Zika relance le débat sur l'avortement au Brésil

Au Brésil, l’avortement est aujourd’hui encore considéré comme un crime. Ce qui n’empêche pas les Brésiliennes d’y avoir massivement recours : elles seraient près d’un million par an à mettre un terme à leur grossesse, clandestinement, au péril de leur vie. A ce problème de santé publique s’ajoute désormais la propagation explosive du virus Zika qui menace les foetus de malformation. Par crainte, les femmes enceintes avortent, encore plus qu’avant. Une action en justice a été lancée pour légaliser l’avortement en cas de contamination par le virus. De quoi relancer le débat sur l’IVG dans ce fervent pays catholique…

Elisângela Barros a 40 ans. Il y a six mois, elle tombe enceinte dans l’une des villes les plus dangereuses du monde mais ne le sait pas encore. A l’époque, la propagation du virus Zika, transmis par le moustique tigre (l’Aedes albopictus) est déjà alarmante dans le Nord-Est du Brésil, et notamment à Recife, grande ville de la région, mais n’est pas encore « explosive ». Aujourd’hui, plus personne n’est épargné dans le pays, plus d’un million de Brésiliens ont été infecté en moins d’un an, mais le Nord Est, pauvre, reste le principal foyer de contamination.

« Dans mon quartier, démuni, [à Recife] le moustique est partout », explique ainsi fin janvier Elisângela Barros, dans un flot de larmes, à l’agence Reuters, (…)« Cinq de (s)es voisines » sont déjà contaminées déplore-t-elle. Si dans de nombreux cas, les symptômes, bénins, ne sont pas perceptibles, Zika peut se révéler très dangereux pour les femmes enceintes dont le fœtus risque d’être atteint d’une grave malformation de la boîte crânienne ; la microcéphalie.

Zika se détecte à la 28e semaine

« J’ai peur », poursuit la jeune femme qui attend ce jour là, à la maternité, le résultat de ses examens et des ultrasons qui permettront bientôt de savoir si son bébé a été touché. Une angoisse d’autant plus difficile à vivre au quotidien que Zika ne se détecte en moyenne qu’à partir de la 28e semaine de gestation. De plus en plus de mères ne prennent donc plus le risque d’attendre jusque là.

A Sao Paulo, riche mégalopole du Sud, les avortements préventifs se sont en effet multipliés. Trois médecins le racontent cette semaine au quotidien de référence de la ville, la Folha. Les « cas » cités concernent plusieurs femmes, enceintes de 6 à 8 semaines, au profil similaire : « mariées », « éduquées » (niveau « d’études supérieures »), avec de « bonnes conditions financières ».

Toutes ont déboursé entre 5000 et 15.000 reals (1100 et 3400 euros) pour avorter au risque d’être poursuivies. Car au Brésil l’avortement, illégal, est aujourd’hui encore considéré comme un crime.

15.000 reals ? Une fortune que ne peut de toutes façons pas débourser Elisângela Barros à Recife. Pourtant, écrit la Folha de Sao Paulo, des cas semblables d’IVG préventifs se sont présentés dans le Nord Est. En réalité, malgré l’interdiction, les femmes brésiliennes avortent par milliers, et même par centaines de milliers, partout dans le pays, chaque année. Un million d’IVG clandestines seraient recensées tous les ans.

 

Un marché juteux

Pis, une Brésilienne perdrait la vie tous les deux jours suite à une interruption volontaire de grossesse, selon les estimations de l’Organisation mondiale de la Santé (OMS). C’est que de nombreuses cliniques, aux conditions d’hygiène douteuses, dangereuses, ont fait du désespoir de ces malheureuses un juteux marché.

Quelques semaines avant la dernière élection présidentielle, à l’été 2014, l’histoire tragique de l’une d’entre elles bouleversait d’ailleurs le pays. Elle s’appelait, elle aussi, Elisângela. Elle avait 32 ans et était enceinte de cinq mois. Pour avorter, elle avait déboursé 2800 reals (640 euros) avant que son cadavre ne soit retrouvé, ensanglanté, au bord d’une route, dans la banlieue de Rio de Janeiro.

