Hollande-Sarkozy : le pacte

Ils sont les « meilleurs ennemis » du monde. L’un et l’autre, depuis ce 15 mai 2012, ne pensent qu’à une chose. Se retrouver face à face en 2017 et refaire le match. Peu importe qu’il en coûte à leur troupe et, plus grave, aux Français. Ces deux hommes ont scellé un pacte de fer et le tiendront jusqu’au bout. Et cette réforme constitutionnelle en est un bon exemple. Un instrument marketing inutile dans la lutte contre le terrorisme. Un simple échange de bons procédés entre eux.

Ils se sont tourné le dos sur le perron de l’Elysée, un matin de mai 2012, et ils n’ont plus qu’une obsession : se retrouver cinq ans plus tard en face à face. Peu leur chaut que les troupes de supporteurs se désagrègent à longueur de sondages, que la crédibilité de leurs discours touche au néant, ils veulent envers et (presque) contre tous refaire le match, rejouer une partie dont ils sont tous les deux convaincus de sortir victorieux. « Cette nécessité de renouveau que le pays ressent dans ses profondeurs », comme l’écrivait Jean-François Kahn, le fondateur de Marianne, dans un salutaire appel à tourner une page de notre histoire politique, ils y sont sourds, sinon indifférents. Rien ne semble aujourd’hui pouvoir détourner François Hollande et Nicolas Sarkozy de leur volonté aveugle à postuler, l’année prochaine, à la magistrature suprême.

Le premier ne veut pas d’une primaire de la gauche, dont il sait par avance qu’elle lui serait fatale, quand le second croit encore, malgré le désamour qui gagne son camp, pouvoir terrasser Alain Juppé et les autres trublions de la droite. Mais leur stratégie ne se limite pas à un simple parallélisme des formes. L’ancien et le nouveau chef de l’Etat ont la nécessité de mêler leurs destins, besoin l’un de l’autre jusqu’à l’affrontement final. Evidemment, dans ce calcul cynique, la place des idées, des grands desseins pour un pays exsangue, est réduite aux acquêts : François Hollande a pour projet celui qu’il met en œuvre depuis bientôt quatre ans et Nicolas Sarkozy, celui qu’il a appliqué durant la demi-décennie précédente. Avec le succès qu’on sait…

Pour que ces manipulations triomphent, les deux hommes ont scellé un pacte de fer. Pacte tacite afin qu’aucun ne chute d’ici à l’année prochaine. On entend ainsi, depuis des mois, l’Elysée maugréer devant les effondrements sondagiers de son «meilleur ennemi». On entend aussi les plus hollandophiles répéter – peut-être avec raison – qu’Alain Juppé risque de connaître le sort d’Edouard Balladur ou de Raymond Barre, façon classique d’exorciser une peur. Et, quand Nicolas Sarkozy essuie les plus rudes sarcasmes pour son ouvrage de contrition, le Château juge bien légitime qu’il ait écrit un livre et se garde surtout de toute acrimonie et même du moindre trait d’ironie. Comme on retourne une salutation, la Sarkozie entière (ou ce qu’il en reste) ne se voit qu’un adversaire, reléguant au rang de figurants tous les prétendants socialistes.

Au cœur de ce pacte, l’histoire de la révision constitutionnelle joue un rôle clé. D’une part parce qu’aucune entreprise de ce type n’était nécessaire à la mise en œuvre de l’état d’urgence ou de la déchéance de nationalité. Si le premier a besoin d’être modernisé, il ne nécessite pas d’être conforté dans la loi fondamentale. Faut-il encore rappeler que la loi du 3 avril 1955 a permis au général de Gaulle de maintenir les institutions contre le FLN et l’OAS ? Quant à la seconde, elle est déjà inscrite dans notre code civil depuis le XIXe siècle, sans rien devoir aux périodes erratiques de notre histoire. Cette révision constitutionnelle est donc inutile, mais peut-être même aussi dangereuse, si, comme Montesquieu, on considère que « les lois inutiles affaiblissent les lois nécessaires ».

C’est qu’en réalité le président a une idée derrière la tête. Il souhaite utiliser cette révision constitutionnelle comme un double instrument. Instrument marketing, puisqu’il s’agit de promouvoir une lutte « symbolique » contre le terrorisme, la déchéance de nationalité, chacun le sait – nul ne prétend le contraire au sommet de l’Etat -, est sans effet sur les djihadistes. Marchandage politicien, car le rendez-vous au Congrès sera l’occasion d’un échange de bons procédés avec Nicolas Sarkozy. En reprenant dans le texte constitutionnel les propositions anciennes de la droite, Hollande espère que Sarkozy y trouvera un moyen de couper l’herbe sous les pieds de Marine Le Pen, tout en espérant trouver au soir du vote du Congrès un piédestal pour sa propre candidature. Nicolas Sarkozy n’aurait-il pas promis à François Hollande, le 22 janvier lors d’un entretien à l’Elysée, que 80 % des parlementaires de la droite et du centre voteraient son projet ?

Reste à savoir jusqu’où tiendra l’accord tacite entre les deux hommes. Car au-delà des stratégies, des jeux politiciens, c’est le peuple que Hollande et Sarkozy vont devoir affronter. La démission de Christiane Taubira, comme le peu d’engouement pour la campagne de « promotion littéraire » de Sarkozy, sont les derniers signes en date d’un rejet qui pourrait bien emporter tous les accords, fussent-ils tacites.

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