Affaire LSK : "La présence de Strauss-Kahn nous a encouragés à investir"

Alain Urbach, un ingénieur retraité du sud de la France, a perdu toute son épargne dans la société LSK, détenue par DSK et Thierry Leyne. Il vient de déposer une plainte et conteste la version de l’ancien ministre des Finances, qui affirme ne rien savoir des manipulations financières de son associé.

Que connaissait exactement Dominique Strauss-Kahn des acrobaties financières de Thierry Leyne, son associé dans la société LSK ? La question obsède ceux qui ont perdu leur investissement dans ce fonds, qui laisse derrière lui un trou de 100 millions d’euros. Après le suicide de Thierry Leyne, le 23 octobre 2014, ils ont découvert que le financier franco-israélien pratiquait une forme de cavalerie, digne d’un Madoff : il appâtait de nouveaux clients afin de combler les dettes accumulées au fil du temps.

Pour ce faire, DSK, président de LSK, était utilisé comme tête de gondole, gage de compétence et d’efficacité. L’ancien ministre des Finances – dont l’avocat, Jean Veil, sollicité par Marianne, n’a pas souhaité répondre à nos questions – clame qu’il ne savait rien de cette fraude.

Une enquête préliminaire a été ouverte sous l’égide du parquet de Paris, qui pourrait déboucher sur l’ouverture d’une information judiciaire. Parmi ces plaignants, Alain Urbach, un ingénieur retraité du sud de la France, étranger au monde de la finance, vient de porter plainte contre les anciens dirigeants de LSK, dont Dominique Strauss-Kahn, pour « délits d’escroquerie en bande organisée, abus de confiance et diffusion d’informations trompeuses sur Euronext Paris » . Pour la première fois, en exclusivité dans Marianne , il témoigne.

 

Marianne : Quand avez-vous rencontré Thierry Leyne pour la première fois ?

Alain Urbach : Au mois de juin 2014, avec mon épouse, lors d’une exposition culturelle privée, à Marseille. A l’époque, il m’était apparu comme quelqu’un de très sympathique, très avenant. Il m’avait expliqué qu’il était à la tête d’une banque d’affaires, en association avec Dominique Strauss-Kahn. Nous nous sommes bien entendus, et sommes restés en contact. Thierry Leyne nous appelait ensuite fréquemment pour prendre de mes nouvelles. Je suis handicapé depuis 2008, à la suite d’un grave accident.

 

Comment avez-vous été conduit à investir dans LSK ?

A.U. : Avec mon épouse, nous avons accumulé des économies au long de quarante années de travail. Nous voulions les placer afin d’assurer notre avenir, ainsi que celui de nos trois enfants, car mon invalidité m’empêche désormais de travailler. Je pensais investir dans l’immobilier, mais Thierry Leyne m’a expliqué que ce n’était pas le moment et qu’il valait mieux privilégier un placement bancaire. Peu après, il a commencé à nous parler davantage de sa banque, LSK, qu’il avait cofondée avec Dominique Strauss-Kahn.

« Quand nous avons investi, LSK était insolvable depuis des mois. Ses dirigeants ont utilisé notre argent pour éponger leurs dettes. »

Comment vous l’a-t-il présentée ?

A.U. : Il nous a expliqué que les gens se bousculaient pour investir chez LSK, du fait des compétences financières de Dominique Strauss-Kahn. Il m’a dit que les dossiers étaient triés sur le volet, mais qu’il voulait bien nous accepter, compte tenu de nos bonnes relations. Des administrateurs de la société nous ont aussi contactés. Il m’a invité à consulter son site Internet, sur lequel Dominique Strauss-Kahn, président de LSK, vantait son expérience de ministre des Finances, sans mentionner qu’il n’était pas exécutif, comme il l’a affirmé par la suite.

 

Avez-vous fait d’autres recherches ?

A.U. : J’ai lu la presse : Thierry Leyne présentait son établissement comme voué à un grand avenir, en expliquant que Dominique Strauss-Kahn serait le « chef d’orchestre » de la société. Une information qu’à l’époque DSK n’a pas démentie. J’ai également consulté les documents officiels de LSK, où là encore le nom de DSK apparaissait un peu partout. Et puis, Leyne et Strauss-Kahn, eux-mêmes, avaient investi dans la société en août 2014, quelques jours avant notre investissement. Enfin, j’avais la possibilité d’acheter des titres à 5,70 €, alors que le cours de l’action était à 8 €. Donc, je me disais qu’en cas de problème je pourrais toujours revendre. Tout cela m’a donné confiance.

