Jacqueline Sauvage : Hollande face au débat sur les violences conjugales

Faut-il libérer Jacqueline Sauvage, condamnée à dix ans de prison pour le meurtre de son mari qui la battait ? La question se pose désormais à François Hollande : il reçoit ce vendredi après-midi ses filles et ses avocates, qui lui demandent une grâce présidentielle.

C’est l’histoire d’une famille qui vit dans un joli pavillon d’une petite commune paisible du Loiret. La mère, Jacqueline, est violemment battue par son époux depuis plusieurs décennies, 47 ans exactement. Le père, souvent, n’a pas de nom. Dans les articles qui raconteront bientôt leur histoire, Norbert, responsable d’une société de transport, apparaît comme ce qu’il est à la maison : « le mari » qui frappe sa femme et viole ses enfants, maltraités eux aussi.

Mais un jour, le 10 septembre 2012, Jacqueline a un « éclair ». « Lève-toi, bonne à rien. Va faire la soupe ! » lui ordonne alors Norbert qui joint, comme d’habitude, les coups (de poing et de pied) à la parole. Jacqueline se lève et racontera, lors de son procès en appel en décembre dernier, avoir aussitôt « pris le fusil dans la chambre ».

« J’ai chargé, explique-t-elle, simplement devant les juges. Norbert, descendu « sur la terrasse, était assis de dos. Je me suis approchée, j’ai tiré, tiré, tiré, en fermant les yeux. » Elle ne le sait pas encore, mais leur fils Pascal, qui voulait quitter la société de transport dirigée par son père, s’est suicidé la veille, pendu.

Jugée une première fois, en 2014, Jacqueline Sauvage, de son nom de jeune fille, 68 ans, est condamnée à dix ans de réclusion. Une peine confirmée en appel, le 3 décembre 2015, qui ne répond guère aux interrogations, nombreuses, que ce fait divers pose à l’ensemble des acteurs de la société face aux violences conjugales.

« Pourquoi ne pas avoir porté plainte ? », demandent à l’époque les magistrats en charge de l’affaire. Pourquoi les médecins qui ont soigné Jacqueline Sauvage quatre fois aux urgences entre 2007 et 2012, selon Libération, n’ont-ils pas fait de signalement ? N’y a-t-il plus « d’humanité » ? demandera, désespérée, l’une des filles du couple, Fabienne Marot, face à l’intransigeance des juges et à l’échec des services sociaux ? Peut-on toutefois tuer son mari violent ?

Débat dans l’opinion

A cette dernière question, la justice française a donc répondu non. La famille a pourtant rapidement reçu de nombreux soutiens, anonymes d’abord, politiques ensuite. La députée Les Républicains (LR) des Bouches-du-Rhône, Valérie Boyer, propose dès l’annonce du jugement en appel, d’élargir le droit à la légitime défense, dont n’a pas bénéficié Jacqueline Sauvage, et d’introduire dans la loi actuelle, à l’instar du Canada, une légitime défense « différée ».

Il s’agirait de prendre en compte, explique l’élue le 11 janvier dernier dans une tribune co-signée avec l’une des avocates de Jacqueline Sauvage, le « syndrome de la femme battue qui prive la personne qui en est atteinte de la possibilité de trouver une solution raisonnable pour se sauver de la situation de terreur et de danger vital dans laquelle elle se trouve. »

D’autres lui ont emboîté le pas. Dimanche 24 janvier, la maire socialiste de Paris, Anne Hidalgo, apporte publiquement son soutien au comité de défense de Jacqueline Sauvage. Elle sera notamment suivie de l’ancien eurodéputé écologiste Daniel Cohn-Bendit ou encore de Jean-Luc Mélenchon, leader du Front de gauche. Plusieurs célébrités s’engagent aussi, dont l’actrice Anny Duperey.

Je soutiens pleinement Jacqueline Sauvage. Je suis bien sûr prête à m’engager aux côtés de ses soutiens. #LeGrandJury

— Anne Hidalgo (@Anne_Hidalgo) 24 Janvier 2016

L’affaire s’accélère alors. Deux jours plus tard, mardi 26 janvier, les députées Valérie Boyer et Nathalie Kosciusko-Morizet (LR) décident de rendre visite à Jacqueline Sauvage, détenue à la prison de Saran dans le Loiret. Avec leur(s) téléphone(s) portable(s) qu’elles font rentrer en cellule, elles immortalisent la scène tout en demandant à François Hollande de « s’exprimer » sur la grâce.

Avec @nk_m pour rencontrer #JacquelineSauvage, cette femme condamnée pour avoir protégée sa vie #FemmesBattues pic.twitter.com/CKZzjJrVtP

— Valérie Boyer ن (@valerieboyer13) 26 Janvier 2016

L’opinion publique se mobilise elle aussi. Une manifestation organisée à Paris le week-end dernier rassemble 200 personnes. Surtout, la pétition lancée sur Change.org en faveur d’une grâce présidentielle recueille à ce jour près de 400.000 signatures.

Pressé par conséquent de réagir, le président de la République doit recevoir les filles de Jacqueline Sauvage et leurs avocats ce vendredi 29 janvier à l’Elysée. Accordera-t-il sa grâce à la condamnée ? « Le Président les reçoit (…) pour (…) écouter sans que l’on puisse dire, à ce stade, quand la décision sera effectivement prise », explique l’entourage du chef d’Etat.

Face à l’unanimisme médiatique et politique, quelques voix s’élèvent cependant pour s’opposer à la grâce présidentielle« Si nous sommes dans une condamnation à dix années d’emprisonnement, c’est forcément qu’il y avait des éléments tangibles qui allaient vers une condamnation lourde, déclare Virginie Duval, présidente de l’Union syndicale des magistrats (USM), sur Europe 1. Et de poursuivre : « Que la famille le demande, c’est un fait, mais qu’elle soit accordée, ça pourrait être vécu comme une remise en cause des décisions de justice, rendues en plus par un jury populaire. La loi ne permet pas de faire justice soi-même. C’est la justice qui doit rendre une décision. « 

Philippe Bilger, magistrat honoraire, regrette quant à lui, dans une tribune publiée sur FigaroVox« l’impérialisme de l’émotion ignorante ». Il est « dramatique dit-il, (…) que des personnalités politiques de tous bords s’immiscent dans ce qu’elles ne connaissent pas et viennent, avec démagogie et dans la confusion, porter atteinte à une institution judiciaire fondamentale de notre pays puisqu’elle permet au peuple, assisté par des professionnels, de juger les crimes. »

Comme le rappelle son avocate sur LCI, Jacqueline Sauvage a déjà fait « près de trois ans de prison » et « présente des garanties de représentation, puisque sa fille est prête à l’accueillir ». Quelle que soit la décision de François Hollande, elle est à ce jour libérable le 28 janvier 2017, année de ses 70 ans. Faut-il la garder enfermée jusque-là ? Seul le chef de l’Etat peut aujourd’hui en décider.

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