Le maire de Grande Synthe, près de Dunkerque, avait engagé un bras de fer avec l’Etat, accompagné par MSF, pour créer un camp humanitaire pour les réfugiés qui arrivent en masse. Un camp aux normes pour ne pas reproduire les erreurs de la jungle de Calais. Il vient d’obtenir le permis de construire. Une première en France.
« Cela fait un mois que le maire enchaîne des entretiens, il est fatigué », nous confie-t-on, au service com’ de la mairie de Grande Synthe, alors que nous sollicitons un entretien téléphonique. Et pour cause, Damien Carême, maire EELV de cette petite commune de 20.000 âmes, limitrophe de la ville de Dunkerque, est sur tous les fronts depuis qu’il a engagé, aux côtés de Médecins sans frontières (MSF), un véritable bras de fer avec l’Etat pour que ne s’installe sur son territoire une situation semblable à la « jungle » de Calais. Après plusieurs mois de franches discussions, l’édile de Grande Synthe vient d’obtenir des services de l’Etat la permission de construire un camp qui répondra aux normes du Haut Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés. Une première en France. Une structure qui assurera aux réfugiés un minimum de garanties en matière d’hygiène et de sécurité.
Actuellement, celui existant n’a rien à envier à Calais, voire pire. « C’est un terrain marécageux, boueux, ce sont des conditions abominables, inacceptables, inhumaines au possible », éructe encore Damien Carême, lorsqu’il décrit le terrain sur lequel s’entasse plus de 2.200 réfugiés. Des conditions « abominables » qui ont poussé ce maire écologiste à agir, quitte à « brusquer » l’Etat, concède-t-il. « Le maire nous a dit qu’il ne voulait pas se réveiller un beau matin en apprenant qu’un gamin est mort sur le camp », se souvient encore Samuel Henryon, porte-parole de MSF. Un maire qui n’en est pas à ses premiers déboires avec les services préfectoraux.
En 2008, Grande Synthe voit arriver des femmes et des enfants
Depuis 2006, sa commune accueille régulièrement des réfugiés. Pas plus d’une quarantaine en moyenne qui ne restent que le temps de passer outre-Manche. « Ils se postaient dans une station-essence, près de l’autoroute, dans l’espoir de grimper dans les camions la nuit et rejoindre l’Angleterre », se remémore l’élu. Jusque-là, la mairie n’intervenait pas, seules les associations d’aide aux migrants les prenaient en charge. Mais en 2008, Grande Synthe voit arriver pour la première fois des femmes et des enfants. Un choc. Le maire décide alors d’installer des tentes chauffées en raison d’un hiver rigoureux qui s’annonce, « avec des températures allant jusqu’à -10 degrés. Nous ne voulions pas que les réfugiés meurent sur le territoire de la commune », justifie-t-il. Pas suffisant pour la sous-préfecture, il faut croire, qui critique cette intervention qui risque de « faire un appel d’air ». Il n’en fût rien. Jusqu’à cet été 2015, l’afflux des réfugiés est ainsi constant. Une quarantaine de personnes sont présentes en moyenne sur le site et restent tout au plus 48 heures sur les lieux avant de poursuivre leur route.
Vers la fin du mois de juillet, Damien Carême part en congé avec une situation stable sur sa commune. Mi-août, lorsqu’il revient, il retrouve 180 réfugiés. 540 fin septembre, 1.200 fin octobre et jusqu’à 2.500 au plus haut niveau les mois suivants. Soit 10 % de la population de Grande Synthe. Des Kurdes d’Irak majoritairement, plutôt classe moyenne, qui se retrouvent sur ce site poussés par le renforcement des contrôles frontaliers à Calais exigée par le Royaume-Uni. Des arrivées massives qui mettent en péril la vie même de ces réfugiés vu les conditions de vie précaire qu’assure le terrain qu’ils occupent. La paix sociale aussi. Alors qu’à Calais, les associations de riverains, phagocytés par les mouvements identitaires, dénoncent avec virulence la présence des réfugiés, à Grande Synthe, selon le maire, rien de tel pour le moment.