 

Que s’est-il passé ensuite ?

A.U. : Le 30 août, mon investissement a été enregistré, via une augmentation de capital, pour un montant total de 1,14 million d’euros. Notre banque a procédé au virement. Après cela, je n’ai plus eu aucun retour. J’ai notamment contacté à plusieurs reprises une administratrice de LSK, pour obtenir mes titres. Quand par chance j’arrivais à la joindre, elle me demandait de fournir des pièces que j’avais déjà produites. Finalement, j’ai appris le suicide de Thierry Leyne, le 23 octobre, puis, début novembre, la mise en faillite de LSK. Cela a été un choc.

 

Avez-vous été en relation avec Thierry Leyne entre votre investissement et son décès ?

A.U. : Il m’avait laissé son téléphone mobile et son e-mail. Je lui ai envoyé plusieurs fois des SMS et des e-mails. A chaque fois, il me répondait, par e-mail généralement, que les choses suivaient leur cours, et que mes titres allaient m’être livrés rapidement.

 

Avez-vous à un moment ou à un autre été en contact direct avec Dominique Strauss-Kahn ?

A.U. : A plusieurs reprises, courant juillet et août, j’ai rencontré Thierry Leyne, venu me voir pour nous donner des explications sur notre investissement. Plusieurs fois il a appelé Dominique Strauss-Kahn devant moi, pour préciser tel ou tel point. On sentait qu’ils prenaient les décisions ensemble, que c’était vraiment collégial.

 

Etes-vous certain que c’était bien la voix de Dominique Strauss-Kahn au bout du fil ? Sa défense affirme qu’il n’était pas au courant de votre entrée au capital.

A.U. : Oui, je suis sûr que c’était bien lui. Le téléphone était en mode haut-parleur, j’ai parfaitement reconnu sa voix.

 

Cela vous a rassuré ?

A.U. : Oui, la présence de DSK nous a encouragés à investir. Par ailleurs, il a signé le PV de mon entrée au capital de LSK, donc il ne pouvait pas l’ignorer.

 

Sa défense affirme que sa signature aurait été contrefaite sur ce document…

A.U. : En tout cas, cette augmentation de capital a été validée devant un notaire, qui a vérifié que les données étaient exactes, en particulier les signatures. Par ailleurs, le compte rendu de la réunion validant cette augmentation de capital a été publié au journal officiel du Luxembourg, rapidement après, ainsi que sur Euronext. L’information était facilement accessible. DSK ne pouvait pas ignorer son existence.

 

Avez-vous eu des nouvelles des dirigeants de LSK après le suicide de Thierry Leyne ?

A.U. : Aucune. Dominique Strauss-Kahn a affirmé qu’il avait démissionné quelques jours avant le suicide de Leyne, qu’il n’était finalement au courant de rien, alors que l’on n’avait cessé de nous expliquer qu’il était aux commandes de la compagnie.

 

Quand avez-vous compris que vous aviez tout perdu ?

A.U. : Quand le liquidateur judiciaire de la société LSK, au Luxembourg, a annoncé qu’il y avait un trou de 100 millions d’euros ! Après avoir hésité, nous avons décidé d’aller voir un avocat, Me Yohan Attal, qui nous a conseillé de porter plainte. Petit à petit, nous avons réalisé ce qui s’était vraiment passé.

 

C’est-à-dire…

A.U. : J’ai compris qu’en fait LSK était insolvable depuis plusieurs mois déjà lorsque nous avons investi, et que ses dirigeants avaient utilisé notre argent pour éponger leurs pertes, en espérant se refaire grâce à de nouveaux gros investisseurs. On a aussi appris que, contrairement à ce que l’on nous avait affirmé, LSK n’avait jamais eu ou même demandé l’agrément pour être une banque d’affaires. Et qu’enfin, alors que nous avions souscrit à l’augmentation de capital à 5,70 €, DSK, lui, avait acquis des titres au prix unitaire de 1 €. S’il n’a pas été actif dans la société, pourquoi une telle différence ?

 

Aujourd’hui, que ressentez-vous ?

A.U. : Le sentiment d’avoir été floué. D’autant qu’en 2014 la société de Dominique Strauss-Kahn, Parnasse International, liée au capital de LSK, a réalisé plus de 7 millions de bénéfices nets. Sans que rien ait été reversé à LSK ! Nous n’avons plus rien. Nous vivons depuis d’allocations, mais nous sommes très inquiets, pour nous-mêmes, et surtout pour l’avenir de nos enfants.

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