Martine Gozlan, rédactrice en chef à « Marianne » et écrivain, réagit à la récente tribune de 12 ex-diplomates parue dans « Le Monde » et emplie de mauvaise foi sur le conflit israélo-palestinien.
Douze ex-diplomates ont publié récemment dans le Monde une tribune très peu diplomatique, car le treizième invité qui inspirait leur texte était la mauvaise foi. Sous le titre «Paris et Bruxelles doivent agir pour sauver l’Etat palestinien», ils se livrent en effet à des insinuations et des anathèmes peu compatibles avec l’éthique d’une fonction – ambassadeur – exercée naguère et dont ils se prévalent aujourd’hui pour valider des thèses agressives. Qui ne voudrait agir «pour sauver l’Etat palestinien» ? A Marianne, comme dans le journal qui le précéda, l’Evénement du jeudi, j’ai consacré, aux côtés de Jean-François Kahn, suffisamment d’analyses et de reportages à cette nécessité – le droit à un Etat pour les Palestiniens, le droit à la sécurité pour l’Etat d’Israël – pour ne pas réagir à des manipulations sémantiques qui, sous couvert d’appeler à une solution, ne font qu’entériner une impasse.
Qui ne voudrait agir « pour sauver l’Etat palestinien » ?
D’abord, les auteurs accréditent un mensonge. L’actuelle vague de terreur au couteau, à la voiture bélier ou à l’arme automatique serait «aggravée par les rumeurs concernant la récupération par les juifs du mont du Temple». On sait que ces rumeurs ont été répandues par l’islamiste Salah Raed, leader du Mouvement islamique, qui a envoyé des jeunes recrues, dûment rémunérées, à l’intérieur de la mosquée Al-Aqsa pour déclencher les troubles au début de l’automne dernier. Le même groupe a diffusé ce bruit assassin sur les réseaux sociaux, sans être jamais démenti par l’Autorité palestinienne. Nos observateurs vigilants devraient avoir à cœur de rétablir les faits. L’esplanade des Mosquées – le mont du Temple pour les juifs – est administrée par le Waqf, l’office des biens musulmans, sous l’autorité de la Jordanie. Ce «statu quo», selon la dénomination en rigueur, n’a jamais été remis en question depuis 1967 par les différents gouvernements israéliens, comme l’a réaffirmé immédiatement Benyamin Netanyahou. Le Premier ministre – dont par ailleurs Marianne récuse la ligne – tient bon sur ce point crucial face à ses extrémistes. De cette réalité, pas un mot. Mais une phrase, une seule, chargée, semble-t-il, de donner corps et légitimité à une calomnie.
Sous couvert d’appeler à une solution, ces manipulations sémantiques ne font qu’entériner une impasse
Ensuite, les signataires considèrent que la question palestinienne «constitue un objet grave de dissentiment avec le monde arabo-musulman et qu’elle est, en toutes circonstances, utilisée contre l’Occident par les extrémismes religieux». Autrement dit, ne cherchez plus, si nous sommes frappés à Paris, c’est cette affaire qui en est cause et non le totalitarisme égorgeur de l’Etat islamique qui, d’après ces extralucides, s’éteindra de lui-même pourvu qu’Israël, apparemment seul fauteur de troubles du chaos moyen-oriental, soit ramené à la raison. Hélas, déplorent-ils, «l’Europe est inhibée par l’ombre de la Shoah et la puissance des lobbies qui défendent les options les plus extrêmes de la droite israélienne». Elle est donc invitée à secouer le joug de la mémoire de l’extermination autant que celui de ces puissances occultes… dont, faut-il le rappeler à ces vieux ambassadeurs retirés de tout sauf du pire, l’évocation fantasmatique conduisit précisément il y a plus de soixante-dix ans au génocide. Ils manient enfin l’amalgame suprême, appelant la coalition internationale contre Daech à «un effort équivalent» en faveur du peuple palestinien. La boucle est bouclée : si on lutte contre l’Etat islamique, il faut aussi lutter contre Israël ! En attendant, toute coopération doit être suspendue avec ce pays décidément pas comme les autres «pour lui éviter de perdre son âme».
Pour l’âme d’Israël, que ces bons médecins se rassurent : aussi déchirée qu’elle soit, elle a toujours survécu. Pour l’âme palestinienne, qu’elle se méfie de tels amis : aujourd’hui comme hier, ils aggravent son malheur.
* Martine Gozlan est rédactrice en chef à Marianne et écrivain. Auteur, notamment, d’Israël contre Israël (L’Archipel).
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