Donald Trump, candidat des losers

Dans la course à l’investiture républicaine pour la présidentielle, le magnat de l’immobilier parade en tête des sondages. Sa stratégie payante : des propos outranciers et racistes, qui surfent sur la peur de l’islam et de l’immigration.

> Cet article est paru initialement dans le magazine juif en ligne « Tablet » et dans « Marianne », édition du 22 janvier.

Qui est le supporteur type de Donald Trump ? Dans 55% des cas (selon les statistiques et les analyses politiques), il s’agit d’un homme blanc de 50 à 64 ans, sans diplôme universitaire, de classe moyenne inférieure. Selon les mêmes analyses, il y aurait une logique politique à cette préférence : les travailleurs blancs, plongés dans la précarité économique, en rendent responsables les immigrants clandestins venant du Mexique, et ils sont sensibles aux idées violemment anti-immigration proposées par leur candidat. Ils sont, par ailleurs, totalement opposés à ce que leur pays laisse entrer des refugiés venant de Syrie. Cette angoisse ne manque pas, elle aussi, de les jeter dans les bras de Trump.

C’est une explication, elle fait sens, mais je me méfie des explications qui sont trop évidentes. Tout d’abord, que des gens s’inquiètent à ce point de l’immigration mexicaine me paraît étrange. Notre taux de chômage actuel, au niveau national, n’est que de 5,5%, ce qui n’est pas mal du tout. C’est vrai, un grand nombre de gens se sentent en insécurité économique. Mais les raisons à cela ne manquent pas et elles sont ailleurs : la concurrence venant d’autres pays (par exemple des Mexicains qui ne viennent pas travailler chez nous), les progrès technologiques qui font que telle ou telle compétence devient soudain obsolète, la probabilité évidente que, dans un avenir plus ou moins proche, les banques américaines ou la Bourse s’effondrent à nouveau, amenant une nouvelle crise financière. Et ainsi de suite. Pourquoi cette obsession de l’immigrant mexicain, alors ?

Que représente donc Trump, alors, pour ces travailleurs blancs d’âge mûr ?
Une rapide navigation sur Google m’a permis de découvrir un rapport publié, en juillet dernier, à l’université du New Hampshire, par la Carsey School de politique publique. Selon ce rapport, je cite, «l’immigration mexicaine vers les Etats-Unis a chuté de 50% dans les cinq dernières années». D’autres rapports nous informent par ailleurs que, à l’heure actuelle, il y a plus de Mexicains qui rentrent dans leur pays que de Mexicains qui émigrent aux Etats-Unis. L’immigration s’est transformée en émigration. Aussi effrayante qu’ait pu être l’immigration mexicaine par le passé (mais était-elle aussi effrayante que cela ?), son ampleur semble en voie de diminution. Souvenez-vous de la déclaration polémique lancée par Trump sur le Mexique : «Ils nous envoient des gens qui ont des tonnes de problèmes et ils apportent leurs problèmes chez nous. Ils nous apportent de la drogue, de la délinquance, ce sont des violeurs, bien que, j’en suis sûr, il y ait aussi parmi eux des gens bien.» A en juger par le rapport de l’université du New Hampshire, pourtant, le pourcentage de gens «bien» parmi ces migrants est plutôt important : «Ceux qui migrent actuellement ont un niveau socio-économique plus élevé, sont plus âgés et sont plutôt des femmes.» Cette crise de l’immigration semble donc bien être en substance une non-crise. Que représente donc Trump, alors, pour ces travailleurs blancs d’âge mûr ? Et pourquoi sont-ils si attirés par ce qu’il propose pour régler cette non-crise ?

