Laurent Fabius au quai d'Orsay, quatre ans d'errance

Après près de quatre années passées au Quai d’Orsay, Laurent Fabius s’en va donc rejoindre son pire ennemi, Lionel Jospin, au Conseil Constitutionnel. Mise à part l’accord obtenu lors de la Cop 21, revu à la baisse depuis, il aura du mal à se vanter de son bilan. Car comme sous Nicolas Sarkozy, la France a navigué à vue, renforçant sa dépendance envers les Etats-Unis et fait des choix, comme en Syrie, moins sous le signe de la géopolitique que du bon sentiment.

Le 11 décembre dernier, bouclant la COP 21 après deux semaines de négociations serrées et incertaines, Laurent Fabius avait presque essuyé une larme. Plus habitué à la froideur, voir l’arrogance légendaire de l’ex « plus jeune Premier ministre de France », nombre de confrères s’en étonnèrent. Il y avait donc un homme sous l’armure du surdoué bardé de diplômes, le Juppé de la gauche, crâne d’œuf tout aussi prématurément dégarni et pareillement convaincu de sa supériorité, comme lui toujours haut perché dans la basse-cour des ambitieux de son parti. Ce jour-là, l’émotion de Laurent Fabius n’était certainement pas feinte, aiguisée autant par la fatigue accumulée par des mois de voyages incessants pour préparer la Conférence sur le climat que le soulagement d’y avoir évité le pire, même si « l’accord historique » obtenu au forceps a déjà été sérieusement revu à la baisse par la plupart des experts dignes de foi.

Ce jour-là aussi, Laurent Fabius n’ignorait pas que son départ du ministère des Affaires étrangères était acté, mettant vraisemblablement un terme à une longue carrière politique et ministérielle faite de quelques hauts et de pas mal de bas. Son passage au Quai d’Orsay sera probablement à ranger dans cette dernière catégorie. Ainsi remplace-t-il Jean-Louis Debré à la présidence du Conseil constitutionnel au moment où, aidée par ses alliés russes et iraniens, le Hezbollah et les milices chiites, l’emprise de l’armée syrienne légaliste sur Alep se renforce, rendant plus improbable que jamais le départ rapide de Bachar el-Assad. C’est évidemment un peu plus qu’une simple coïncidence : le symbole d’un échec de la diplomatie française dans cette région où elle brilla autrefois par sa clairvoyance et son talent à ne pas mettre tous ses œufs dans le même panier.  

Du dictateur de Damas, dont il a longtemps exigé le départ comme préalable à toute solution politique négociée, Laurent Fabius, ministre de la France, crut bon de dire: « Bachar n’a pas mérité d’être sur terre ». Ceux qui confondent la diplomatie et les professions de foi morales saluèrent la vigueur de la saillie. En d’autre temps, et à un autre poste, Fabius s’était déjà paré des vertus de l’éthique contre la Realpolitik, n’hésitant pas à s’opposer à celui qui l’avait fait roi, François Mitterrand, lequel avait eu l’idée saugrenue d’inviter le général polonais Jaruzelski, pas un démocrate certes mais le chef d’état en exercice d’un pays souverain bien que sous influence (russe). L’histoire a retenu que le galonné aux lunettes noires fût tout à la fois l’incarnation du communisme soviétique et de la répression dans son pays mais aussi un patriote, acteur d’une transition sans bain de sang vers la démocratie.

Croyant dire le bien, et accessoirement s’alléger d’une tutelle encombrante pour l’avenir, Fabius s’était fourvoyé. Pour la Syrie, il est allé plus loin dans la posture, voulant cette fois « faire le bien » en soutenant une opposition islamiste supposée modérée, notamment l’Armée syrienne libre (ASL) et même le Front al-Nosra, pourtant affilié à al-Qaida.

