C'est le peuple qui remettra la Gauche en mouvement, pas l'inverse

La mise à disposition populaire de Jean-Luc Mélenchon le 10 février résonne comme une rupture salvatrice. Ce n’est certes qu’un début mais c’est le seul chemin qui vaille.

L’Assemblée nationale vient d’adopter le double projet de déchéance de nationalité et de constitutionnalisation de l’état d’urgence. La France perd ce qui la rendait si grande : son universalité et l’indivisibilité du peuple. La Gauche voit quant à elle son honneur foulé aux pieds.

Au moment de l’humiliation, ils étaient à peine plus de 150 en séance vendredi 5 février au palais Bourbon pour écouter un Premier Ministre à la parole dévalorisée. A peine 129 pour adopter lundi 8 février rien moins que l’article 1 qui modifie la Constitution. Ceux de la majorité préféraient fuir leurs contradictions. Ceux de l’opposition ne voulaient pas avoir à adouber des mesures qu’ils ont proposées mais désormais présentées par d’autres. La démonstration est terrible : non seulement l’exécutif est nu, mais le Parlement s’auto-dessaisit à trop avoir été aliéné.

Qui pourrait dès lors reprocher au peuple son sentiment de déshérence avancée quand le spectacle politico-médiatique vire à la farce : des projets de lois sans but ni efficacité font pendant des semaines le buzz médiatique avant de se graver dans le livre de la France dans l’indifférence générale. Dans ce paysage crépusculaire, l’alternative semble impossible. Elle se défie de la traditionnelle alternance politique gauche-droite comme d’un pis-aller. Les digues ont été rompues par le ralliement à un même credo libéral. La quête du sens commun ne se fera pas dans les vieilles paroisses.

La quête du sens commun ne se fera pas dans les vieilles paroisses

Hier pourtant, la Gauche rassemblée pouvait prétendre à fédérer le peuple dans le pacte républicain et social hérité des Lumières et forgé par deux siècles de combats révolutionnaires et ouvriers. Mais en dissolvant la Gauche à force de ruptures et de reniements, le triumvirat d’airain Hollande / Valls / Macron a du même coup brisé la capacité à agréger autour de celle-ci. Elle n’est plus en capacité d’impulser un nouveau sens commun humaniste et progressiste. Dès lors, la Gauche peut bien se rassembler dans son tout ou ses parties, elle a perdu la force propulsive qui lui permettait son propre dépassement.

Le triste spectacle du rapiéçage des lambeaux de Gauche dans une primaire artificielle l’enterre une seconde fois. Voilà la Gauche qui, de l’aveu même de Yannick Jadot, se réduit à nouveau à des combines de cartels de partis. Le partisan des primaires a ainsi tranquillement posé que l’objectif était ensuite de partager les investitures aux législatives sur la base des résultats. Les primaires seraient donc le cache-sexe d’un troc de circonscriptions « à l’ancienne » dans une arrière-boutique. Imaginez : ceux-là même qui s’en réclament ne seraient pas prêts à se soumettre à une primaire dans leur circonscription, comme Cécile Duflot qui s’est ainsi dès le 8 février autoproclamée candidate aux législatives de 2017 !

La Gauche ne peut de toute façon pas prétendre s’élargir au peuple quand elle pratique l’exclusion et la caporalisation. Le bureau du Parti Socialiste du 8 février a ainsi acté par la voix de sa porte-parole Corinne Narassiguin la finalité de la manœuvre primaire : « Il y a un grand consensus […] d’aller vers une primaire de coalition, c’est-à-dire une primaire qui réunirait toute la gauche de gouvernement sans préalable et avec une seule condition : que tous ceux qui participent soient d’accord pour soutenir celui ou celle qui gagnera la primaire ». Exit donc Jean-Luc Mélenchon d’un côté et ralliement des autres derrière la bannière présidentielle de l’autre.

Derrière les calculs, les primaires sont surtout une machine à rétrécir les projets de rupture sur la base du plus petit dénominateur commun. Et donc à annihiler les capacités de mise en mouvement du peuple en imposant une resucée du vote prétendument utile qui sanctionne la défaite de la pensée politique. Les primaires ne mettront jamais à l’ordre du jour la bataille essentielle, celle pour l’hégémonie culturelle qui passe par l’activation d’une indispensable dispute politique. A défaut, nous devrons nous contenter d’un théâtre d’ombres, celui du marketing médiatique des « spin doctors made in France ». L’heure devrait au contraire être à investir l’agora en mettant en discussion les sujets qui font débat voire clivage. L’implication civique est-elle compatible avec la monarchie présidentielle ? La souveraineté populaire est-elle soluble dans le cadre des traités européens ? La financiarisation de l’économie est-elle inéluctable ? Quel temps de travail pour quelle société ? En s’adressant à l’intelligence de chacun-e, on élève son niveau de conscience et donc celui du peuple tout entier.

Quand la Gauche priorise les formes au détriment du fond, elle acte sa défaite par renoncements successifs avant même que le combat n’ait commencé. Il ne faut donc rien attendre de ce côté-là.  Mais les urgences indiquent que la mobilisation et l’action ne peuvent plus attendre. C’est le peuple qui remettra la Gauche en mouvement, pas l’inverse. Encore faut-il qu’elle y soit prête et disponible. C’est pourquoi la mise à disposition populaire de Jean-Luc Mélenchon le 10 février résonne comme une rupture salvatrice. Ce n’est certes qu’un début mais c’est le seul chemin qui vaille.  

*François COCQ et Francis DASPE sont responsables de l’AGAUREPS-Prométhée (Association pour la Gauche Républicaine et Sociale – Prométhée)

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