"Merci patron !" : quand Bernard Arnault se fait piéger par un couple de chômeurs

Avec son documentaire « Merci patron ! » en salles le 24 février, le journaliste François Ruffin met en scène un improbable coup monté destiné à faire éponger par le milliardaire Bernard Arnault les dettes d’un couple d’ex-salariés licenciés du groupe LVMH. Une « mission de réconciliation » plutôt réussie.

C’est le film d’une jolie farce dont le dindon n’est autre que le patron du groupe de luxe LVMH, Bernard Arnault. Aux manettes de la manigance, Serge et Jocelyne Klur, « des pions » parmi tant d’autres, comme ils se définissent eux-mêmes, licenciés en 2007 de l’usine Ecce de Poix-du-Nord, propriété du milliardaire français. L’usine, délocalisée dans les pays de l’Est, était la dernière à produire des costumes masculins en France pour des marques prestigieuses comme Kenzo ou Givenchy. Tristement représentatifs du sort de milliers de familles françaises, les Klur, domiciliés à Forest-en-Cambrésis, dans le Nord, sont passés du chômage aux minima sociaux, jusqu’à devoir se priver de chauffage et de nourriture, le tout sous la menace de la saisie de leur maison.   

Endossant un rôle quelque part entre Pierre Carles et Michael Moore, le journaliste François Ruffin décide de mener une ambitieuse « mission de réconciliation » entre les Klur et Bernard Arnault. L’objectif : sortir le couple du marasme financier dans lequel il est englué du fait de son licenciement, à hauteur de 35.000 euros, et trouver un travail à Serge et Jocelyne. Le documentaire, qui assume une certaine forme de vengeance, a surtout pour dessein de rappeler aux puissants les conséquences humaines de leurs actes. Pas sûr que Bernard Arnault himself s’en émeuve, mais le procédé fonctionne sur le spectateur.

Parfois sur le fil du pathos, sans pour autant verser dans le larmoyant, un François Ruffin très présent à l’écran séquence la folle équipée des Klur comme une drolatique odyssée. Et la crédibilise aussi comme un combat légitime, celui du faible contre le fort. La mécanique pourrait paraître binaire mais elle parvient à mettre en scène avec force et humanité, loin des chiffres et de la macro-économie, les dégâts dramatiques de la course à la délocalisation et des diktats de la finance.

Perturber une AG de LVMH, la menace qui fait mouche
L’une des plus fortes séquences de Merci patron !, tourné au cours des années 2013 et 2014, vient d’ailleurs d’un extrait de reportage d’Envoyé Spécial, dans lequel le patron d’une immense usine textile bulgare produisant des vêtements griffés LVMH détaille la stratégie de toute bonne multinationale : « Peut-être que dans un an ou deux, on va transférer une petite unité en Grèce, parce que personne ne sait comment ça va évoluer ici, il est possible que les salaires continuent à augmenter, donc on va manquer de main d’œuvre abordable d’ici trois ans. Alors qu’on aura plein de gens au chômage en Grèce ».

Les Klur, eux, restent à Forest-en-Cambrésis et avec l’aide du stratège Ruffin, tirent les ficelles d’une machination qui va berner les fins limiers de la sécurité de LVMH. Pour la multinationale, la discrétion est une règle d’or : à la moindre vague, le cours de l’action peut fluctuer dangereusement et fâcher tout rouge les actionnaires. Alors, les comploteurs pressentent vite que leur levier de pression principal tient dans la promesse de chambouler le bon ordre des assemblées générales du groupe, où l’on préfère servir le champagne que de subir des chômeurs en fin de droit. Dans un grand bluff habilement mené, Ruffin et ses protégés brandissent le chiffon rouge des « Goodyears », de Jean-Luc Mélenchon et d’autres agitateurs comme autant d’épouvantails prêts à déferler sur la prochaine AG du groupe.

Caméras cachées et micro dissimulés dans un chat en peluche
Il est alors saisissant de constater avec quelle célérité LVMH envoie directement négocier à Forest-en-Cambrésis l’un de ses responsables de la sécurité – le chef de ce secteur du groupe n’étant autre que Bernard Squarcini, l’ancien patron de la DCRI, très proche de Nicolas Sarkozy. D’emblée, l’ancien commissaire mandaté par Squarcini et LVMH dans le Nord, ridiculisé par les caméras cachées et le micro dissimulé dans un chat en peluche, s’empresse d’éponger les dettes du couple et d’offrir à Serge Klur un CDD de 6 mois, puis un CDI, au Carrefour de Landrecies.

Avec une obsession, le silence : « On ferme son plomb. Il ne faut pas qu’à un moment donné, on puisse dire que je me suis laissé attendrir par vous ou je sais pas quoi », ajoute le négociateur, effrayé à l’idée de devoir rendre des comptes aux « 200 autres qui ont été virés ». Et l’émissaire de LVMH de conclure, en évoquant Bernard Arnault : « Il est milliardaire hein, tant mieux pour lui. Mais quelque part, comme vous dites, il a quand même un brin d’humanité ». Un brin qui ici, se résume surtout à la récupération de sept lettres, que le couple nordiste s’apprêtait à envoyer à la presse et à certains politiques. De la TNT pour le barbouze de LVMH : « Chaque lettre est une balle, et il y en avait une qui aurait pu faire mouche », lâche-t-il aux Klur.

In fine, les lettres resteront sans destinataire, et donc inoffensives. Le film devrait faire plus de dégâts, surtout si la promotion de ce dernier subit les foudres de la censure. Selon l’équipe de Fakir contactée par Marianne et le site Arrêt sur Images, Europe 1 aurait ainsi annulé cette semaine la participation prévue de François Ruffin à l’émission de Frédéric Taddei. Un acte de solidarité entre amis milliardaires, Europe 1 étant la propriété d’Arnaud Lagardère ? Finalement, le réalisateur sera l’invité de Jean-Michel Aphatie ce mercredi dans Europe 1 Midi. Mais l’équipe du film évoque d’autres cas de censures dans les médias, moins directs, mais qui pourraient s’expliquer par le fait que le groupe LVMH est un des principaux annonceurs de la presse française…

Merci patron ! en avant-première

Le documentaire de François Ruffin peut encore être vu en avant-première dans quelques salles avant sa sortie nationale le 24 février :
– le 22 février à Chelles, au Cosmos, 20h30
– le 25 février à Montreuil, au ciné Le Méliès (horaire à confirmer)
– le 29 février à Fontenay-sous-Bois, au Kosmos, 20h30

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