Premiers Plans 2016 : dans l’œil des marcheuses de Belleville

Présenté le 25 janvier en avant-première dans le cadre de la sélection française du festival Premiers Plans d’Angers, La Marcheuse de Naël Marandin (sortie le 3 février) propose une plongée saisissante dans l’univers des « échassières » chinoises du quartier de Belleville. Le réalisateur offre ainsi un film puissant et ambitieux dont l’évidente rigueur documentaire n’enlève rien, bien au contraire, à la maîtrise fictionnelle.

Présenté le 25 janvier en avant-première dans le cadre de la sélection française du festival Premiers Plans d’AngersLa Marcheuse de Naël Marandin (sortie le 3 février) propose une plongée saisissante dans l’univers des « échassières » chinoises du quartier de Belleville, portée par l’interprétation précise de Qui Lan qui assure, pour la première fois, le premier rôle d’un long métrage. Maîtrisant les parlers du nord de la Chine et investi dans le soutien aux prostituées de Belleville, Naël Marandin offre ainsi un film puissant et ambitieux dont l’évidente rigueur documentaire n’enlève rien, bien au contraire, à la maîtrise fictionnelle.
Sur le long du boulevard de la Villette, tout est rapport de force : domination des hommes sur les femmes, des Chinois anciennement installés (les Wenzhou) sur les immigrés mandchous (les Dongbei), de la police sur les marcheuses sans-papiers, des jeunes sur les ancien(ne)s. C’est dans cet univers basé sur les transactions sexuelles, les passe-droits, les arnaques administratives, les séductions intéressées et les dissimulations multiples que Lin Aiyu (Qui Lan) doit gagner son pain quotidien, écartelée entre sa fille Cerise, ses clients et un vieillard impotent (admirablement interprété par Philippe Laudenbach) qui lui assure la jouissance de son vaste appartement aux tapisseries jaunies. L’intrusion violente de Daniel (Yannick Choirat) bouleverse l’équilibre précaire de Lin Aiyu. A elle, alors, de tenter de transformer cette inquiétante collision en porte de sortie.

Loin de tout misérabilisme, Naël Marandin parvient à interroger les liens mystérieux qui entremêlent les transactions financières et l’énergie intime des désirs. Il donne chair, de façon subtile et souvent émouvante, à cette étrange graduation des relations économico-sexuelles où, de la passe sordide au contrat de mariage en passant par l’échange de bons procédés, chacun(e) joue sa survie et conquiert sa liberté. On saluera aussi le travail remarquable effectué par le directeur de la photographie, Colin Houben, dont les images, subtilement « salies », offrent à la fois rutilance, épaisseur et rugosité aux tableaux du film, tout en ménageant des séquences d’une infinie douceur (tel la scène du karaoké ou le petit théâtre improvisé d’ombres chinoises). En cette descente dans les bas-fonds de notre post-modernité, Naël Marandin aura donc réussi le tour de force d’éclairer de la plus belle façon possible une réalité contemporaine sur laquelle le cinéma français n’avait jamais osé s’aventurer.

* La Marcheuse, de Naël Marandin. Produit par Folamour Productions, Vito Films. Sortie le 3 février 2016.

 

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