"Femmes hors-la-loi" : plongée dans le banditisme au féminin

« Voyouses », « voyoutes », « marlouses »… comment les appeler ? Dans « Femmes hors-la-loi », Frédéric Ploquin et Maria Poblete racontent ces bandits au féminin passées par la case prison. Des gangsters qui dévoilent tout un pan de leur histoire ou de courtes anecdotes de vie. Les deux auteurs ont notamment pu séjourner une semaine dans la seule prison réservée aux femmes, celle de Rennes. Extraits.

>> Ces quatre extraits sont le fruit de rencontres des deux auteurs avec des détenues de la prison pour femmes de Rennes, lors d’un séjour exceptionnel d’une semaine.

Radio gamelle

« Radio gamelle » s’emballe souvent. Ça piaille dans la prison des femmes. Tout est décortiqué, rapporté, déformé, trituré, étudié. Quant à la direction, elle a pris l’habitude de scruter à la loupe les programmes télé, au cas où des documentaires ou des émissions sur de sordides affaires impliquant des détenues incarcérées à Rennes seraient diffusés. Les plus craintes ? Faites entrer l’accusé, Enquêtes criminelles, Affaires criminelles et quelques autres. À tous les coups, le lendemain, l’ambiance est à couper au couteau. L’« héroïne » de l’émission s’y sent souvent attaquée ou regardée de travers. « Ce jour-là, elle garde la tête sous l’oreiller », observe un gradé. Les surveillantes redoublent de vigilance. Au cas où ça leur aurait échappé, la direction inscrit le sujet à l’ordre du jour des réunions. Quand il s’agit d’une affaire particulièrement lourde, la détenue peut même être vue en audience préalable, histoire qu’elle se sache surveillée de près. Plus l’affaire est médiatisée, plus il y a des risques d’échauffement. S’il y a des enfants parmi les victimes, les insultes et les menaces vont fuser, forcément. Claire, une autre surveillante, admet « détester » l’ambiance après ce genre d’émissions. « Elles sont dures entre elles, elles se jugent et se jugent encore, elles se crachent à la figure littéralement, elles ne se font pas de cadeaux, moi ça m’énerve parce que, bon, ces nanas ont déjà été jugées par la société, il ne faut pas en rajouter des tonnes ! »

(…)

Sentiments

Les détenues jouent sur les sentiments, comme celle qui avait réussi à convaincre une surveillante d’introduire pour elle un téléphone portable dans l’enceinte. Quand elle a été interrogée par ses supérieures, l’agente fautive avait eu ce cri du cœur : « Mais je l’aime ! »

« Mais je l’aime ! »

Avant elle, une de ses collègues avait carrément choisi de démissionner pour vivre jusqu’au bout son histoire d’amour avec une détenue. Oui, les histoires d’amour existent aussi entre ces deux mondes. La prison est un vase clos.

C’est d’ailleurs l’une des différences majeures avec la prison pour hommes, cette façon de vivre les relations amoureuses à ciel ouvert, comme l’observe un responsable de l’établissement : « Chez les hommes, c’est caché. Les femmes, elles, se paluchent devant nous. Les liaisons sont flagrantes, affichées. Une fois dehors, elles redeviendront peut-être hétéros, mais, en prison, c’est un palliatif au manque. Certaines sont au bord du vœu de chasteté, fidèles à l’homme qu’elles ont laissé dehors, d’autres vont aller jusqu’au pacs, qui tiendra le temps qu’il tiendra. »

La surveillante

« Quand leur incarcération a un lien avec les enfants, les femmes s’isolent. Pédophiles ou “pointeuses”, elles se mettent d’elles-mêmes à l’écart. Elles ne vont pas faire de sport. Elles sont considérées comme des monstres. Comme chez les hommes. L’enfant, c’est le tabou. Le caïd peut faire toutes les atrocités qu’il veut tant qu’il ne touche pas un enfant. Par exemple, cette femme mise en cause dans l’affaire d’Outreau [où il fut question d’abus sexuels sur mineurs] qui se faisait régulièrement cracher dessus par celles qui portent les baskets dernier cri et le jogging de marque. Pour oublier, elle passait son temps à cirer le plancher, tellement bien que tout le monde glissait. »

Le pitbull

« Côté femmes, en prison, il y a moins d’insalubrité, explique une détenue qui interrompt quelques instants sa promenade pour se pencher sur son sort. Ici, on ne jette pas les ordures par les fenêtres. Il y a moins de violence aussi, mais, par contre, les hommes sont plus occupés : ils ont plus de visites que nous, on en a même vu annuler un parloir avec sa nana pour aller au cours de karaté, un truc impensable chez les femmes. Ils ont droit à plus de parloirs intimes parce qu’on dit que ça les calme, on ne leur impose pas la contraception, alors qu’à nous, oui. Et, dès qu’on est un peu intelligentes, on nous fait passer pour des calculatrices, des manipulatrices.

« Les hommes ont plus de parloirs intimes car on dit que ça les calme »

« Le but du juge, c’est de faire de toi quelqu’un de “normal”, alors si tu es “normale” au début de ta détention, elle dit qu’elle ne constate pas d’évolution. À la limite, il vaudrait mieux se rouler par terre et passer pour une illettrée la première fois qu’on les voit, les juges…

« On est prises dans la mâchoire d’un pitbull qui nous lâchera pas. Pour plaire au juge, il faut bosser au McDo du coin et dormir au foyer. C’est pareil avec les surveillantes : celles qui les prennent pour les larbins obtiennent tout ce qu’elles veulent. Elles se croient à l’hôtel ! »

 


*Extraits de « Femmes hors-la-loi. Le banditisme au féminin en France ». Fayard. 352 pages. 20,90 €. En librairies le 8 février.

Frédéric Ploquin est spécialiste des affaires de police et de justice chez Marianne.

Maria Poblete est journaliste et écrivain.

 

Trois ans pour pousser les portes des Femmes hors la loi…
Il nous aura fallu de la patience pour approcher Tata, Michèle, Sylvia, Diamanta, Aurélie, Bandia, Diamanta, Angélina… Trois ans pour approcher ces « marlouses », « voyouses » et autres guerrières et les convaincre de témoigner dans ce livre. C’est que les femmes, dans le monde des voyous, sont longtemps restées discrètes, souvent à la demande des hommes, qui souhaitaient occuper les premières loges, avec leur égo taille patron et leur naturelle misogynie. Elles étaient là, bras droit rigoureux, des vraies tombes devant la police, toujours prêtes à assister les hommes lorsqu’ils partaient pour la prison. Mais à part quelques-unes, peu ont fait la Une des journaux. Ce sont elles que nous racontons aujourd’hui dans Femmes hors la loi.  Un petit miracle s’est produit en chemin, dont nous devons la concrétisation à l’administration pénitentiaire. Plusieurs jours durant, nous avons pu promener nos carnets de notes et nos stylos entre les murs de centre pénitentiaire pour femmes de Rennes, presque en toute liberté. Où les problèmes qui se posent ne sont finalement par loin de ceux qui agitent les prisons pour hommes…
Frédéric Ploquin et Maria Poblete 

 *crédit photo : Hannah Assouline et Florence Levillain

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