Une de ses propositions est de déplacer 11 millions de personnes, ce qui reviendrait au plus grand déplacement de masse de l’histoire de l’humanité. Il suffit d’imaginer un instant ce que cela représenterait en nombre de policiers, d’agents d’immigration – sans parler de la mobilisation de la garde nationale -, pour se rendre compte que cela est impossible à organiser et que cela n’arrivera pas. Et supposons même un instant qu’un président nommé Trump y parvienne, cela reviendrait à être plus stalinien que Staline. Les conséquences économiques à elles seules en seraient catastrophiques, étant donné le taux de chômage. Des industries entières sombreraient dans les sables de la sous-population. Dans ma propre ville, New York, l’industrie de la restauration s’écroulerait en trente secondes s’il venait à l’esprit d’un quidam de faire arrêter tous les clandestins de la ville de Puebla, au Mexique, qui travaillent comme esclaves dans l’enfer des cuisines. Mais alors, cette idée de Trump de déplacer des millions de gens n’est-elle pas aussi absurde que toutes ses autres propositions concernant l’immigration mexicaine ? Bâtir un mur entre le Mexique et les Etats-Unis et faire payer ce mur par le gouvernement mexicain, par exemple ? Personne de sensé ne peut croire à une telle possibilité.

En l’occurrence, est-ce qu’il y a quelqu’un pour croire sincèrement que Trump puisse être élu président ? Certains sondages nous disent que oui, il y a des gens pour le croire. Mais Trump lui-même n’a jamais véritablement tenté de se présenter comme une personnalité présidentiable. Si on le compare aux autres personnalités du camp républicain, il ne fait aucun effort pour être conforme au modèle. Son apparence est à mi-chemin entre le pimpant et le débraillé. Le poids de sa coiffure semble écraser son visage comme une courge. Il parle avec le ton péremptoire d’un gangster de New York, avec parfois une touche d’humour qui peut avoir son charme, mais toujours avec une dominante de menace. Il n’a jamais l’air d’un homme qui essaye de rassembler des supporteurs à sa suite. Il n’a jamais l’air non plus d’avoir envie d’être un second choix pour quiconque. Pourtant, dans une compétition à 16 candidats, être le second choix de quelqu’un pourrait vous amener à la victoire. Donc, ses supporteurs, je parle de ceux qui ont quelques heures de vol, de ceux qui savent comment marche une élection présidentielle, à quoi rêvent-ils ?

Ils soutiennent ce Donald-là justement parce qu’il est ridicule
 

Je crois qu’ils soutiennent ce Donald-là justement parce qu’il est ridicule. Son atout, c’est son impudence. Il est impossible qu’ils aient une seconde envisagé sérieusement ses propositions sur l’économie, sur l’immigration ou sur toute autre chose. Ce qu’ils aiment, c’est sa façon d’insulter les journalistes qui l’interviewent. Il s’est moqué d’une journaliste qui aurait ses règles ? Ha ! Ha ! Ha ! Quel autre politicien oserait le faire ? Il a insulté John McCain ? Ça, c’est du courage, quand on sait que McCain est un héros de guerre. Il a fait chasser Jorge Ramos, le journaliste vedette de la chaîne Univision, de sa conférence de presse ? Tant mieux ! Ce qu’ils apprécient chez Trump, c’est qu’il se fiche complètement d’être respectable, aimable ou courtois. Il vous rote au visage ? C’est pour cet homme qu’il faut voter.

On concédera que Trump est excellent dans le rôle du mauvais. Cela lui vient naturellement, biologiquement, je dirais même. Gwenda Blair, sa biographe, nous apprend que le grand-père de Trump est arrivé d’Allemagne et a fait fortune dans le commerce des «restaurants-bordels» à Seattle et dans le territoire du Yukon canadien, à l’époque de la ruée vers l’or du Klondike, dans les années 1890. Il y avait alors dans chaque chambre des bordels de l’époque une balance spéciale pour payer en poudre d’or. Et le grand-père a su inverser l’alchimie de la pierre philosophale pour transformer l’or en pierre. Le père de Trump, à son tour, a transformé ses holdings en un empire immobilier dans les faubourgs de New York. Donald, lui, a étendu l’empire jusque dans Manhattan et a investi dans tout un tas d’entreprises aussi diverses et variées que l’élection de Miss Etats-Unis, des hôtels, des clubs de golf, un casino (qui a fait faillite), une ligne aérienne (qu’il a dû vendre), des vêtements pour homme, du chocolat, des restaurants, et je n’en cite que quelques-unes, certaines étant en propriété, d’autres simplement des licences pour vendre son nom. Et chaque nouvelle acquisition lui permettait d’inscrire son nom en lettres de plus en plus voyantes dans le paysage américain. «Trump, le parfum» est une blague au même titre que «Trump, la vodka» (laquelle n’a pas marché, bien que mon caviste en ait toujours en stock). Mais, blague ou pas, la marque s’est clairement installée dans les esprits en devenant à la fois un symbole de travail bien fait (Trump a beaucoup construit et, jusqu’à nouvel ordre, aucun de ses bâtiments ne s’est effondré) et un symbole de mauvais goût. Il s’est aussi débrouillé pour envahir les pages des magazines people au gré de ses mariages avec tel ou tel mannequin, ses rendez-vous galants avec des femmes en vue, comme Carla Bruni, ou avec la princesse Diana, dont il avoue avec regret qu’il ne l’a pas convaincue. Et tout cela l’a mené à une carrière télévisuelle où il a démontré un talent exceptionnel.