Quand à l’été 2013, une banlieue de Damas (l’oasis de la Ghouta), tenue par l’ASL, est frappée par un bombardement au gaz sarin, causant plusieurs centaines de victimes parmi les civils, Laurent Fabius n’a ainsi aucun doute : le crime est signé et seul le « boucher de Damas » peut en être tenu pour responsable. La fameuse « ligne rouge » définie par Barack Obama en personne n’a-t-elle pas été franchie ? « La France est prête à punir ceux qui ont pris la décision infâme de gazer des innocents », annonce alors François Hollande, bien décidé à user jusqu’à la corde le costume de chef des armées qui lui permet d’oublier les guenilles du président. Le moteur des Rafale chauffe déjà mais le revirement prudent du locataire de la Maison-Blanche comme l’intrusion de l’ours russe dans la partie vont vite les refroidir. Il n’y aura pas d’offensive anti-Assad et, déjà déconsidérée par cinq années de gesticulations sarkozistes, en particulier en Libye, la diplomatie française en est sortie un peu plus affaiblie. Et ce d’autant plus que plusieurs rapports ont, depuis, mis en doute l’implication du régime syrien dans le massacre de la Ghouta, s’orientant à l’inverse vers celle d’un groupe djihadiste ayant puisé dans les stocks chimiques de feu Mouammar Kadhafi. 

Quoi qu’il en soit, l’épisode illustre deux maux majeurs de la politique, on n’ose dire la vision, diplomatique fabusienne. D’une part une extrême dépendance à l’égard des Etats-Unis qui en fait une des plus atlantistes conduite depuis des années, en rupture avec une longue tradition d’indépendance (plus ou moins réelle) et d’autre part un gel déraisonnable des relations avec Moscou, en particulier tout au long de la crise ukrainienne où la France a laissé à d’autres le soin de jouer les médiateurs. Les plus indulgents objecteront qu’il y a une forme de cohérence dans cette fermeté affichée face à l’axe Damas-Moscou ou, lors des interminables négociations sur son arsenal nucléaire, face à l’Iran. Le problème c’est que dans les deux cas, la France se retrouve sur un strapontin et n’a participé ou ne participera qu’en seconde ligne au dénouement des crises.

Dans un maigre bilan international, Obama pourra au moins se prévaloir de n’avoir pas insulté l’avenir en imposant l’accord avec Téhéran contre les plus bellicistes de son administration ou du camp républicain. François Hollande, lui, est embourbé dans une politique moyen-orientale de moins en moins lisible, tout à la fois prisonnier d’une trop grande proximité voulue avec l’Arabie Saoudite et le Qatar, espoirs de contrats militaires obligent, comme de son suivisme vis-à-vis de la stratégie militaire américaine en Syrie et en Irak.  

A son initiative, ou à l’insu de son plein gré, Laurent Fabius n’a rien fait ou n’a rien pu faire pour desserrer cette étreinte et donner un peu d’air à l’action des diplomates. Quand certains d’entre eux ont tenté d’émettre des réserves, par exemple sur les risques d’une intervention militaire française prolongée dans le Sahel, ils ont du partir. Ce fût le cas de Laurent Bigot, ancien sous directeur de l’Afrique de l’Ouest au Quai d’Orsay, lequel favorable à l’opération Serval au Mali dans ses débuts, mettait néanmoins en garde contre l’illusion que l’on peut en finir avec le djihadisme dans la région en s’inspirant uniquement de la stratégie bushienne du « War on Terror », appliquée avec le succès que l’on sait en Irak et en Afghanistan. Bien avant le Bourget mais toujours aux côtés de François Hollande, c’est au Mali que l’on vit aussi un Laurent Fabius inhabituel, saisi par la chaleur de l’accueil que la population de Bamako avait réservé à ses « sauveurs ». C’était probablement sincère. Mais l’armée, et le grognard de la Défense, Jean-Yves Le Drian, ont vite occupé toute la photo. Fabius s’est consolé, mais peut-être ne pensait-il pas devoir l’être, en s’accaparant le dossier moins sensible, du tourisme.

Du reste de sa « politique africaine », on aura du mal à retenir une note marquante. Comme sous Sarkozy et malgré une langue commune, la France ne sait plus parler aux Africains. Elle a assisté presque sans broncher à l’éviction de Blaise Compaoré au Burkina Faso après l’avoir soutenu tant qu’il était possible. Elle s’est timidement inquiétée des « violences » quand les affidés putschistes du beau Blaise ont tenté de reprendre le pouvoir et tout aussi platement félicité qu’il n’en fût pas ainsi. Au Conseil constitutionnel, Laurent Fabius retrouvera Lionel Jospin qui fût avec François Hollande un de ses pires ennemis au Parti socialiste. Les deux hommes pourront toujours évoquer leurs guerres perdues.

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