelles prévoient que les médias assurent cette égalité pendant les cinq semaines qui précèdent le premier tour : les deux semaines de campagne officielle, mais aussi les trois semaines dites de « période intermédiaire », qui séparent la publication de la liste des candidats du lancement de la campagne officielle. La version initiale de la proposition de loi remplaçait l’égalité durant la période intermédiaire par un « principe d’équité » bien plus souple, sur lequel le Conseil supérieur de l’audiovisuel (CSA) serait chargé de veiller (voir encadré en fin d’article). Mais le Sénat – majoritairement à droite – préfèrerait conserver l’égalité des temps de parole pendant cette période intermédiaire, tout en la réduisant à une dizaine de jours.

« C’est une castrophe pour la démocratie », s’alarme Nicolas Dupont-Aignan.

Quelle que soit la version finalement adoptée, le résultat va dans le même sens : la période d’égalité des temps de parole se trouvera bel et bien raccourcie. « Une folie », s’indigne auprès de Marianne Nicolas Dupont-Aignan, président de Debout la France, qui avait obtenu 1,78% des voix à la présidentielle de 2012. Le député de l’Essonne dénonce une alliance des partis installés pour exclure les autres candidats : « C’est gravissime. Il s’agit d’une volonté d’installer le tripartisme. C’est une catastrophe pour la démocratie, alors que la présidentielle est la seule élection qui intéresse encore les Français, justement parce qu’elle est libre. »

Bastien Faudot, investi en février comme candidat à la présidentielle du Mouvement républicain et citoyen (MRC) fondé par Jean-Pierre Chevènement, s’insurge lui aussi contre cette « déréglementation ». Et il file la métaphore : « Quelques grosses multinationales vont se partager le marché tandis que les PME vont souffrir. » Bastien Faudot accuse les grands partis de s’entendre « sur un coin de table » pour changer les règles : « Eux qui sont en général attachés à la concurrence libre et non faussée, ce serait bien qu’ils l’appliquent aussi à la politique ! » D’autres voix s’étaient élevées contre ce texte fin 2015, dont celles de Jean-Luc Mélenchon, candidat déclaré au scrutin de 2017, et Jean-Christophe Lagarde, le patron des centristes de l’UDI.

Les partisans du texte affirment que des règles trop strictes découragent la couverture médiatique de la campagne.

Pour les partisans du texte, cette réforme des temps de parole vise à répondre aux « complications » engendrées par les règles actuelles. « Le nombre important de candidats – 12 en 2007, 10 en 2012 – rend difficile l’application d’une stricte égalité, dissuadant certaines chaînes d’organiser des débats et conduisant in fine à une réduction du temps médiatique consacré à la campagne présidentielle », argumente l’exposé des motifs de la proposition de loi, rédigée l’an dernier par le député PS Jean-Jacques Urvoas – devenu ministre de la Justice depuis. Les règles seraient donc trop strictes, ce qui découragerait les médias de couvrir la campagne. Un argument repris par Christophe Béchu, sénateur-maire Les Républicains d’Angers et rapporteur du texte au Sénat. « Le temps moyen consacré par les chaînes généralistes aux interventions des candidats a été divisé par deux entre 2007 et 2012 », déplore-t-il auprès de Marianne, en s’appuyant sur un rapport du CSA.

Pour le reste, Christophe Béchu balaie « des postures ». « Se victimiser, c’est quelque chose de vieux comme le monde pour obtenir quelque chose », estime-t-il. Le sénateur admet, en revanche, qu’il est « scandaleux et invraisemblable » d’examiner une telle réforme l’année qui précède le scrutin en utilisant la procédure accélérée. « Les préconisations formulées par des autorités comme le CSA et la commission des comptes de campagne datent de la fin 2012 », rappelle-t-il. Pour lui, la majorité socialiste aurait dû se réveiller plus tôt et prendre le temps d’un vrai débat : « On fait ça au dernier moment et ça alimente tous les fantasmes. »

Les opposants au texte n’ont plus qu’un espoir : une censure du Conseil constitutionnel pour non-respect du principe d’égalité.  Comme toutes les lois organiques, la réforme atterrira automatiquement devant les Sages. Or, « cette loi est anticonstitutionnelle », martèle Nicolas Dupont-Aignan, qui affirme aussi avoir pris contact avec d’autres candidats déclarés ou possibles, comme Jean-Luc Mélenchon et François Bayrou, pour faire front commun. « On va faire tout ce qu’on peut », promet-il. Même s’il est peu probable qu’ils parviennent à faire obstacle à la volonté des grands partis.

 

Egalité et équité : c’est quoi, la différence ?

• L’égalité des temps de parole oblige les médias audiovisuels à accorder exactement le même temps d’antenne aux candidats.

• L’équité laisse plus de liberté aux médias, qui doivent veiller à un traitement équitable des candidats en fonction de certains critères définis par la proposition de loi, comme les « résultats obtenus aux plus récentes élections », les « indications d’enquêtes d’opinion » ou encore « la contribution de chaque candidat à l’animation du débat électoral ».

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