De fait, il est un fanatique de sa propre cause. Il est bien dans sa peau, ce qui facilite le regard qu’on a sur lui. Il étend les bras de manière absurde pour démontrer à quel point le monde est absurde et, du coup, il justifie son argument en même temps qu’il amuse son auditoire. Imposer son reality-show, «L’apprenti», dans lequel il met en scène le culte de sa propre personnalité, ne fut pas une mince affaire. Ce show a réussi à attirer jusqu’à 28 millions de téléspectateurs, un chiffre qui dépasse largement le nombre de personnes qui se collent devant un débat politique pendant une campagne électorale. Dans «L’apprenti», Trump joue le rôle de Donald J. Trump, magnat d’un empire industriel. Il convoque ses employés à une réunion. Tous s’aplatissent. Ils se mettent à discuter de leurs fautes et de leurs défauts. Lui, il écoute. Il se montre presque bienveillant. Et pourtant, tout cela lui permet de prouver à quel point, lui, à la différence de ses employés, a une vision de ce qui fait le succès d’une entreprise. Il voit ce que le mortel ordinaire ne voit pas. Et donc il voit à quel point les fautes et les défauts de ses employés sont minables. Alors, il vide quelqu’un. Ou il les vide tous. Parce que, lui, il sait comment fonctionne le monde. Il a la science du tragique. Il sait que le monde est cruel, et même si lui ne veut pas être cruel, il sait qu’il n’a pas d’autre choix que de faire ce que dicte le monde, c’est-à-dire de liquider ceux qui méritent d’être liquidés.

«Vous êtes viré.» Sa phrase la plus célèbre deviendra le slogan le plus ignoble que l’on pourra entendre venant de la part d’un candidat à l’élection présidentielle. L’employé viré reçoit l’information en état de choc. Son visage se contracte, se met à trembler. L’employé sait que c’est irrévocable. M. Trump a parlé. Il est une figure de la mafia de Hollywood, le chef d’un réseau du crime. Ordonner le meurtre de son meilleur ami n’est pas un plaisir, mais il sait que, dans le monde du crime, il n’y a pas de pardon. Ensuite, comme un mafioso, M. Trump est serein, et même, pourquoi pas, plutôt satisfait du spectacle de son propre talent.
Trump sait exactement ce qu’il faut faire pour être l’image d’un vainqueur dans la tête d’un loser

