Alors que les parlementaires s’écharpent sur la déchéance de nationalité, un autre projet de loi consacré à la lutte contre le terrorisme est discuté non loin de là, en commission des lois. Sans l’oeil médiatique braqué sur lui.
La déchéance de nationalité… Ce sujet qui déchire la majorité et même l’opposition, au point de faire pleurer un député centriste, concentre l’attention médiatique depuis des semaines. Pourtant, non loin de l’hémicycle du Palais Bourbon, les députés ont entamé ce mercredi la discussion autour d’un projet de loi « renforçant la lutte contre le crime organisé, le terrorisme et leur financement, et améliorant l’efficacité et les garanties de la procédure pénale« , aux conséquences concrètes pour les citoyens. Présenté ce midi par le tout nouveau garde des Sceaux Jean-Jacques Urvoas en commission des lois, le texte inquiète déjà certains parlementaires. Loin des caméras…
La faible attention médiatique autour du projet de loi est d’autant plus étonnante qu’il s’agit d’une réforme d’envergure, portée par Manuel Valls, Michel Sapin, Bernard Cazeneuve et Jean-Jacques Urvoas, successeur de Christiane Taubira à la Chancellerie. Un quatuor de choc pour défendre un panel de mesures : l’assouplissement de l’usage des armes des policiers (ils pourront tirer plus facilement sur un individu armé), le renforcement du contrôle des personnes soupçonnées d’avoir fait le djihad, la facilitation des fouilles et perquisitions de nuit, la traçabilité des cartes bancaires prépayées, ou encore le recours à de nouvelles techniques d’interception des communications. A cette litanie d’outils, le ministre ajoute de nouvelles garanties à la procédure pénale comme « la communication des dossiers » et « la limitation des durées de mise en œuvre des techniques de surveillance ». L’arsenal inquiète certains parlementaires au nom des libertés publiques.
« Un projet attentatoire aux libertés individuelles »Assis à côté du frontiste Gilbert Collard, qui n’aura dit mot de la séance, le député de la Gironde Noël Mamère dénonce ce mercredi« une vitrine qui cache la réalité du projet de loi », selon lui « attentatoire aux libertés individuelles ». Et de pointer en exemple le recours aux Imsi-catcher, intercepteurs de données électroniques dans un périmètre donné et « premier pas vers une société orwellienne » puisque ces appareils effectuent, de fait, une surveillance généralisée et indiférenciée.
Au-delà de la crainte d’un Big Brother qu’inspirent les mesures, c’est la volonté du ministre de renforcer les prérogatives du juge des libertés et de la détention (JLD) qui concentre les débats. Jean-Jacques Urvoas justifie cette orientation « parce qu’aujourd’hui, les enquêteurs et les magistrats, notamment du parquet et de l’instruction, sont accaparés par des contraintes procédurales qui n’apportent rien au justiciable ou à la sauvegarde des libertés et contribuent au contraire à rendre notre procédure incohérente ». De quoi défriser Noël Mamère, qui y voit là une nouvelle étape de « la marginalisation du juge d’instruction par rapport au JLD », magistrat du siège. Des propos qui font écho à un billet du Syndicat de la magistrature publié fin janvier sur son blog, qui regrette que le texte « consacre ainsi à la fois la marginalisation du juge et l’accroissement des atteintes aux libertés sur des critères vastes et flous de l’ordre public ».
Avec ce transfert de compétences en faveur du Juge des libertés et de la détention, qui relève de l’ordre administratif et non judiciaire, se pose aussi la question de l’indépendance de ce magistrat. « Je suis pour l’indépendance, mais on fait le contraire avec ces transferts », affirme ainsi Patrick Deveidjan. Le président (LR) du conseil départemental des Hauts-de-Seine est même suivi sur ce point par le maire de Bègles, qui évoque la « suppression » du Conseil d’Etat…
Si l’interprète de Les enfants de par là trouve le projet trop attentatoire aux libertés individuelles, d’autres, comme Eric Ciotti, estiment qu’il ne va pas assez loin. Le maire (LR) de Cannes juge le projet « très largement inachevé » et demande aussi de « revenir sur les peines planchers » supprimées en 2014 par Christiane Taubira. Ah, Taubira, une éternelle obsession pour le député-maire de Nice.
C’est donc un débat aux enjeux très sensibles qui est en train de se jouer (pour le moment) discrètement au Parlement, camouflé par l’épisode « déchéance de nationalité ». Le remaniement ministériel annoncé ne devrait pas lui donner plus de lumière dans les jours à venir.
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