Le ministre de l’Economie a fait part mardi de son « inconfort philosophique » avec la mesure défendue par le gouvernement dont il fait partie. Pourtant, pas plus tard que le 20 janvier, il n’y trouvait rien à redire…
La déclaration ne pouvait pas tomber plus mal pour l’exécutif. Mardi soir, au moment même où l’Assemblée nationale débattait de l’article 2 de la révision constitutionnelle sur la déchéance de nationalité pour les terroristes, Emmanuel Macron a pris ses distances avec cette mesure qui déchire la gauche depuis plus de deux mois. « Je crois qu’on a prêté à ce débat sur la déchéance trop d’importance », a estimé le ministre de l’Economie, invité d’un débat organisé par la Fondation France-Israël, selon des propos rapportés par Le Figaro. Avant de déclarer qu’il avait, « à titre personnel, un inconfort philosophique avec la place » prise par ce sujet. « Je pense qu’on ne traite pas le mal en l’expulsant de la communauté nationale », a-t-il asséné. « Le mal est partout. Déchoir de la nationalité est une solution dans un certain cas, et je vais y revenir, mais à la fin des fins, la responsabilité des gouvernants c’est de prévenir et de punir implacablement le mal et les actes terroristes. C’est cela notre devoir dans la communauté nationale. »
Etrange… Parce que, interrogé sur le même sujet le 20 janvier dernier, Emmanuel Macron ne trouvait alors rien à redire à la déchéance de nationalité. « Considérer que quelqu’un qui est en train de trahir son pays, s’apprête à le faire pour tuer, soit exclu de la communauté nationale, ne me choque pas », affirmait-il au micro de RMC et BFMTV.
Le ministre de l’Economie a donc bel et bien tourné casaque, et ce revirement semble calculé au millimètre. En effet, l’« inconfort philosophique » d’Emmanuel Macron ne conforte guère Manuel Valls qui, au moment même où son ministre tenait ces propos, défendait jusqu’à tard dans la nuit la déchéance de nationalité dans l’hémicycle.
En privé ces dernières semaines, le Premier ministre s’est montré de plus en plus agacé des déclarations intempestives d’Emmanuel Macron. Rappelons qu’en janvier, le ministre plaidait pour faire sauter le seuil de majoration des heures supplémentaires, afin de pouvoir sortir « de facto » des 35 heures. Et ce, quelques jours après avoir soutenu que « la vie d’un entrepreneur est bien souvent plus dure que celle d’un salarié », une phrase qui aurait prodigieusement agacé François Hollande. Depuis, Emmanuel Macron a été prié de se faire plus discret, au point d’être interdit de débattre avec Nicolas Sarkozy dans l’émission Des paroles et des actes la semaine dernière.
Des consignes que le ministre, qui se tient prêt en coulisses à une candidature pour 2017, ne respecte donc qu’à moitié, comme le prouve encore sa nouvelle sortie. Mais cette fois, Emmanuel Macron vise directement un texte que le gouvernement dont il fait partie est précisément en train de défendre. Comme Christiane Taubira qui, opposée à l’extension de la déchéance de nationalité, a fini par démissionner de son poste de garde des Sceaux le 27 janvier…
Ironie du sort : en affichant ses réserves sur le texte défendu par François Hollande et Manuel Valls, Emmanuel Macron s’est fait des amis… à la gauche de la gauche, généralement habituée à le combattre. « Je suis heureux qu’il ait pris cette position », a salué sur BFMTV le député socialiste Benoît Hamon, qui a voté contre la déchéance de nationalité. « Etant habitué à ne pas être tendre avec Emmanuel Macron je tiens à saluer sa prise de position », a tweeté son collègue Yann Galut. « Il a tout à fait raison », a encore approuvé l’écologiste Cécile Duflot sur iTélé. Et Aurélie Filippetti de souligner dans un sourire sur France Info : « Il rejoint le rang des frondeurs, c’est très bien (…), il pourrait nous rejoindre sur la politique économique… » Oui, il y a vraiment de quoi énerver Manuel Valls.
Le cabinet d’Emmanuel Macron tient à nous préciser que ce dernier « n’a pas changé d’avis » sur la déchéance de nationalité. « Pour lui, cette mesure a du sens. Mais il a appelé à ne pas se tromper de débat. Cela ne doit pas devenir un débat identitaire sur la binationalité, mais rester un débat sur les quelques personnes concernées par le terrorisme », explique-t-on. Et le cabinet de renvoyer vers une interview que le ministre de l’Economie a accordé le 6 janvier au Monde. « Je comprends et je respecte profondément les réflexions et les réactions sur ce sujet », déclarait alors Emmanuel Macron à propos de la déchéance de nationalité. « C’est une mesure symboliquement importante : elle donne un sens à ce que c’est que d’appartenir à la communauté nationale », estimait-il. « Vous voteriez cette mesure ? », lui demandait le quotidien. Réponse : « Je suis ministre de la République, donc pleinement solidaire de la politique gouvernementale. » Un soutien clair à la déchéance de nationalité, qu’Emmanuel Macron n’a pas répété dans les mêmes termes mardi.
Interrogé mercredi par iTélé, Emmanuel Macron a maintenu sa position d’équilibriste. « Je pense qu’aujourd’hui, pour nombre de concitoyens, ça n’est pas une priorité », a estimé le ministre à propos de la déchéance de nationalité, tout en assurant que son « souhait le plus profond, c’est que cette réforme puisse se faire ». « Je suis loyal au président de la République mais en pleine sincérité avec mes convictions. Je pense qu’il ne faut pas lui donner plus de sens, plus de place que cela ne doit en avoir », a ajouté Emmanuel Macron.
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