Et cet homme-là, les gens l’aiment ! Ils veulent voter pour lui, oui, vous avez bien lu. Trump, c’est le candidat nihiliste. Il y a des gens qui voudraient voir Trump devenir président parce que cela signifierait que, pendant les quatre années à venir, les nouvelles à la télévision seront encore meilleures à voir que «L’apprenti». Les supporteurs de Trump sont des losers et ils sont bien conscients d’être des losers. Trump sait exactement ce qu’il faut faire pour être l’image d’un vainqueur dans la tête d’un loser. Il se vautre dans l’extravagance tangible de ses triomphes, la célébrité, les femmes aux longues jambes, les caméras de télévision, l’or, le platine, les tapis exubérants, les avions privés, les employés serviles, l’orgie d’arrogance que semble être sa vie et le mauvais goût du macho dans toute sa splendeur. Et plus il se vautre, plus il donne le sentiment à ses followers qu’ils auront eux aussi le droit de se vautrer dans leurs fantasmes de grandeur. Bien sûr, leurs fantasmes ne seront pas d’ordre matériel. Tel n’est pas le destin des classes laborieuses. Mais la grandeur peut être simplement dans le ressenti. Alors, ses adeptes vont laisser libre cours à leur haine. Un Donald les autorise à haïr, alors ils se jettent sur l’occasion. Ce qui est merveilleux, avec la haine, c’est qu’elle n’a pas besoin d’un objet en particulier. N’importe quoi fera l’affaire. C’est ce que Sartre explique dans Réflexions sur la question juive. Les migrants mexicains feront parfaitement l’affaire, même si, dans les faits, les Mexicains sont indispensables à l’économie américaine et, de plus, diminuent en nombre. Ce Donald dit à ses adeptes qu’il ne faut pas laisser entrer les pauvres refugiés de Syrie et ses adeptes se sentent libres de trembler d’horreur à cette seule idée. Le dernier combat en cours de Donald est de faire monter la sauce de la haine contre les musulmans du New Jersey. Et j’imagine aisément ses adeptes dans tout le pays en train de marteler la table à grands coups de rejet haineux des musulmans du New Jersey. A qui le tour, la semaine prochaine ? Probablement d’autres musulmans. Trump a constaté qu’attiser les haines ne lui nuisait en rien. Des journalistes sérieux ont beau s’indigner et révéler que ses affirmations n’ont rien à voir avec la réalité des faits, cela ne sert qu’à lui permettre de montrer encore plus son dédain des journalistes sérieux qui, dans sa tête, sont à coup sûr ses premiers ennemis. Donc, il va continuer et pendant le temps d’une campagne ses adeptes auront au moins eu le sentiment du bonheur de vivre une vie plus intense encore qu’à l’époque glorieuse des temps jadis où ils regardaient Trump virer ses recalés dans «L’apprenti».

La candidature de Trump devrait nous rappeler cette vérité ancienne que la politique n’est pas toujours le domaine du rationnel, une vérité que l’on trouve déjà dans les pages de Suétone. Souvenons-nous du livre de Marx, écrit en 1852, le 18 brumaire de Louis Bonaparte. Il s’agit d’une analyse des suites de la révolution de 1848 en France. Louis Bonaparte était un personnage ridicule, mais les conséquences de cette révolution ont rendu la vie politique française très instable. On ne savait pas très bien quel gouvernement il fallait à la France. Il se trouve que le personnage ridicule était le neveu du grand Napoléon Bonaparte et cela a suffi à le porter au pouvoir. Des paysans imbéciles ont voté pour lui. Il a alors instauré la dictature. C’était absurde, mais c’est ce qui s’est passé. C’est ce qui a donné à Marx l’occasion de remarquer que l’histoire peut repasser les plats deux fois. La première en tant que tragédie (Napoléon), la seconde en tant que farce (le neveu). Marx en a tiré une leçon sur la lutte des classes, mais je crois qu’il a buté sur une vérité différente et éternelle, celle de la place du théâtre (tragédie ou farce) dans la vie politique. La télé-réalité, dans la version contemporaine de Trump, est notre farce moderne. Il y a des gens qui exigent leur part quotidienne de farce. C’est là que se trouve la découverte involontaire de Marx. Ils veulent qu’on les amuse. Sur les réalités de leur propre situation politique, les gens ne comprennent probablement rien. Mais ils comprennent une réalité personnelle. Ils veulent être les spectateurs d’un show où on les fait rire et pleurer. Ils veulent agiter les poings au nez des scélérats. Ils veulent huer et siffler. Ils veulent vibrer de haine. Si quelqu’un monte sur la scène et leur donne l’occasion de participer à ce show, c’est celui-là qu’ils vont applaudir. Quelle tragédie pathétique !

A lire : les Habits neufs de la terreur, de Paul Berman, Hachette Littératures, 24,80 €.

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