Alors que les partisans d’une primaire à gauche se retrouvent ce mercredi pour leur première réunion d’organisation, les esprits se chauffent. S’échauffent même. Car sous prétexte d’une primaire, dans les coulisses, les fins stratèges s’agitent, dans une partie d’échec grandeur nature.
C’est une course de fond qui s’est engagée. Une partie d’échec où chacun avance ses pions, patiemment, en douceur, espérant pousser l’adversaire à la faute. Le mettre mat. Une partie compliquée au regard du nombre des participants et de leurs intérêts stratégiques propres. Depuis l’appel lancé dans les pages de Libération « Pour une primaire à gauche », les esprits chauffent. S’échauffent même. Et pour cause, voilà un certain temps qu’ils rongeaient leur frein.
Au PCF par exemple, avant la publication de cet appel, on testait déjà l’hypothèse depuis quelques semaines, par petites touches, sans coup d’éclat. Quelques jours avant, un dirigeant communiste nous confiait qu' »avec la proposition de la déchéance de la nationalité, on ne peut plus compter sur Hollande pour représenter les valeurs de la gauche. Personnellement, je pense qu’il faut qu’on mette cette idée sur la table ». A EELV, un fin observateur des mécaniques du Front de gauche y voyait surtout « un bon moyen d’emmerder Mélenchon ». Un rappel au co-fondateur du Parti de gauche qu’il n’est plus forcément le candidat naturel du Front de gauche à la présidentielle…
Au Parti socialiste, l’envie est encore plus vieille. Dès la fin du Congrès de Poitiers, qui avait consacré en juin 2015 la victoire de la motion légitimisme emmenée par Jean-Christophe Cambadélis, les membres de la motion B pensaient déjà au coup d’après. « La prochaine bataille sera celle de la primaire« , nous assurait déjà à l’époque l’un de ses animateurs. Restait la question du timing. « Après les régionales, nous nous sommes dit qu’il fallait y aller. Mais sans avoir l’air de se réjouir de cette défaite collective. Puis il y a eu les attentats et le débat sur la déchéance que Hollande a lancé. Il a fallu tout repousser », explique à Marianne une figure de l’aile gauche du parti. L’appel de Piketty et consorts est tombé à pic, « car la demande d’une primaire ne devait pas être qu’une initiative de l’aile gauche du PS », renchérit ce socialiste, lançant par la même occasion la partie d’échec.
« La stratégie de Hollande est d’attendre » Du côté de l’Elysée, ce serait plutôt de l’ordre d’une guerre des tranchées. Le temps comme principal allié. C’est ainsi que dans la presse, on a pu voir ici et là des fuites savamment orchestrées mettant en scène un président de la République pas si allergique à l’idée que ça. A condition évidemment qu’elle rassemble toutes les gauches. Ses lieutenants se chargeant de porter la bonne parole. Le conseiller régional d’Ile-de-France, Julien Dray, qui passe pour avoir ses habitudes à l’Elysée, lançait ainsi le 17 janvier dernier sur les plateaux de BFM-TV : « Oui à une primaire de toute la gauche en vue d’avoir un seul candidat. Parce que la question sous-jacente à tout cela, c’est d’être présent au deuxième tour de l’élection présidentielle, de ne pas recommencer le 21 avril 2002 ». Une logorrhée reprise par Jean-Christophe Cambadélis, martelant à souhait de la nécessité qu’elle aille de « Macron à Mélenchon ». Une pirouette pour déminer la situation et faire avorter l’idée, tant il est évident que Jean-Luc Mélenchon refuserait la proposition. Lui qui depuis son départ du PS fonde tout son projet politique sur une alternative à la social-démocratie solférinienne. Comment imaginer alors le voir concourir aux côtés d’Emmanuel Macron ou de François Hollande lui-même ? Sous les habits de président se cachent toujours ceux de premier secrétaire.
« Le pari de François Hollande est qu’il n’y ait personne qui émerge du lot. Si plusieurs têtes d’affiche sortent du bois, ça peut changer la donne. Sinon, on sera forcé de se mettre derrière lui pour 2017″, résume un partisan socialiste de la primaire. « Sa seule stratégie est d’attendre, de temporiser jusqu’à ce qu’il soit trop tard pour organiser quoi que ce soit. C’est ce que s’applique à faire Cambadélis en mettant des conditions. Si quelques uns commencent à dire ‘s’il n’y a pas de primaire je suis candidat’, comme un Montebourg, un Jadot ou une Cécile Duflot, là, Hollande devra bouger », croit savoir un autre solférinien.
Et de préciser : « il faut faire monter la pression jusqu’à cet été et l’obliger à se décider« . Eux tentent donc d’avancer des noms. On a même vu Christian Paul, le porte-parole de la motion B, évoquer celui de Thomas Piketty. Avant que ce dernier ne s’empresse de refermer l’hypothèse. Pas fou non plus. Hollande, lui, temporise, et veut éviter d’apparaître coûte que coûte comme LE responsable de l’éventuel échec de la primaire. D’autant que sondages après sondages, les français sont majoritairement favorables à une primaire à gauche. Raison de plus pour manœuvrer en douceur.
« Certains veulent faire l’impasse sur 2017 pour préparer la suite »
« A gauche, un certain nombre de personnes semblent vouloir faire l’impasse sur 2017 et préparer la suite », attaque pour sa part Christophe Borgel, le monsieur élection du PS. Ce qui explique selon lui cette récente appétence pour la primaire. « S’il s’agit d’une primaire pour que toute la gauche soit rassemblée dès le premier tour, bien sûr que nous y sommes favorables, défend-t-il. Mais si le but est de fragiliser le Président, pourquoi se lancerait-il là dedans ? C’est pour ça que nous voulons savoir si la primaire sert bien ce but ». Une réponse à peine voilée à la récente sortie de Benoît Hamon – qui se verrait bien concourir lui aussi – sur les « habilités » de Cambadélis à faire croire qu’il souhaite une primaire : » La seule chose qui tuerait la primaire, c’est effectivement si le PS continuait à faire croire qu’il est pour, mais en posant des conditions – comme Jean-Christophe Cambadélis le fait tout à fait sciemment – qui sont telles qu’elle (n’aura) pas lieu ».
Reste que les critiques de Christophe Borgel ne sont pas si injustifiées. Plusieurs députés proches de Benoit Hamon réfléchiraient sérieusement à la question d’un départ du PS après 2017. Pariant de leur côté sur un échec programmé de François Hollande. Un séisme suffisamment grave pour justifier un claquage de porte.
Mais d’ici là, chacun patiente, tente de pousser l’autre à la faute, lui refiler la patate chaude en espérant qu’il s’y brûle les doigts. « La question de la responsabilité de l’échec de 2017 sera la véritable ligne de fracture. Ca sera renvoyé à la figure des autres. Il y aura les irresponsables et les autres, c’est sûr », résume ainsi un socialiste inquiet. Yannick Jadot, député européen EELV a récemment déclaré que « Si [la primaire] ne marche pas (…) il y aura un candidat écologiste ». Et de préciser pour ceux qui n’avaient pas bien saisi le message : « Ce ne sera pas de la responsabilité des écologistes si Hollande ne veut pas bouger ». A bon entendeur…
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