Notre orthographe est aussi un bel instrument de reproduction des inégalités

Mes élèves ne peuvent pas comprendre et mémoriser pourquoi « chou – genou – hibou – caillou » et pas les autres… Et moi, tous les jours, je me casse la tête, je lis, je cherche, j’explique, je crée, je réfléchis, je bricole, j’innove, j’invente…

La simplification de l’orthographe… Qui agite, scandalise, révolte, heurte, chagrine… Moi je suis enseignante spécialisée, je travaille dans un IME. « Un quoi ?« , me demanderont la plupart, montrant à quel point nous ne sommes pas forcément tous concernés par la question du handicap… Oui, donc un Institut Médico-Éducatif.

Mes élèves sont grands, petits, blonds, roux, bruns, maigres, enrobés, aux cheveux longs, courts, ce sont des garçons, des filles…  Mes élèves rient, pleurent, crient, aiment, travaillent, apprennent, m’apprennent… Mes élèves ont une déficience intellectuelle moyenne ou profonde et parfois des troubles du spectre autistique.

Mes élèves ont des troubles des fonctions cognitives qui altèrent leur capacité à mémoriser, comprendre, abstraire, symboliser, catégoriser… Toutes ces facultés nécessaires à apprendre à lire et à écrire. Mes élèves essaient, s’accrochent, souffrent de ne pas pouvoir apprendre comme les autres enfants.

Mes élèves ne peuvent pas comprendre et mémoriser pourquoi « chou – genou – hibou – caillou » et pas les autres, pourquoi « 90 » ne s’écrit pas « 4-20-10 », pourquoi les lettres muettes, pourquoi les accents dans tous les sens, pourquoi les doubles consonnes…
Pourrions-nous imaginer que simplifier, c’est rendre accessible ?
Et moi, tous les jours, je me casse la tête, je lis, je cherche, j’explique, je crée, je réfléchis, je bricole, j’innove, j’invente, je m’épuise même parfois, je me bats pour eux, pour mes élèves, parce que ça, tous ces « pourquoi » on ne les trouve justement pas dans les manuels.

Notre belle langue française est pleine d’irrégularités, que l’on idolâtre comme des marques historiques et intellectuelles, certes, et je peux aussi le concevoir et en discuter. Je peux même admettre que j’ai tort. Elle est aussi un bel instrument de reproduction des inégalités.

Et pour les plus déprimés à l’idée de perdre le circonflexe, ne vous inquiétez pas, notre orthographe restera encore longtemps une mine de complexité. Et puis pour ceux qui voudraient essayer d’y réfléchir, plutôt que de penser que simplifier, c’est dégrader, pourrions-nous imaginer que simplifier, c’est plutôt rendre accessible ?
 


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