Erri De Luca, soutien inattendu de Valls

Erri De Luca n’est pas qu’un écrivain mondialement connu. Proche des mouvements altermondialistes, ardent défenseur des ouvriers, grand lecteur des textes sacrés, il a été accusé d’incitation au sabotage, l’an dernier, en Italie, et a fait le tour de l’Europe pour expliquer ses positions. Ses romans se déroulent tous à Naples, mais sa conscience politique est large. Consterné par les attentats en France, cet intellectuel qui n’a rien d’un va-t-en guerre prend la parole dans « Marianne » et s’explique franchement : il faut intensifier les bombardements pour réduire Daech à l’impuissance militaire. EXTRAITS.

Marianne : Comment percevez-vous la mobilisation actuelle contre le terrorisme islamiste ?

Erri De Luca : Nous sommes dans un scénario de guerre à l’échelle mondiale, un choc entre deux visions de l’islam. A la fin de ce conflit, il y aura inévitablement un vainqueur et un perdant, mais pas de traité de paix. Le califat – c’est le mot que je préfère à l’appellation « Daech », l’esprit de cette organisation étant identique à celui des premiers califats qui voulaient agrandir leur territoire -, me fait penser à une entreprise. Soit elle s’agrandit soit elle met la clé sous la porte. Voilà pourquoi il faut s’insérer dans cette guerre et choisir l’un des deux camps. Mais sans envisager de soutenir Bachar al-Assad, même provisoirement, car l’homme est inutilisable. Il faut éliminer le califat, le réduire à l’impuissance d’un point de vue militaire. Sur le terrain, Daech est en train de reculer, grâce aux Kurdes, qui se battent avec une grande efficacité. Il faut intensifier les bombardements, insuffisants en l’état actuel, et envoyer les troupes terrestres. La France, par exemple, n’a plus le choix. L’aviation ayant été mobilisée pour bombarder les positions du califat en Syrie, il faut aller jusqu’au bout. Cela permettra de bloquer ce qui se passe ailleurs, Boko Haram au Nigeria, les bombes des terroristes extrémistes à Jakarta et Ouagadougou qui sont liés au califat et à son éventuelle progression en Syrie et en Libye. Toutefois, la vraie bataille se joue en Irak, et c’est là qu’il faut intervenir, en prenant Mossoul.

« Il faut s’insérer dans cette guerre et choisir l’un des deux camps »

Mais l’anéantissement du califat pourrait déboucher sur la création d’autres mouvances. Peut-on éviter un tel scénario ?

E. d L. : Ce qui viendra après, nous n’en savons rien ! Du moins pour le moment, car on ne peut pas faire de prévisions sur le long terme. Il n’est pas dit que l’on puisse anéantir le califat à court terme, car c’est un Etat avec un territoire. Un point me frappe : c’est la première fois dans l’Histoire moderne qu’une guerre doit être combattue sur le terrain et que les «alliés» n’arrivent pas à prendre une décision dans ce sens. Pour en revenir au scénario de l’après-califat, on peut imaginer les différentes factions libyennes signant un armistice pour se partager le territoire. Les guerres sont par définition épuisantes, donc épuisables. La guerre éternelle n’existe pas, même en ce qui concerne la Syrie. Un jour, cela s’arrêtera.

(…)

Après les attentats de Paris, de jeunes sociologues ont évoqué un processus d’exclusion des immigrés, qui aurait nourri leur haine envers leurs pays d’accueil. Avez-vous le sentiment que des fautes ont été commises ?

E.D.L. : Toutes les sociétés commettent des erreurs. Il y a des Italiens qui sont des « sous-Italiens ». Lorsque j’étais ouvrier à Turin, un propriétaire avait collé un écriteau sur son immeuble disant : « On ne loue pas aux Napolitains ». C’est comme un besoin de s’en prendre à ceux qui sont en bas de l’échelle. Mais cela ne transforme tout de même pas automatiquement les personnes en assassins potentiels. Je ne sais pas si on peut faire mieux au niveau de l’intégration. Dans les banlieues parisiennes, j’ai vu des bibliothèques, des cinémas, des centres de loisirs et de rencontre. Il y a un effort, une véritable présence sur le plan culturel qui n’existe pas en Italie. Cette nouvelle explosion terroriste nous offre la possibilité de renouer les fibres de la société, de renforcer le sentiment de solidarité.

« La déchéance de nationalité est indispensable »

Que pensez-vous de la proposition de Manuel Valls sur la déchéance de nationalité ?

E.D.L. : C’est une mesure quasiment élémentaire et, surtout, indispensable. Ces gens-là doivent savoir que, en partant, ils ne peuvent pas revenir en arrière. Ils ne s’offrent pas un voyage aux Caraïbes, ils partent en tournée militaire, c’est différent. A partir du moment où ils décident de trahir leur pays, de combattre contre leur patrie, de rallier une organisation terroriste, c’est fini. Chacun est libre de choisir, mais pour choisir, il faut être responsable. On ne peut pas les décourager, mais on peut les avertir et, surtout, éviter qu’ils utilisent les compétences militaires acquises durant leur « voyage » pour organiser des massacres.

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