Loi El Khomri : l’Uberisation à l’américaine

Pour Danielle Simonnet, conseillère de Paris et secrétaire nationale du Parti de gauche, la loi El Khomri « s’inspire directement de l’administration américaine d’Obama pour offrir un boulevard à l’ubérisation de la société ». Une ubérisation derrière laquelle se cache « le capitalisme le plus sauvage ».

La loi El Khomri casse non seulement le code du travail, mais elle permet également de se passer du code du travail d’une manière bien simple, en encourageant la fin du salariat : le soutien aux plateformes du type Uber permet de lui substituer l’imposition du statut de travailleur indépendant ou d’auto-entrepreneur. Pour ce faire, dans l’article 23 de la loi, elle s’inspire directement de l’administration américaine d’Obama pour offrir un boulevard à l’ubérisation de la société. Cette ubérisation, c’est l’arme du capitalisme pour, au nom de l’innovation, imposer une dérégulation totale du travail, un nouvel esclavagisme.

Malgré la grève historique des taxis et le début de mobilisation de chauffeurs VTC contre leur plateforme comme Uber ou LeCab, le gouvernement a décidé de protéger les plateformes.

Bien sur, comme à chaque fois, de petites avancées sont instaurées pour masquer la grande régression sociale à l’oeuvre. Ainsi, dans l’article 23 de la loi El Khomri, les plateformes doivent dorénavant cotiser à certaines dépenses (l’assurance accidents du travail, la formation professionnelle et la validation des acquis de l’expérience). La loi prévoit l’obligation pour les travailleurs de s’enregistrer d’une manière ou d’une autre pour éviter l’infraction de travail dissimulé. Les travailleurs ont même le droit de constituer un syndicat. Royal, non ?

L’enjeu de la requalification des chauffeurs VTC en salarié est essentielle

Mais dans le même temps, la loi précise que tout litige entre les travailleurs et les plateformes relèveront dorénavant des tribunaux de commerce, que le travailleur ne peut être regardé comme ayant avec la plateforme un lien de subordination juridique caractéristique du contrat de travail. Cette précision est bien le coeur de cet article 23 de la loi El Khomri. Son objectif est clair : empêcher que les batailles des travailleurs en Californie pour leur requalification en statut de salarié vis à vis de la plateforme Uber ne contaminent les travailleurs VTC français et européens. Et c’est urgent car précisément en France, des syndicats et associations s’organisent : la CGT taxis, l’UNT et d’autres sont partie civile dans le procès contre Uber au sujet de la filiale Uber pop ; l’Unsa CSP-VTC ou encore l’association Actif VTC ont engagé des démarches contre LeCab pour salariat déguisé devant les prud’hommes. Aux Etats Unis, les travailleur-euse-s de l’aide à domicile avaient arraché cette reconnaissance de salariat à la plateforme Enjoy.

Mais avec cet article 23, les batailles des travailleurs pour obtenir une requalification en statut de salarié va être beaucoup plus difficile. Les plateformes comme Uber vont donc continuer plus que jamais à se considérer comme des simples éditeurs d’appel, alors que l’entreprise est bien présente dans tout le processus tel un employeur.  L’enjeu de la requalification des chauffeurs VTC en salarié est essentielle, contre la concurrence déloyale et pour les travailleurs eux-mêmes, leur accès aux allocations chômage, aux indemnités maladie, à la retraite, à l’ensemble de leurs droits.

La loi El Khomri vole à la rescousse des plateformes contre les travailleurs

La loi El Khomri vole donc à la rescousse des plateformes contre les travailleurs. Le gouvernement français s’inspire de l’administration d’Obama qui a estimé nécessaire de repenser le salariat à l’heure de la nouvelle économie dite faussement collaborative. Celle-ci est présentée comme le top de l’innovation, créatrice de croissance et d’emploi, la nouvelle révolution technologique et sociale de l’ère des Start-up. David Plouffe, l’ex stratège de la campagne électorale du président Obama en 2008 avant de devenir le vice Président d’Uber déclarait : « Uber a l’occasion de devenir la société de la décennie, si ce n’est la société d’une génération. Bien sûr, cela représente une menace pour certains et l’entente au sein du secteur des taxis essaye de s’opposer à la technologie et au changement. » L’ancien contre la modernité…

Archaïques les taxis ? C’est pourtant, de l’aveu même du médiateur M. Grandguillaume, la profession la plus connectée aux réseaux sociaux. Les taxis sont tout à fait conscients de l’enjeu des applications. Ils revendiquent d’ailleurs que la Ville de Paris (et d’autres villes) s’engage enfin à installer une application Paris-taxis digne de ce nom, qui utilise l’Open Data mis en place par l’Etat afin de permettre la géolocalisation de tous les taxis et de rendre possible la connexion gratuite avec les clients sur la capitale, bataille que je relaie au Conseil de Paris.

La « modernité » libérale de Mme El Khomri nous ramène au Moyen-âge

La “modernité” libérale que Mme El Khomri veut imposer dans la lignée américaine, nous ramène ni plus ni moins au Moyen-âge, époque sans contrat et encore moins de code du travail. Un esclavage moderne, mais souriez puisque vous êtes connectés ! Un rêve pour les plateformes multinationales : elles sont assurées de ne pas avoir à assumer le rôle d’employeur, pas besoin ni de payer de salaires, ni de cotisations sociales ni de respecter le code du travail, ni de payer les coûts fixes. C’est au travailleur de s’en charger ! La plateforme se cantonne à mettre en relation des clients et des personnes pour exécuter un service, fixe les prix, encaisse 20% de commission, et place tout cela sur son compte aux Bermudes sans payer le moindre impôt en France ! Et derrière ces multinationales on retrouve par ailleurs les géants de la finance tel que Goldman Sachs…

Pour l’instant c’est l’offre de transports, mais plein d’autres activités sont prévues dans la stratégie de développement de Uber, comme la livraison de repas via UberEats (qui existe déjà à Paris), d’objets via Ubercargo, de produits frais via UberFresh. Un département UberEverything a même été créé pour impulser une diversification tous azimut à nombre d’activités de services (ménages, aide à la personne, relaxation, cours privés..). Le marché est juteux et le gouvernement peut à court terme y avoir un intérêt cynique : imaginez le nombre de personnes qui disparaîtront des chiffres du chômage si elles se retrouvent dans ces petits boulots précarisés ? Peu leur importe la régression sociale du statut de ces travailleurs, et la remise en cause des métiers et des artisans, commerçants et PMI pouvant être attaqués par les dérégulations de ces nouveaux prédateurs du capitalisme financiarisé. Ils espèrent sans doute qu’en plus “ces petits” se battent entre eux et les laissent, eux la poignée de gros, continuer à s’en mettre plein les poches. Tout est prévu par ailleurs : les accords du Grand Marché Transatlantique, si on ne s’y oppose pas, accéléreront le processus de façon irrémédiable et nous promettent un enfer social pour le plus grand nombre au profit d’un paradis fiscal pour une poignée.

L’uberisation, entendez le capitalisme le plus sauvage, est donc en marche, et le gouvernement PS l’accompagne ! Soutenons les taxis comme les VTC qui engagent des actions contre leurs plateformes. Et comme eux, salariés comme artisans et commerçants, soyons des insoumis : mobilisons-nous pour exiger l’abandon de la loi El Khomri !

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