Dépakine ou le syndrome d’une chaine du médicament malade

Les conclusions du rapport, fort attendu, de l’Inspection générale des affaires sociales (Igas) sur l’antiépileptique aux effets indésirables graves pour les enfants exposés in utero, font apparaître un certain retard à l’allumage de la part des autorités de santé. Un manque de réactivité préjudiciable. Une fois de plus.

Pour un peu, cela en deviendrait lassant. Les conclusions du rapport de l’Inspection générale des affaires sociales (Igas) sur l’antiépileptique Dépakine ont été rendues publiques mardi 23 février, après moult péripéties. L’enquête avait été commandée en juin 2015 par la ministre de la Santé, Marisol Touraine, afin de comprendre comment ce médicament des laboratoires Sanofi, commercialisé depuis 1967, avait pu être prescrit à des femmes en âge de procréer alors même que ses effets malformatifs sur les bébés exposés in utero étaient connus depuis de longues années, comment les patientes avaient pu être aussi peu informées de ces risques, la notice ne les précisant qu’en 2010. Réponse de l’Igas : « un manque de réactivité des autorités sanitaires et du principal titulaire de l’autorisation de mise sur le marché (Sanofi, nldr) ». «  Les alertes ont été, au plan français et européen, motivées davantage par des signaux exogènes, notamment médiatiques, que par une prise en compte des données de pharmacovigilance et des publications scientifiques », poursuit la mission.

En clair, il existait des signaux, des informations sur les risques que présente la Dépakine. Ceux qui devaient les entendre ne les ont pas entendus. Les occasions n’ont pourtant pas manqué, comme le souligne l’Igas : la littérature scientifique était abondante (943 références ont été retrouvées dans la base de données Medline, un grand nombre datant des années 1980) et des alertes concrètes ont été remontées – en vain.

A partir de 1988, des cas de malformations ont ainsi été examinés en Commission technique de pharmacovigilance « sans que la mission (de l’Igas) ait eu connaissance de suites données à ces signalements ». « Entre 1986 et 1995 inclus, ce sont 74 cas liés au valproate de sodium (la substance active de la Dépakine, nldr) qui sont recensés dans la base nationale de pharmacovigilance ». Plus tard, en 2002, la France assiste à une réunion européenne où le manque d’information des patientes sur les risques des antiépileptiques est pointé. Alors que d’autres pays modifient les notices de la Dépakine dès 2003-2004, la France reste passive. « Aucune précision sur la nature des risques encourus n’intervient en France avant la modification de juin 2010. A cette date, l’information donnée reste peu détaillée », souligne l’Igas. En décembre 2006 puis juin 2007, deux comités techniques de pharmacovigilance constatent cette même faible connaissance des risques par les neurologues et les psychiatres cette fois. Une note est alors envoyée à l’Agence de sécurité sanitaire des produits de santé, proposant la constitution d’un groupe de travail sur l’information des prescripteurs. « A la connaissance de la mission, aucune suite n’a été donnée à cette alerte », note une fois encore l’Igas.

Il faudra attendre l’action des patients pour que les choses bougent

Pendant ce temps d’errements, des femmes épileptiques continuent à avaler de la Dépakine au cours de leur grossesse sans savoir que le médicament, s’il est efficace pour leur maladie, comporte de vrais dangers pour leurs futurs enfants, des mères de famille ne comprennent pas pourquoi leurs filles et leurs fils souffrent de retards psychomoteurs, de troubles neuro-cognitifs… Il faudra attendre l’action de patients, véritables lanceurs d’alerte, pour qu’enfin, les choses bougent. D’abord en 2013, avec la réévaluation, par l’agence sanitaire anglaise, de la Dépakine, et un renforcement des conditions de prescription, puis en 2015, avec la plainte déposée au pénal par Marine Martin, une maman dont les enfants sont handicapés après avoir été exposés in utero à la Dépakine, que le Figaro rend publique.

Un exemple des lacunes de notre système du médicament

Une fois de plus, l’affaire de la Dépakine, dernier scandale qui aurait du être évité en date, démontre les lacunes de notre système du médicament. En 2010, le Mediator avait déjà mis en lumière ses manquements, sur fond, en plus, de collusion avec les laboratoires Servier  : les alertes sur l’absence d’efficacité du produit, son utilisation en dehors des indications officielles, ses effets indésirables graves, ont été laissées sans suite des années durant. Là aussi, il aura fallu l’intervention déterminée d’une lanceuse d’alerte, la pneumologue brestoise Irène Frachon, et les révélations de la presse pour que le produit soit retiré et les patients, informés. S’en étaient suivi un rapport de l’Igas, des missions parlementaires, une réforme du circuit du médicament, des promesses de « plus jamais ça ».

Deux ans plus tard, en décembre 2012, une nouvelle crise sanitaire éclate : il s’agit, cette fois-ci, des pilules contraceptives de 3ème et 4ème génération. Une jeune femme, Marion Larat, victime d’un AVC sous pilule, dépose une plainte contre le laboratoire producteur et l’agence sanitaire, reprise par Le Monde. Le manque de réactivité des autorités de santé apparaît encore une fois : alors que ces pilules là ne doivent être prescrites qu’en deuxième intention, seulement si celles dites de deuxième génération ne sont pas tolérées par les patientes, on s’aperçoit que les recommandations ne sont pas suivies. Les données de prescription le montraient depuis quelques temps, des patientes avaient tirés des sonnettes d’alarme les années précédentes, sans véritable succès…

Au delà du seul cas de la Dépakine, la mission de l’Igas sur la Dépakine a formulé des propositions pour une meilleure pharmacovigilance et pour que de tels drames ne se reproduisent plus. Il est plus que temps.

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