"On va te tuer, sale PD" : trois migrants homos témoignent

Amadou, Ismael et Marie ont confié à « Marianne » leur histoire commune : persécutés dans leurs pays en tant qu’homosexuels, ils sont venus trouver refuge en France. De la haine homophobe à laquelle ils ont été confrontés là-bas, à l’épreuve souvent longue de la demande d’asile ici, ils nous racontent tout.


Ils ne viennent pas du même pays, ne parlent pas la même langue mais leurs histoires se recoupent en un point sombre : ils ont dû fuir leurs pays d’origine, où ils étaient persécutés pour des questions d’orientation sexuelle, et sont venus demander asile en France. Amadou, Malien de 27 ans, Ismael, 35 ans, du Burkina Fasso et enfin la plus jeune, Marie*, Nigérienne de 19 ans : rencontrés par Marianne, les trois jeunes gens racontent tout, de la haine homophobe à laquelle ils ont été confronté là-bas, à l’épreuve souvent longue de la demande d’asile ici.

Il est difficile de donner un âge à Amadou. Physique élancé, sourire large et regard pétillant, rien ne laisse présager l’horreur qu’il a vécue. Ismael et Marie sont plus réservés, et l’émotion ne transparaît pas dans leurs récits : quand elle raconte son histoire, terrible, quelque chose dans le regard de Marie semble à jamais éteint.

L’horreur de la persécution

Orphelin à 2 ans, Amadou n’a pas connu l’abandon parental de ses compagnons d’infortune. Ismael n’a que 15 ans il est jeté hors du foyer familial. Il est né à Ouagadoudou, capitale du Burkina Faso, d’une famille musulmane très pieuse, où vivre son homosexualité était impensable. Ses parents avaient des doutes sur lui, jusqu’à ce jour de 1995 où sa cousine l’a surprise dans le lit d’un garçon. Il se retrouve aussitôt à la rue. Marie est l’ainée d’une famille aisée et respectée au Nigéria, « la préférée de ses parents » jusqu’au jour où ils découvrent sa liaison avec une fille de l’école. L’amour parental laisse alors place à la haine. Elle est aussi renvoyée du domicile familial.
Son père prend une décision impensable : engager deux hommes pour tuer sa propre fille.

La vie d’errance était une souffrance de tous les jours, se souvient Ismael, évoquant les viols qu’il a subis, puis sa vie de prostitué, pour survivre, dans les boîtes de nuit fréquentées par des touristes occidentaux. Loin du regard accusateur de ses parents, Marie croyait pouvoir vivre sa sexualité librement mais l’entourage de sa famille continue à l’épier et rapporte ses faits et gestes à son père. Furieux, celui-ci prend une décision impensable : engager deux hommes pour tuer sa propre fille. Le jour J, elle supplie ses assassins de l’épargner, ce qu’ils finissent par faire, non sans laissé sur son corps des séquelles graves. À l’article de la mort, Marie est secourue par un jeune homme, qui l’amènera dans un hôpital où elle passera un mois dans le coma.

En 2015 Amadou, qui se prostitue comme Ismael pour survivre, se réunit régulièrement chez lui avec des copains, « pour s’amuser », explique-t-il avec pudeur. Mais dans le quartier, des rumeurs courent quant à ces réunions nocturnes. Ses voisins lui jettent de « mauvais regards », le traitent de « sale PD », et leurs menaces se font chaque jour plus sérieuses. Un jour, raconte-t-il, après s’être fait agresser, il se rend au commissariat afin de porter plainte. Les policiers refusent d’enregistrer sa plainte, et l’apostrophent : « Pourquoi tu ne te comportes pas comme les autres hommes ? » Au Mali, l’homosexualité est passible de prison.

La prison, Ismael l’a connue deux mois. Installé depuis quelque temps avec un Français, la police vient l’arrêter chez eux, la loi burkinabaise interdisant à deux hommes de vivre sous le même toit. Son compagnon, lui, est renvoyé en France. A sa remise en liberté, direction la rue et le trottoir… Si elle n’a pas connu la prison, Marie aura également une mauvaise expérience avec la police : à peine sortie du coma, elle veut porter plainte. Mais les policiers ne la prennent pas au sérieux, la sachant lesbienne. C’est alors que Marie se résout à quitter le pays.