Pressées par les puissants lobbies catholiques et évangéliques, les autorités ont longtemps accepté de fermer les yeux sur ce marché parallèle. Pas question de légaliser l’avortement, qui n’est pratiqué au Brésil qu’en cas de viol, ou de mise en danger de la vie de la mère.

Autoriser l’IVG en cas de microcéphalie

Depuis 2012, les IVG sont toutefois autorisées lorsqu’une anencéphalie (soit l’absence totale ou partielle de l’encéphale) chez le nourrisson est détectée. Une victoire pour Debora Diniz, anthropologue, militante pro-avortement, qui avait saisi la Cour suprême à cet effet douze ans auparavant. Elle prépare à présent une nouvelle requête devant la plus haute juridiction du pays visant, une fois encore, à étendre le droit à l’avortement, en l’occurrence aux cas de microcéphalies engendrées par le virus Zika. Près de 3500 fœtus seraient d’ores et déjà atteints par ce type de malformation de la boîte crânienne d’après les chiffres du ministère de la Santé (contre 150 cas annuels entre 2010 et 2014).

« Autoriser l’avortement ne signifie pas pousser les femmes à y avoir recours. Celles qui ont de l’argent et qui souhaitent avorter par ailleurs le font déjà. C’est justement pour celles qui ont le moins de moyens, et que l’on ne peut pas priver du droit de choisir », explique Debora Diniz à la BBC.

 

Les anti-IVG redonnent de la voix

Il n’en fallait pas plus pour que le débat sur le droit à l’avortement soit publiquement relancé. Et pour que les anti-IVG se fassent entendre. En réponse à l’initiative de l’anthropologue, une jeune fille de 24 ans, Ana Carolina Caceres, a voulu témoigner, hier, 1er février dans une tribune publiée par la Folha de Sao Paulo. A la naissance, les médecins ne lui donnaient que quelques heures à vivre. « Elle ne marchera pas, ne parlera pas et deviendrait un légume », avaient-ils dit à ses parents. Ana est atteint de microcéphalie. Ce qui ne l’a pas empêché, raconte-t-elle, d’obtenir son diplôme à l’université et de devenir journaliste.

« Quand j’ai lu le reportage sur la requête adressée à la Cour Suprême concernant la légalisation de l’avortement en cas de microcéphalie (…) je me suis sentie offensée, attaquée. (…) J’existe parce que ma mère n’a pas choisi l’avortement (…) la microcéphalie est une petite boîte à surprises. Il peut y avoir des problèmes sérieux, mais il peut aussi ne pas y en avoir. Ceux qui choisissent d’avorter ne donnent pas leur chance à des gens comme moi de se battre, de survivre… », plaide Ana.

Tous cependant s’accordent sur un point, la gestion désastreuse de l’épidémie Zika par les autorités brésiliennes qui ont tardé à prendre conscience de l’ampleur de la propagation et à réagir. Elles s’apprêtent seulement à distribuer des produits anti-moustique aux populations les plus à risques. Parmi elles, 400.000 femmes enceintes bénéficiant de la Bolsa Familia, une allocation destinée aux plus démunis.

L’armée, elle, est dorénavant réquisitionnée pour aller sur le terrain mener une campagne de sensibilisation. 220.000 militaires se déploieront dans 300 villes à partir du 13 février prochain, (décrété journée de mobilisation nationale). Entre le 15 et le 18 février, 50.000 militaires orienteront la population et l’aideront à appliquer les larvicides.

Le ministre de la Santé, Marcelo Castro, demeure quant à lui au cœur d’une controverse pour des propos récemment tenus devant la presse. « Nous sommes en train de perdre la guerre contre le moustique tigre », avait-il déclaré, fataliste.

Pas un mot en revanche sur l’avortement. 

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