« A part quelques individus, la situation est calme. Les habitants comprennent leur situation de détresse. Et les réfugiés font les affaires des commerçants. Mais pour combien de temps ? Nous sommes dans une région socialement et économiquement très marquée », analyse Damien Carême.
Fin septembre, la mairie réagit et met en place des douches et des toilettes, mais doit arrêter l’opération vu le nombre de gens qui arrivent chaque jour. « Je ne voulais pas non plus que la situation se fige sur ce terrain », reconnaît le maire. Les réunions avec les associations s’enchaînent alors pour essayer de trouver une solution. MSF, qui était revenu en France depuis le mois de septembre, d’abord à Calais puis à Grande Synthe, vient apporter son expertise. Le maire se tourne aussi vers la préfecture pour réclamer de l’aide et arrêter ce flux continu, au risque d’être totalement débordé. « Nous n’avons eu aucun retour de la part des services préfectoraux », signale Samuel Henryon. Surtout lorsqu’émerge l’idée de déménager cette jungle dans un nouveau camp qui pourrait accueillir convenablement les réfugiés. Toujours cette peur de l’appel d’air constate le maire :
« L’Etat nous disait au départ qu’il ne voulait pas avoir un nouveau Calais. Moi, je leur disais qu’il était déjà là justement. C’est une bagarre qui s’est engagée avec l’Etat, une bagarre de persuasion. »
Cette bataille, le réseau des élus hospitaliers, dont l’élu écologiste fait partie, la mène depuis 2012. Ils défendent l’idée qu’il vaut mieux plusieurs camps de petite taille répartis sur tout le territoire plutôt que quelques grandes jungle du type calaisienne qui ne pèse que sur une seule commune.
« Nous avons voulu anticiper et proposer des solutions avant que la situation ne dégénère vraiment. Je reconnais avoir brusqué les choses mais on ne pouvait pas attendre », admet-il. Une réflexion que partage aussi MSF. « Il fallait trouver une solution. Comme l’Etat se déresponsabilisait totalement, nous avons travaillé de notre côté. Et réfléchi à ce nouveau camp ». Et pour faire réagir les pouvoirs publics, ils décident d’organiser une conférence de presse le 23 décembre pour annoncer leur décision. Miracle du timing, l’agenda du ministre de l’Intérieur se libère subitement, et les rencontre ce même jour.
Un Bernard Cazeneuve « attentif » qui assure alors au maire que l’Etat, comme à Calais, prendra en charge le coût de la présence des réfugiés. Mais réserve encore sa réponse sur ce nouveau camp. « Après la réunion du 23 nous étions tout de même optimistes. Mais on trépignait dans l’attente d’avoir l’aval des autorités », se rappelle le responsable de MSF. « L’Etat, la sous-préfecture et le préfet étaient bloqués entre le côté sécuritaire et le côté humanitaire. Nous les avons poussés à agir. A la fois s’attaquer aux réseaux de passeurs et trouver une solution humanitaire à cette crise », renchérit l’édile de Grande Synthe. La décision tombe finalement le 11 janvier. A l’issue d’une dernière réunion avec les services préfectoraux, l’Etat donne son accord, ce qui lance le début des travaux.
« Ce camp est une solution par défaut. »
« Ce camp est une solution par défaut. Ca va permettre de soulager les réfugiés mais ne résoudra pas leurs problèmes. MSF n’a pas vocation à en être le gestionnaire », prévient Samuel Henryon. Si Damien Carême se félicite d’avoir obtenu gain de cause, il partage les mêmes attentes que l’ONG : « J’espère qu’à terme l’Etat se décidera à prendre le relai et utiliser notre projet comme modèle. La France peut très bien accueillir ceux qui sont sur le territoire dignement. Ce n’est pas comme s’il y a avait 4 millions de réfugiés sur les routes. »
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