Affaire Cahuzac : quand la presse se faisait enfumer

Les médias sont-ils tombés dans les pièges tendus par les communicants de Jérôme Cahuzac lors de la révélation par Mediapart d’un possible compte bancaire détenu en Suisse ? Alors que s’ouvre enfin le procès de l’ancien ministre du Budget, retour sur quatre mois durant lesquels la presse semble être devenue folle.

Ces deux-là ne se portent pas vraiment dans leurs cœurs. Alors que le procès de Jérôme Cahuzac s’ouvre aujourd’hui pour fraude fiscale, blanchiment et détention d’un compte en Suisse non-déclaré au fisc français, Jean-Michel Aphatie et Fabrice Arfi en ont profité pour s’écharper de bon matin sur Twitter. Une franche empoignade virtuelle entre les deux journalistes qui trouve son origine dans la ligne adoptée par Jean-Michel Aphatie après les révélations de Mediapart sur le ministre d’alors. Fabrice Arfi, de Mediapart, ne semble toujours pas l’avoir digérée.

.@jmaphatie Vous ne voyez pas le rapport ? Pour de vrai ? Perso, j’en vois un: le journalisme. Bonne journée.

— Fabrice Arfi (@fabricearfi) 8 Février 2016

Vieux routier de la presse, Aphatie, anticipant que l’ouverture du procès de l’ancien ministre du Budget ce lundi donnerait lieu à son corollaire de polémiques, a dégainé le premier. Dans une note de blog publiée vendredi 5 février, « Avant le procès Cahuzac, quelques précisions », il prend bien soin de justifier son attitude durant toute la période allant du 4 décembre 2012 – jour de la publication de l’article de Mediapart sur l’affaire Cahuzac – et les aveux du ministre du Budget sur son blog le 2 avril 2013. Quatre mois durant lesquels Jean-Michel Aphatie interpellera sans relâche Edwy Plenel et Fabrice Arfi sur les plateaux télé, les radios et les réseaux sociaux au cri de : « Des preuves ! Montrez-nous les preuves ! ». Une ligne qu’il ne remettra jamais en cause malgré le dénouement de l’affaire apporté par Jérôme Cahuzac lui-même.

« Je m’étonne encore aujourd’hui que des gens me reprochent cette démarche. Demander à celui qui accuse d’apporter les éléments qui étayent ses accusations me paraît à la fois banal, normal et logique (…) J’ai mis en cause, et je le fais encore aujourd’hui, le caractère inabouti, incomplet, de l’enquête publiée par Mediapart. Il est évident qu’aucun journal n’aurait accepté de publier dans ses colonnes un papier aussi léger que celui que publia le site d’Edwy Plenel à l’époque », se défend-il ce vendredi. 

Une cohérence qui pourrait passer pour de l’entêtement. Ou de l’entêtement sous couvert de cohérence. A voir. Reste que Jean-Michel Aphatie n’est pas le seul journaliste à avoir remis en cause la véracité des informations de Mediapart. Ce fut même un sport très pratiqué durant cette étrange séquence où le site à l’origine des révélations a semblé se retrouver sur le banc des accusés. Les uns réclamant eux-aussi des « preuves », les autres remettant en cause les méthodes d’investigation, et certains des plus obstinés se lançant même dans une chasse aux sources.

Le Canard résume l’histoire à des déboires matrimoniaux

Pascale Clark, par exemple, le 13 décembre 2012, alors encore détentrice de la carte de presse, narquoise, presse ainsi Edwy Plenel, le fondateur du média en ligne, d’apporter plus de preuves : « Où sont les preuves, où sont les preuves ? (…) Où, où, où, où sont-elles ? », répéte-elle ainsi à l’envi. La journaliste fait alors valoir un article du Canard enchainé publié quelques jours plus tôt,« Cahuzac entre vaudeville et affaire d’Etat », qui relativise la portée des révélations de Fabrice Arfi et les résume, peu ou proue, aux déboires matrimoniaux de Cahuzac, alors en instance de divorce avec sa femme. Le ministre du Budget de l’époque serait la simple victime d’une vengeance de sa douce qui balancerait à la presse.

