Face à la radicalisation islamiste : des chiffres pour des actes

« Le Figaro » a révélé que 8.250 personnes ont été signalées en 2015 comme des islamistes radicaux, soit plus du double de l’année précédente. Des données qui doivent servir de base à un strict suivi judiciaire des personnes détectées et surtout à la surveillance de celles identifiées comme susceptibles de passer à l’acte terroriste.

Comme toujours il y a le fond et la forme. La seconde est assez grossière. Au moment où, à droite comme à gauche, le ton monte contre la déchéance de nationalité au point que François Hollande pourrait renoncer à réformer la Constitution, la publication des chiffres sur la montée de l’islamisme radical tombe à point nommé. En révélant, via Le Figaro, que 8.250 personnes ont été signalées en 2015 comme des islamistes radicaux soit plus du double de l’année précédente, le gouvernement a également trouvé un argument massue pour mettre en sourdine les voix venues de son propre camp qui contestent le prolongement de l’état d’urgence. Mais là n’est pas l’essentiel, car le contenu du « bilan officiel » établi par les services de l’Etat (police, gendarmerie, Education nationale) dépasse de beaucoup le simple enjeu de tactique politique.

La brutalité des chiffres est accablante. Selon le rapport, 4.500 individus présentent un « profil inquiétant », au sens où ils ont fait l’apologie du terrorisme ou manifesté leur hostilité à nos institutions. Là encore, ils seraient presque deux fois plus nombreux que l’année passée. Vingt pour cent d’entre eux seraient mineurs, avec une part de plus en plus importante d’adolescentes. Quant à la répartition géographique, elle constitue une autre surprise inquiétante, si Paris et la région parisienne demeurent les plus touchés par cette radicalisation, la contagion n’épargne plus aucune région française. Autre enseignement : contrairement à ce que certains « experts » ont longtemps affirmé et que beaucoup d’observateurs ont fini par prendre comme une vérité révélée, ce n’est pas via Internet que s’opère le basculement dans la radicalité. Selon les policiers spécialistes de la lutte antiterroriste, le « contact humain », c’est-à-dire la rencontre avec un extrémiste ou un prédicateur, resterait à 95% le déclencheur pour les quelque 1.600 jeunes radicaux recensés cette année. Les réseaux sociaux et les sites de propagande, notamment de l’Etat islamique, prennent ensuite le relais dans l’endoctrinement et la fanatisation, avec l’objectif de les convaincre de rejoindre les zones de combat en Syrie ou en Irak. Dont on sait qu’ils reviendront tôt ou tard au pays comme autant de menaces terroristes.

Riposter à ce que Voltaire nommait « l’infâme »
Ces chiffres ont au moins une vertu, celle de représenter une réalité incontestable et trop longtemps sous-estimée, négligée au nom d’on ne sait plus trop quelles valeurs. C’est au sein même de notre nation que naissent et prolifèrent les apprentis djihadistes. Cette réalité tristement partagée dans une multitude de pays à travers le monde atteste aussi si certains peuvent encore en douter depuis le 13 novembre l’incroyable vivier criminel dont dispose Daech. Vivier qui, comme l’a très bien décrit Marc Trévidic, l’ancien juge antiterroriste, semble aujourd’hui sans fond, agité par un renouvellement permanent.

Alors, que faire pour que ces chiffres ne soient pas aussi vains qu’une étude statistique de l’Insee, voués à servir de comparaison aux prochaines études encore plus accablantes ? Prévenir évidemment, c’est fondamental. Le travail des associations de terrain ne peut être négligé. Les centres de déradicalisation dont Manuel Valls a annoncé la création peuvent sans doute être des outils précieux. Mais les expériences similaires menées notamment aux Pays-Bas ou au Royaume-Uni, le plus souvent fondées sur une approche psychologique et le dialogue avec des imams, ont montré leurs limites, quand elles n’ont pas carrément échoué. Il serait également illusoire de penser qu’une stricte réponse policière suffise, croire qu’autant de policiers peuvent être mis aux basques des 8.250 radicalisés.

En revanche, les éléments objectifs du rapport gouvernemental doivent servir de base à un strict suivi judiciaire des personnes détectées et surtout à la surveillance de celles que les services de renseignements ont identifiées comme susceptibles de passer à l’acte terroriste. La carte de la radicalité est aussi un moyen pour éradiquer les foyers extrémistes un peu partout en France et notamment dans les prisons. Une traque impitoyable de ces prêcheurs, dont on sait désormais qu’ils sont les premiers diffuseurs de la haine, doit aussi être organisée. Il n’est pas tolérable de devoir attendre la veille du congrès de l’Union des organisations islamiques de France (UOIF) pour que soient déprogrammés trois orateurs connus pour leur antisémitisme et leur homophobie quand un autre affirme qu’« il faut tuer l’apostat ». Ce n’est pas seulement de « vigilance », comme l’a dit Bernard Cazeneuve, qu’il faut faire preuve à l’égard de ces individus. Non. Le sinistre tableau de l’islamisme radical brossé par les services de l’Etat ne doit pas uniquement nous effrayer. Il doit nous mobiliser. D’urgence. Et il doit être un outil majeur pour mener la guerre qui nous a été déclarée. Pour riposter à ce que Voltaire nommait « l’infâme ».

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