Elections en Iran : "un échec cinglant pour les ultras-conservateurs"

Les Iraniens se sont rués vers les urnes pour les deux élections, au Parlement et à l’Assemblée des experts. Selon les premiers résultats à Téhéran, la liste « Espoir » présentée par les modérés, soutiens du président Hassan Rohani, l’emporte largement sur celle des ultras, alliés du Guide de la Révolution. Rencontre avec Azadeh Kian, sociologue franco-iranienne et essayiste.

La réalité iranienne a plus d’un tour derrière son tchador. Optimistes comme pessimistes sont assurés d’être toujours démentis. Avec un bilan catastrophique du régime sur les droits humains, on s’interrogeait, à la veille de la double élection du 26 février, sur les changements véritables possibles dans la république islamique, même en cours de réhabilitation diplomatique et économique. D’autant que la fatwa contre Salman Rushdie, réactivée en urgence deux jours avant le scrutin par l’agence officielle Fars, avec une prime à la hausse de 600 000 dollars, ne plaide pas vraiment pour un Iran libéré de l’obscurantisme ! Mais on s’enliserait dans la pensée unique en refusant de comprendre le grand mouvement qui pousse les Iraniens vers un changement, même à long terme. Il est palpable à travers les premiers résultats des élections dans la capitale.

Azadeh Kian, née à Ispahan, sociologue franco-iranienne et essayiste, («Un mouvement sans révolution », éditions Michalon), qui décrit depuis de longues années les allers-retours tragiques de l’espérance sur sa terre natale, explique le sens et la portée du vote persan.

 

Marianne : Les conservateurs obscurantistes, qui avaient pourtant éliminé, par le biais des Gardiens de la Constitution, la majorité des candidats réformateurs, semblent en mauvaise posture. Comment expliquer ce mystère ?

Azadeh Kian : Ce qui a sauvé l’option du changement, c’est l’alliance des modérés réformistes et des modérés conservateurs. Ils ont présenté une liste commune pour la province de Téhéran, à l’élection de l’Assemblée des Experts. Cette Assemblée, rappelons-le, a pour fonction d’élire ou de démettre le Guide de la révolution. La  liste a été baptisée « Espoir », en persan « Omid ». Au scrutin législatif, ils ont également fait liste commune. Il s’agissait d’éviter l’éparpillement des voix. A l’Assemblée, dont on connaît déjà les résultats, la liste « Espoir » est élue à une majorité écrasante. C’est un échec cinglant pour les ayatollahs extrémistes. Hachemi Rafsanjani, qui avait été trainé dans la boue et traité, en raison de son soutien à l’accord sur le nucléaire, de « valet des Britanniques » par l’actuel président de l’Assemblée, Mohamed Yazdi, obtient deux fois plus de voix que son adversaire. Il arrive largement en tête avec Hassan Rohani.

« Un centrisme à l’iranienne sort vainqueur de ces deux élections »​

 

En quoi cela peut-il changer la donne politiquement ? Pourquoi cette Assemblée des Experts est-elle si importante ?

A.K : Rafsandjani pourra briguer la présidence de cette Assemblée. Or, il propose le remplacement de la fonction du Guide de la révolution par un Conseil collégial, ce qui affaiblit évidemment le culte de la personnalité et le contrôle du système par un seul homme. Cette proposition figurait dans le brouillon de la constitution élaboré en 1979 puis elle a été effacée.

 

Les Iraniens ont donc voté pour la disparition du Guide ?

De sa fonction, je répète ! Ce statut lui permet de nommer le Conseil des Gardiens de la constitution, lequel peut invalider les candidats aux élections. C’est dire le poids de la victoire des réformistes modérés comme Rafsandjani. Si on se penche ensuite sur les premiers résultats des législatives à Téhéran, c’est le même mouvement. 29 élus de la liste «  Espoir » sur 30 sièges ! Certes, les réformateurs les plus en vue avaient été  invalidés mais les modérés les plus pragmatiques, comme Mohamed Reza Aref, qui s’était présenté à la présidentielle de 2013, n’a pas été disqualifié. En province, on apprend déjà que beaucoup de candidats indépendants ont été élus. Ce ne sont pas des ultras et ils sont susceptibles de se rallier à la politique d’Hassan Rohani. Pour résumer, les réformistes ont fait une alliance intelligente avec les conservateurs modérés.

 

Comment qualifier ce courant ?

A.K : En France, ce serait du centrisme ! Un centrisme à l’iranienne sort vainqueur de ces deux élections. Les Iraniens ont compris qu’il ne fallait pas affronter directement les institutions du régime dans la rue mais les remettre en cause par leur vote. On parle de 80% de participation à Téhéran !  Ce discours nouveau émerge depuis l’élection du président Rohani en juin 2013, il a porté le pays vers l’accord sur le nucléaire, avec la levée des sanctions. Les Iraniens l’ont plébiscité.

 

Mais la situation des droits, celle des femmes ne s’arrange pas…

A.K : Doucement. Treize femmes viennent de se faire élire et elles sont toutes du camp réformiste, du mouvement qui veut modifier le statut de la femme. Elles portent un grand espoir : leur volonté de changer les lois discriminatrices.

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