Une thèse soutenue aussi par le JDD. Dans un premier article en date du 8 décembre,  » Les coulisses de l’affaire Cahuzac », le journal cherche lui aussi à faire la lumière sur les dessous de l’enquête de Mediapart. L’article met ainsi d’abord en doute le travail de Rémy Garnier, cet ancien agent du fisc du Lot-et-Garonne qui, dès 2008, alertait sa hiérarchie sur les fâcheuses manies fiscales de Cahuzac. Un mémoire qui servira de base à Mediapart pour lancer l’affaire. Pas en reste, le Palmipède, s’atèle aussi à cette même tâche dans son papier « Une balance « déréglée ». Dans son article, le JDD tente également d’identifier la source à l’origine du fameux enregistrement dans lequel le ministre du Budget, alors pas encore officiellement authentifié, parle de son compte en Suisse et de sa volonté de mieux le dissimuler. L’Obs complète le travail dans un article titré : « Affaire Cahuzac. Qui est la gorge profonde de Villeneuve-sur-Lot ? » et identifie ainsi Michel Gonelle, adversaire RPR local de Cahuzac. Enfin, le JDD révèle que Patricia Cahuzac, dans le cadre de la procédure de divorce, a engagé des détectives privés pour trouver des biscuits contre son futur ex-mari. Et de laisser sous-entendre que la femme n’est pas si étrangère aux articles de Mediapart.

Une période particulièrement étrange durant laquelle des journalistes enquêteront sur des journalistes, balayant au passage le secret des sources, au lieu de s’intéresser aux affaires fiscales possiblement délictueuses d’un ministre en exercice. Une séquence qui, à l’époque, fait déjà tiquer Daniel Schneidermann dans Libération (« Le Canard ». Mediapart et les étouffeurs »), dans lequel il résume l’ambiance de ce mois de décembre 2012 : 

« Depuis le début de l’affaire, ces limiers rongeaient leur frein. Prudence : Mediapart est un fusil qui vise habituellement juste. Ils attendaient une occasion, un prétexte, un élément déclencheur. Sans doute réalisaient-ils que leur propre pedigree d’enquêteurs ne les autorisait pas à se risquer trop à découvert. »

Enfumage de Bercy

Avant que Jérôme Cahuzac n’avoue sa faute, une autre opération d’enfumage sera à l’œuvre. Pierre Moscovici, alors ministre de l’Economie et des Finances, demande à ses services d’interroger les autorités fédérales suisses le 24 janvier 2013 au sujet de cette embarrassante affaire pour le gouvernement. Alors même qu’une enquête préliminaire a été diligentée par la justice le 4 décembre 2012. Un empressement du ministre bien étrange qui aurait pu interroger. Pourtant, le JDD encore, le 9 février 2013, adhère totalement à la thèse avancée par Bercy et publie « Les Suisses blanchissent Cahuzac » :

« Selon nos sources, les vérifications bancaires complètes effectuées par l’UBS excluent non seulement que Jérôme Cahuzac ait été titulaire en son nom d’un compte à l’UBS, mais aussi qu’il était « ayant droit économique » d’un compte, autrement dit qu’il ait été titulaire d’un compte en sous-main, via une société. « Cette réponse, transmise par l’UBS via les autorités fédérales suisses et les services fiscaux français, dément formellement la possibilité d’un compte, confie une source administrative à Bercy. Imaginer une seconde que les autorités suisses aient pu faire une réponse de complaisance est tout simplement absurde. »

L’information est reprise en boucle enfonçant un peu plus l’enquête du média en ligne. En fait, le ministère des Finances de la Confédération helvétique avait simplement répondu qu’entre 2006 et 2012, aucun compte Cahuzac n’était ouvert à la banque UBS. Et pour cause, le compte avait quitté cette banque pour une autre depuis plus de cinq ans…

Mediapart est finalement conforté dans ses informations le 2 avril 2013 et lui permet de s’auréoler du rôle de presque martyr. Seuls contre tous, ils avaient raison. Un argument de vente qu’Edwy Plenel ne se prive pas de rappeler régulièrement. Pour sa part, le Canard, beau joueur, reconnaît à demi-mot sa faute dans son édition du 3 avril 2013, sous la plume de son rédacteur en chef Louis-Marie Horeau : 

« Un point final qui réhabilite ce long feuilleton journalistico-politique dont on a pu craindre plusieurs fois le naufrage. Eh bien non : Mediapart avait raison. Son triomphe sera, c’est de bonne guerre, à la mesure de l’opprobre dont ses dirigeants auraient été accablés si l’innocence de Cahuzac avait été établie.« 

Comment expliquer cette drôle de séquence dont la presse n’est pas vraiment sortie grandie ? Dans le livre « Jeu d’influence »Luc Hermann et Jules Giraudat révèleront que les communicants de Cahuzac, Laurent Obadia et Marion Bougeard, entre autres, se seront particulièrement activés durant toute cette période pour tenter de désamorcer la crise que traversait leur ministre. Multipliant les confidences, informations et rendez-vous avec les journalistes. Une hyper-activité qui a semble-t-il bien fonctionné. Au risque que de démineurs, les communicants ne soient passés à enfumeurs…

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