Amadou se souvient également du jour où il s’est décidé à partir pour la France. Le même où il faillit mourir lynché :

« Ce soir-là, j’étais allé à un concert avec un ami. Une autre amie, qui est aussi ma voisine, m’a appelé pour me dire que des gens s’étaient rassemblés autour de chez moi, avec des machettes et des chaines de vélo… Ils lui ont demandé : ‘Où est Doudou ?!’ (le surnom d’Amadou, ndlr) puis lui ont dit qu’ils allaient me tuer, car je n’étais à leurs yeux qu’un ‘sale PD qui ne mérite pas de vivre’. Ils ont forcé ma porte, sont entrés dans ma chambre, m’y ont attendu un moment, puis sont partis en criant qu’ils reviendraient me faire la peau. Je n’ai plus jamais revu ma maison. » 

Le calvaire de la fuite

Avec toutes ses économies, dès le lendemain, Amadou part en bus pour le nord du pays, où il trouve un passeur pour l’Algérie, puis jusqu’en Italie par la mer, sur une embarcation de fortune. Et enfin, autostop jusqu’à Paris, où il dépose une demande d’asile à la préfecture. Enfin, une connaissance emmène à l’ARDHIS, association qui aide les demandeurs d’asile ayant subi des persécutions dans leur pays du fait de leur orientation sexuelle. L’association « réfugiés Bienvenue » s’occupe de lui trouver des logeurs. Un couple l’accueille, avec qui il entretient d’excellents rapports. Il vit désormais dans d’attente du verdict de l’Office français de protection des réfugiés et apatrides (OFPRA), chargé d’examiner sa demande.

Il subit des agressions allant jusqu’à des mutilations au niveau du sexe

C’est en 2014 qu’Ismael connaît le pire. Il subit des agressions allant jusqu’à des mutilations au niveau du sexe ; autant d’agressions revendiquées comme homophobes, raconte-t-il. C’est là qu’il s’envole pour la France. Une connaissance, le dirige vers la préfecture, afin de faire une demande d’asile en tant que persécuté dans son pays d’origine. Là bas, on le dirige vers l’OFPRA. En attendant que son dossier soit examiné, le jeune homme vivra trois mois entre les abris bus et les centres d’hébergement pour sans abri.

La galère de la demande d’asile

En France, les pas de Marie la mènent jusqu’à une station de métro où elle dormira quelque temps, et où elle fera une rencontre déterminante : une Congolaise écoute son histoire et la dirige vers une petite association où elle rencontre Ariane, qui deviendra son assistante sociale. Enfin Marie découvre à son tour l’ARDHIS. Des bénévoles l’aident dans ses démarches de demande d’asile, toujours en attente.

« Vous pouvez vous travestir, pour aller dans un centre de femmes »

Dans les centres d’hébergement pour sans abris, Ismael se sent discriminé : sur son passage, raconte-t-il, les gens s’écartent, le regardent mal. Il décide d’appeler le 115 et de leur expliquer qu’il se sent de moins en sécurité, ayant entendu parler d’agressions homophobes dans ces centres. Ce que lui répond la voix au téléphone le laisse abasourdi : « Vous pouvez vous travestir, pour aller dans un centre de femmes et vous mettre à l’abri des agressions. »

Un ami burkinabais, retrouvé en France, finira par l’orienter vers l’ARDHIS, où il trouve cette fois une aide précieuse. Des bénévoles, outre l’assistance aux taches administratives, lui proposent des sorties, des rencontres avec d’autres gays réfugiés ayant connu des histoires similaires, et avec qui il se lie d’amitié. Ils le préparent également aux questions des officiers de l’OFPRA, lui font passer des entretiens fictifs où il doit raconter avec le plus de cohérence possible les raisons qui l’ont poussé à fuir son pays. Car pour lui comme pour Marie et Amadou, le parcours du combattant n’est pas terminé : il leur faut encore convaincre le pays des droits de l’Homme de leur accorder sa protection.

*Le prénom a été changé.

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