"On vaut mieux que ça": quand la France qui galère trop prend la parole

L’avant-projet de réforme du code du travail porté par Myriam El Khomri donne lieu à une mobilisation sociale 2.0 sans précédent.

La goutte d’eau qui fait déborder les Internets. Depuis qu’il a été dévoilé, l’avant-projet de réforme du code du travail porté par Myriam El Khomri donne lieu à une mobilisation sociale 2.0 sans précédent. Sur Twitter en particulier, des milliers d’anonymes se mobilisent sous les hastags #LoiTravailNonMerci et surtout #OnVautMieuxQueCa. Derrière ce dernier, ils racontent les absurdités de leur arrivée sur le marché du travail, leur conditions de travail parfois harassantes, voire humiliantes, et qui se détériorent.

Face à un gouvernement socialiste qui avait promis, pour arriver au pouvoir, d’interdire les licenciements abusifs et de sanctuariser les 35 heures, et contre un projet de loi dont ils perçoivent souvent qu’il est porté par des politiques déconnectés des réalités du marché du travail, les « sans-voix » se font entendre, de plus en plus fort. Jusqu’à peut-être, à partir du 9 mars, crier leur colère dans la rue.

« Une manière de se lâcher sur des injustices vécues »

A la lecture de ces témoignages, la fameuse « flexibilité » réclamée par le patronat et traduite dans la loi El Khomri s’incarne très simplement. Chacun tenant à raconter son, souvent ses boulot(s) « de merde ». En quelques signes, alors même que ce réseau leur sert habituellement à autre chose. C’est le cas de Benoît* qui, en temps normal, l’utilise surtout pour partager des contenus drôles ou sur le foot. « Mais quand j’ai vu le hashtag, ça m’a parlé« , nous confie t-il. Alors, lui aussi s’est mis à raconter ses déboires professionnels. Contactée par Marianne, Julie*, 25 ans, employée pour un groupe politique dans une collectivité et très engagée, y voit quant à elle « une manière de se lâcher sur des injustices vécues« .

Quand j’étais caissière et que j’ai menacé de pisser devant les clients pour avoir ma pause toilettes #onvautmieuxqueca

— Komodo Super Varan (@komodo_supervar) 24 février 2016

Quand t’essaye de monter une petite PME et que tu payes plus d’impôts en France que Total #OnVautMieuxQueÇa

— Hardisk (@Hardisk) 24 février 2016

Quand on te demande d’être auto-entrepreneur pour un contrat en CDD parce que ça exempte l’entreprise de cotisations.#OnVautMieuxQueÇa

— Guillaume Blardone (@gblardone) 24 février 2016

Parmi eux, beaucoup de jeunes, venus rappeler leur existence précaire au bon souvenir de François Hollande, qui avait pourtant fait de la jeunesse sa « priorité ». « Foutage de gueule » lui répondent-ils, parfois à visage découvert comme sur Youtube, en se filmant eux-mêmes. Tantôt dans leur miniscule studio où la cuisine fait aussi office une chambre, de salon et de bureau, tantôt chez leurs parents où ils vivent encore faute de pouvoir s’acquitter d’un loyer+charges+garanties+électricité+nourriture…

« Je me fais prendre pour un robot, que ce soit par les clients ou l’entreprise, puisque j’ai un script à respecter », explique ainsi un jeune « conseiller clientèle », déplorant la déshumanisation de ses tâches quotidiennes. « J’ai une connaissance qui s’est suicidé à cause de la pression qu’il avait au travail, purement et simplement (…) on vaut mieux que ça, qu’être des simples produits », renchérit un autre. « Dans une entreprise, un salarié a ramené chez lui des gants de protection, parce qu’il en avait besoin pour jardiner, et là il est mis en examen et il va peut-être se faire virer parce qu’il a ramené du matériel du boulot chez lui… », raconte un troisième. Tous ayant répondu à l’appel – « Raconte-nous » – lancé par d’autres compagnons de galère sous la bannière #Onvautmieuxqueça.

>> TEMOIGNAGE – Loi El Khomri : « Une porte ouverte pour m’exploiter davantage »

Un élan citoyen sans précédent, qui n’est pas sans rappeller le projet interactif « Raconter la vie » mené par l’historien Pierre Rosanvallon. Lequel propose sur Internet de raconter les petites gens en recueillant directement leurs récits ou en faisant collaborer des écrivains français. Telle Annie Ernaux, qui a notamment choisi de livrer dans le cadre de cette initiative un regard lumineux sur la vie du supermarché situé près de chez elle, en banlieue.

La pétition contre la loi travail de Myriam El Khomri, lancée par la militante Caroline De Haas sur la plateforme change.org et qui a réuni en à peine dix jours près de 900.000 signatures, bénéfie par conséquent d’un souffle nouveau, offert souvent avec humour par les invisibles, les minuscules, les « sans-dents ». Reste une question : combien seront-ils à manifester le 9 mars prochain ? Plusieurs syndicats étudiants, dont l’Unef, ont déjà annoncé qu’ils se joindraient aux cortèges. Ils peuvent d’ores et déjà compter sur la présence de Julie mais aussi sur celle de Benoît, pour qui ce sera une première. Prudent, le gouvernement, qui devait initialement présenter la réforme en conseil des ministres le 9 mars, a déjà reporté l’échéance. Hollande entendra-t-il les hashtags du pays qu’on enchaîne…?

*Les prénoms ont été modifiés


>>> Si, vous souhaitez participer à L’Agora de Marianne, soumettez-nous vos textes ici

 


Powered by WPeMatico

This Post Has 0 Comments

Leave A Reply