Nouveau classement gastronomique mondial: pourquoi "la liste" est restée sur le quai

Parrainé par Laurent Fabius et le ministère des Affaires étrangères, un classement des 1 000 meilleurs restaurants du monde a vu le jour en décembre 2015, à Paris. Une belle initiative en théorie qui risque de finir en bide retentissant.

Ambassadeur de France et ancien patron du guide Gault et Millau, Philippe Faure (fils de Maurice Faure, figure historique du Parti radical socialiste, ancien ministre, ancien membre du Conseil constitutionnel, ancien président du conseil général du Lot), a pris l’an dernier l’initiative de créer un inventaire culinaire international censé compenser les aberrations du Fifty Best, ce fameux classement des 50 meilleurs restaurants du monde sous l’intitulé «The World’s 50 Best Restaurants». Lancé à Londres, en 2002, par le magazine anglais Restaurant, avec le soutien financier de San Pellegrino, ce palmarès tient depuis dix ans le haut du pavé en récompensant prioritairement les cuisiniers d’avant-garde usant de procédés technico-chimiques, tout en reléguant avec assiduité les grands chefs français au-delà du 15e rang des primés. Sans oublier que les restaus consacrés sont surtout spécialisés dans l’expédition massive de clientèle à l’hôpital pour intoxication alimentaire (300 pour Ferran Adria, 554 pour Heston Blumenthal et 65 pour René Redzepi).

Tout cela ne serait pas trop grave si, à chaque édition dudit palmarès, les médias internationaux ne s’en emparaient comme d’un résultat officiel, pour conclure, année après année, éditos après reportages, y compris au JT de 20 heures, à l’inéluctable déclin de la cuisine française. Curieusement, depuis le début de l’opération, Marianne fut le seul journal à s’offusquer ouvertement non de l’existence de ces trophées, tout à fait légitimes, mais du mode de fonctionnement et du traitement médiatique engendré, en insistant sur le caractère aussi occulte que partial du phénomène. C’est bien connu, nul n’est prophète en son royaume et rien ne sert de marteler que le roi est nu, surtout quand les sourds ferment les yeux.

PALMARÈS DE PALMARÈS…

C’est donc avec soulagement et satisfaction que nous avons appris la courageuse démarche de notre ami Philippe Faure, pour rétablir, non pas l’honneur de la cuisine française toute seule, mais celui de la cuisine tout court. L’enjeu n’est pas d’inventer un système rival pour réparer les préjudices portés à l’image de nos cuisiniers, mais de mettre en place une évaluation le plus objective possible permettant de savoir où se produisent les phénomènes culinaires de notre époque.

Ainsi est née La Liste, nom donné à la sélection de 1.000 restaurants de la planète sur la base d’un algorithme faisant la synthèse des notations d’un certain nombre de guides gastronomiques de différents pays et d’avis d’internautes. Un logiciel mis au point par l’équipe de Philippe Faure dans le but d’extraire, en fonction de la cotation de chaque publication et de celle du Web, l’élite du fourneau mondial sur la base d’un calcul savant, mais, somme toute, confus et complexe.

Las, le résultat obtenu est loin du compte

On pouvait s’attendre à quelque chose de représentatif, reflétant une réalité de bon sens. Las, le résultat obtenu est loin, bien loin, du compte. Que nous dit cette liste ? Rien de bien méchant, à savoir que le meilleur cuisinier du monde (entendons le mieux noté par les guides et les internautes) est un Français installé en Suisse, Benoît Violier, à Crissier, près de Lausanne, que le deuxième meilleur cuisinier du monde est l’Américain Thomas Keller, chef du Per Se, à New York, que le troisième est japonais, au restaurant Kyo Aji, à Tokyo, que le quatrième est le Français Guy Savoy, à Paris, que le cinquième est le Suisse Andreas Caminada, à Furstenau, que le sixième est le Catalan Joan Roca, du Celler de Can Roca, à Gérone (champion du Fifty Best 2015), que le septième est japonais, au restaurant Kyubey, à Tokyo, que le huitième est le Français Michel Troisgros, à Roanne, que le neuvième est le Français Gilles Goujon, à Fontjoncouse, dans les Corbières, et que le dixième est le Français Joël Robuchon pour son restaurant de Tokyo.

Un savant mélange de clichés qui n’humilie pas la France sans pour autant lui donner la suprématie, et ce n’est que justice, mais qui tombe tout de même dans la caricature arbitrale quant à la méthode de tri. Peu importe la valeur de l’algorithme et la cohérence du logiciel utilisé pour ce classement, ils ont fonctionné, l’essentiel est que tout cela aboutit à une réalité reconstruite sur la base de critères n’ayant aucune légitimité. Dès lors que la machine crachait son palmarès, les responsables auraient dû comprendre qu’ils faisaient fausse route et que l’idée géniale du début allait finir en pantalonnade. Pour en avoir discuté avec les concepteurs et nous être réjoui de cette remise des pendules à l’heure par une redistribution des cartes, nous avons déchanté en constatant que rien n’était redistribué, sinon remis dans un autre désordre par rapport au Fifty Best et au vrai visage de la cuisine mondiale. 

L’idée géniale a fini en pantalonnade

Tout cela ne reflète rien d’autre que l’effet des modes et des tendances médiatiques dans un système de com. Un fiasco absolu, en ce sens que la plupart des ténors du patrimoine culinaire n’y sont pas, ou relégués à la 30e ou 300e position, et que les jeunes talents porteurs d’avenir, du fait de n’être pas encore référencés par les guides conventionnels, en sont exclus. Il fallait simplement rectifier la donne par une prise en compte d’autres éléments factuels et prendre le recul nécessaire par rapport à l’algorithme en lui appliquant le principe de réalité. Ce n’aurait pas été parfait, certes, mais moins bancal et aberrant que cette carabistouille.

 

UNE BONNE OCCASION RATÉE

Et puis ce n’était pas une bonne idée de demander à Laurent Fabius d’apporter la bénédiction, tout au moins la caution, du ministère des Affaires étrangères, même si pas un centime d’argent public n’a été engagé. Voulant sans doute donner le change après sa calamiteuse action politique dans le dossier islamo-proche-oriental, notamment vis-à-vis de la Russie, M. Fabius s’est convaincu d’explorer le terrain de la cuisine diplomatique, ou de la diplomatie culinaire, c’est selon, en organisant des manifestations et des événements gastronomiques au Quai d’Orsay. Ainsi y a-t-il lui même lancé l’édition 2015 du Guide Michelin, publication privée n’étant détentrice d’aucune mission internationale en matière de promotion de notre patrimoine gastronomique, bien au contraire. Quelques semaines plus tard, la vérité saute aux yeux, le paysage a été redessiné pour qu’il n’y ait ni vrais vainqueurs ni faux perdants. Nous étions donc bien dans une logique de compétition. Avec les guides comme outil de base, c’était écrit. Un soupçon de Fabius en prime, et le rata vire à la ragougnasse. Dommage, car le plat ne repassera pas. Le Fifty Best et ses enjeux financiers peuvent magouiller à l’aise, La Liste est restée sur le quai.

 

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