Fabius au Conseil constitutionnel, un retraité super-puissant

Le futur ex-ministre des Affaires étrangères va-t-il perdre du pouvoir en quittant le gouvernement ? Pas sûr, car le Conseil constitutionnel, dont il va prendre la présidence en mars, a vu son influence s’accroître considérablement ces dernières années.

Laurent Fabius va quitter son poste de ministre, mais sa future fonction devrait en faire un homme tout aussi courtisé qu’avant. Peut-être même plus. François Hollande a choisi cette semaine le patron du quai d’Orsay pour présider le Conseil constitutionnel. L’heureux nommé s’installera rue de Montpensier début mars. Deux autres nouveaux Sages devraient être intronisés en même temps que lui : la très discrète Corinne Luquiens, haut fonctionnaire de l’Assemblée nationale nommée par Claude Bartolone, et le conseiller d’Etat Michel Pinault, un parfait inconnu proposé par le président du Sénat Gérard Larcher.

Le terme d’une période pendant laquelle les candidats se sont, sans aucun doute, bousculés au portillon. Des convoitises qui prouvent que le Conseil constitutionnel est bel et bien devenu une juridiction d’influence. Il est loin, le temps où François Mitterrand fustigeait cette « Cour suprême de musée Grévin ». Il faut dire qu’à sa création en même temps que la Ve République, en 1958, le Conseil constitutionnel avait surtout pour mission d’empêcher le Parlement d’empiéter sur les prérogatives de l’exécutif. Une conception très césarienne voulue par de Gaulle et le principal rédacteur de la Constitution, Michel Debré.

Laurent Fabius pourrait bientôt retrouver sur son bureau des QPC posées par Bernard Tapie ou Jérôme Cahuzac

Près de 60 ans plus tard, c’est le fils de ce dernier, Jean-Louis Debré, qui s’apprête à passer la main à la présidence du Conseil constitutionnel. Sous son mandat, l’institution a bien changé. « C’est l’histoire d’une révolution tranquille », affirme Jean-Louis Debré à Marianne. « Ces cinq dernières années, nous avons rendu plus de décisions que le Conseil ne l’avait fait en un demi-siècle. » L’explication de cette brusque accélération tient en trois lettres : QPC. La question prioritaire de constitutionnalité, entrée en vigueur en 2010, donne à tout citoyen la possibilité de demander aux Sages de contrôler la conformité d’une loi à la Constitution. C’est pour cette raison que Laurent Fabius pourrait, dans quelques mois, retrouver sur son bureau des QPC récemment posées par Bernard Tapie ou son ancien collègue Jérôme Cahuzac dans le cadre de leurs procès…

Mais ce contrôle constitutionnel a posteriori n’est pas la seule cause de la montée en puissance du Conseil. S’il est de plus en plus influent, c’est aussi parce qu’il doit corriger les approximations du législateur, à en croire Jean-Louis Debré. « Les lois sont devenues de plus en plus grosses, difformes et bavardes. On fabrique des monstres juridiques à coup d’amendements », déplore-t-il. « A partir de là, il est normal que le contrôle de constitutionnalité soit sévère. » Ces dernières années, les Sages ont mis en fureur le pouvoir à plusieurs reprises en censurant des textes d’importance. Citons la riposte graduée de la loi Hadopi ou la contribution carbone sous Nicolas Sarkozy, la taxe à 75% ou la loi Florange sous François Hollande. Dernière décision marquante : en janvier, le Conseil constitutionnel a partiellement retoqué la généralisation du tiers payant prévue par la loi santé.

« Nous ne sommes pas un gouvernement des juges », se défend Jean-Louis Debré

« C’est une institution puissante. La preuve, c’est que le gouvernement et les parlementaires se demandent toujours ce que le Conseil constitutionnel va dire au moment de préparer un texte », explique Anne-Marie Le Pourhiet, professeur de droit public à Rennes-1 et vice-présidente de l’Association française de droit constitutionnel. Pour autant, la spécialiste n’y voit pas de dérive en l’état actuel des choses : « Ce n’est pas le gouvernement des juges. Le Conseil est pour l’instant resté une juridiction prudente, qui respecte le pouvoir d’appréciation du pouvoir politique. Ils n’ont pas touché aux textes à fort enjeu comme la loi renseignement, le mariage pour tous ou les lois antiterroristes. »

« Nous ne sommes pas un gouvernement des juges car nous ne pouvons pas décider nous-mêmes de nous saisir d’une affaire, contrairement à ce qui existe aux Etats-Unis », balaie lui aussi Jean-Louis Debré. Ce qui ne l’empêche pas de plaider pour renforcer le pouvoir des Sages, par exemple en les autorisant à contrôler les directives européennes. Il souhaite aussi que les anciens présidents de la République ne soient plus membres de droit : « ils n’ont plus leur place au Conseil », estime-t-il.

Quid du mode de désignation des neuf autres Sages, choisis par le chef de l’Etat et les présidents de l’Assemblée et du Sénat ? La puissance du Conseil constitutionnel rend évidemment ces nominations très politiques. Les anciens socialistes Lionel Jospin et Michel Charasse y siègent, tout comme l’ex-parlementaire UMP Jean-Jacques Hyest. Certains plaident pour en réserver l’accès à des professionnels du droit. Jean-Louis Debré, lui, est contre : « Il ne faut pas que ce soit un club de juristes. Laissons cette alchimie particulière qui permet que des personnes d’horizons différents se retrouvent autour de la table. » Charge désormais au nouveau chimiste en chef, Laurent Fabius, de mener les débats de ce cercle d’influence.

 

Rivalités et règlements de comptes : des Sages pas si sages que ça

Signe qu’il est devenu une institution très politique, le Conseil constitutionnel n’échappe à l’ambiance des petits règlements de comptes en coulisses. Valéry Giscard d’Estaing et Jacques Chirac, qui se vouent une haine tenace, s’y croisaient sans s’adresser la parole – Chirac n’y siège plus depuis 2011 pour raisons de santé. De nombreux observateurs ont vu dans l’invalidation des comptes de campagne de Nicolas Sarkozy par le Conseil, en 2013, une perfidie du très chiraquien Jean-Louis Debré. « Ça n’avait rien de surprenant : Debré ne peut pas voir Sarko ! », rigole un bon connaisseur de l’institution, qui raconte cette anecdote : « Un jour, Debré m’a montré avec un grand sourire ironique le bureau qu’il avait préparé pour Sarkozy au Conseil. C’était un cagibi minable ! Giscard et Chirac étaient évidemment bien mieux lotis. »

A gauche aussi, une rivalité pointe le bout de son nez. Laurent Fabius va retrouver au Conseil constitutionnel Lionel Jospin, son ennemi de toujours au Parti socialiste. « Si Hollande est battu en 2017, il y aura trois anciens secrétaires du PS au Conseil constitutionnel », s’amuse même un conseiller du chef de l’Etat. En oubliant que François Hollande a promis fin 2014 de renoncer à son droit d’y siéger… Un engagement qui l’empêchera de refaire avec ses anciens camarades leurs glorieux et moins glorieux congrès du passé.

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