Le bizutage de Finkielkraut à l'Académie française

Imaginez des baisers qui mordent, ou le discours de Pierre Nora sur Alain Finkielkraut à l’Académie française…

Même les événements les plus codifiés réservent leur lot de surprises et de grâce. Sinon, personne n’irait. Le 28 janvier dernier, Alain Finkielkraut a donc été reçu à l’Académie française. Tout Paris était là, de Fabrice Luchini à Manuel Valls. Belles cravates et beaux sourires. Il y avait ses amis donc, et ceux qui le sont un peu moins. L’odeur du sang : comme le veut la coutume sous la coupole, le nouvel arrivant doit faire l’éloge de son prédécesseur au fauteuil et tout le monde voulait voir l’auteur du Juif imaginaire se dépêtrer de l’hommage qu’il devait ainsi rendre à Félicien Marceau, condamné en 1946 à quinze ans de travaux forcés par le Conseil de guerre de Bruxelles – pour cinq émissions de radio, diffusées en 1940 et 1941, et qui semblaient trop favorables aux Allemands. La tâche était rude et le piège était grand : Finkielkraut, dans son nouvel habit vert, ne l’ignorait pas. « Un défenseur exalté de l’identité nationale, oublieux de ses origines vagabondes et astreint à faire l’éloge d’un collabo : il n’y a pas de hasard, pensent nos vigilants, et ils se frottent les mains, ils se lèchent les babines, ils se régalent à l’avance de cet édifiant spectacle. »

Et le spectacle, en effet, fut édifiant. Le discours de Finkielkraut, qui dura presque une heure, parut à la fois drôle, sincère et émouvant, et le philosophe n’eut pas grand mal à prouver, citation à l’appui, que Félicien Marceau n’était ni Brasillach ni Drieu La Rochelle ;  qu’il n’avait jamais été antisémite ni hitlérien  ; que son procès à la Libération avait été expéditif et ; qu’en 1956 le général de Gaulle avait fait preuve de bon sens en accordant la nationalité française à cet apatride déchu de la nationalité belge.

Fin du discours, et longs applaudissements. Certains, déçus que le sang n’ait pas coulé jusqu’à leurs chaussures vernies, désertèrent alors les bancs de la coupole. Idiots ! Ils avaient oublié l’autre versant de cette réception : le discours de l’académicien Pierre Nora, sur Finkielkraut. Un simple panégyrique, devaient-ils penser. Une heure très lente de langue de bois. Mais les écrivains ne sont pas des hommes politiques, et Nora, pour accueillir l’auteur de l’Identité malheureuse, fit le discours le plus poli et le plus espiègle qu’on n’ait jamais entendu. Le plus franc et le plus oblique. Imaginez des baisers qui mordent. « La Compagnie vous a ouvert les bras, vous allez connaître avec elle ce que c’est qu’une identité heureuse. » Le directeur de la revue le Débat a rendu alors le plus bel hommage à Finkielkraut mais, comme l’arène riait jaune et que les applaudissements furent clairsemés, je me demande si tout le monde l’a bien compris. En tout cas, il y a encore un lieu en France où l’on ne parle pas pour ne rien dire. Un lieu où l’on pense, et où l’on peut dire ce qu’on pense. Cela étonna beaucoup les invités les mieux cravatés. Quelle horreur : un lieu où ça respire ! On comprend que Finkielkraut ait eu envie de respirer à cette hauteur-là.

 

 

 

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