Effets secondaires d’un raisonnement primaire

Alexis Corbière et Matthias Tavel refusent de perdre du « temps, de l’énergie et de l’intelligence » autour d’une primaire à gauche qui « n’aura jamais lieu en réalité ». Ils expliquent pourquoi dans une tribune pour « Marianne ».

«On dirait une réunion des alcooliques anonymes qui ont voté François Hollande en 2012.»  C’est ainsi que Cécile Duflot a décrit la réunion parisienne des partisans de la primaire à gauche. Le jugement est sévère… mais juste. Pourtant, qui doute qu’après avoir promis d’arrêter, mais constatant que leurs verres électoraux sont vides, les animateurs de cette primaire retourneront s’accouder au bar du « Solférino» pour demander au patron des lieux qu’il leur remette une tournée ?

Et, croyant oublier le Hollande cuvée 2012 qui leur a donné tant de maux de tête et fait voir des éléphants roses nommés Valls et Macron, ils voudront finalement nous forcer d’ingurgiter leur breuvage : une nouvelle cuvée Hollande 2017 ! A l’arrivée, la gueule de bois et les déceptions seront les mêmes dans les milieux populaires.

Examinons donc avec précaution la thérapie qu’ils nous proposent pour sortir de leur dépendance. Cette Primaire, nous dit-on, serait à la fois plus démocratique, plus populaire et plus efficace pour lutter contre l’extrême droite.

Plus démocratique ? Comment ne pas voir le désaccord de fond, qui ne doit rien à la posture, entre ceux qui combattent les traités européens et ceux qui les ont fait adopter ? Entre ceux qui veulent la 6e République et ceux qui acceptent les logiques de cour de la monarchie présidentielle ? Entre ceux qui veulent l’augmentation des salaires et du SMIC et ceux qui les gèlent depuis des années ? Entre ceux qui jettent les Goodyear en prison et ceux qui les défendent ?

La primaire nous dit-on, trancherait ce débat. Mais on sait bien qu’aucun compromis cohérent n’est possible sur de tels sujets. On peut le regretter, mais c’est la dure réalité. En quoi serait-il plus démocratique  de contourner la difficulté en imposant par la primaire aux vaincus  de se renier ou de disparaître. Imagine-t-on Pierre Laurent faire campagne avec Manuel Valls pour le pacte de responsabilité ? Cécile Duflot soutiendrait-elle Emmanuel Macron et le travail du dimanche ? Et si cela se produisait, sait-on jamais, ce serait dévastateur. Enfin, qui peut croire que Hollande accepterait de se ranger derrière Mélenchon et la 6e République si celui-ci l’emportait ? En quoi est-ce démocratique d’empêcher qu’un candidat porte au premier tour l’exigence d’une autre politique sociale et écologique que celle actuellement menée ?

Plus populaire ? Mais on ne mobilise pas le peuple en organisant un grand casting à grand renfort d’opérations médiatico-sondagières. La vérité est que, comme lors des primaires socialistes de 2011, les instituts et des médias dont on connaît l’indépendance par rapport aux puissances d’argent, choisiront préalablement « le seul candidat en mesure d’être au second tour » avant de le faire ratifier par ceux qui viendront voter dans ces primaires. Faute du débat en profondeur dans toute la société que seul permet le premier tour de la véritable élection présidentielle, les bulletins des électeurs des primaires ne feront que confirmer ce qu’ils auront lu dans les journaux. L’expérience nous enseigne que les milieux populaires sont particulièrement abstentionnistes lors de telles primaires. Ceux qui prétendent redonner la parole au peuple risquent fort de la lui confisquer davantage.

Plus efficace pour lutter contre le FN ? Mais, comment croire qu’autant d’hypocrisie étalée, où les adversaires d’hier feraient mines de s’être réconciliés, serait un argument convaincant face au FN ? Ce serait juste un argument de plus  pour Marine Le Pen. Laisser au FN le monopole d’une candidature de rupture avec les Traités européens : quel irresponsable peut imaginer un tel cadeau à l’extrême droite ? Voilà les potentiels effets secondaires de ces raisonnements primaires.

Les primaires terminés et la véritable campagne engagée, on ne mettra pas la gauche en mouvement en traînant les vaincus derrière le char du vainqueur quand aucune idée ne les rassemble. On ne gagne pas une élection avec des artifices. La prétendue « gauche » ne peut pas gagner si elle s’enferme dans le champ clos des 35% de gens qui votent encore à gauche au premier tour des élections. Sauf à vouloir préparer l’alliance avec la droite ! On ne lutte pas contre l’extrême droite avec des illusions tacticiennes mais en étant plus convaincant qu’elle pour régler les difficultés sociales de notre peuple. On ne mobilise pas l’électorat abstentionniste avec des combines, mais avec des propositions audacieuses sur le terrain social, écologique et démocratique, en appelant le peuple à se refonder dans une Assemblée constituante pour une 6e République. C’est la clé de toute victoire, quand la primaire n’offre que le confort de la tactique politicienne à la place de l’effort de la politique.

L’effervescence autour d’une primaire nous fait perdre temps, énergie et intelligence

Face à la menace FN, toute cette effervescence autour de la primaire (qui n’aura jamais lieu en réalité) nous fait perdre du temps, de l’énergie et de l’intelligence qui pourraient être bien mieux mis à profit. Comme toujours, dans le flot de belles paroles enivrantes, les astuces les plus grossières s’épanouissent. Et les vrais diviseurs peuvent se cacher un temps dans le drapeau de l’unité sans que les observateurs hurlent immédiatement à l’imposture.

Soyons franc. Que MM. Cambadélis et Cohn-Bendit avec l’appui de Libération manœuvrent pour sauver le soldat Hollande est logique. Mais qu’ils trouvent des soutiens hors de leur camp pour cibler Jean-Luc Mélenchon parce qu’il refuse de se soumettre, est désolant.

Avis à tous ceux qui n’en peuvent plus de la politique du gouvernement actuel. N’est ce pas un acquis précieux que l’un d’entre nous incarne depuis 2012, dans tout le pays, cette résistance ? Que cherchent donc ceux qui essayent de l’affaiblir ?

Notre peuple a besoin de clarté. Ces primaires confuses sont tout le contraire.

 

Alexis Corbière, Secrétaire national du Parti de Gauche
Matthias Tavel, auteur de Le cauchemar européen, comment s’en sortir ? (Editions Bruno Leprince)

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