Le rapport Badinter ? "Il laisse bien trop de portes ouvertes pour être utile à quoi que ce soit"

Le rapport Badinter qui vise à établir les grands principes constituant « le socle de l’ordre public du nouveau code du Travail » vient d’être remis ce lundi à Manuel Valls. Un texte qui pose plus de questions qu’il n’apporte de réponses.

C’est un texte qui ne déclenche pas vraiment les passions. Remis aujourd’hui entre les mains du Premier ministre, le rapport Badinter est censé être la première pierre de la grande réforme du code du travail tant annoncée. Le 4 novembre dernier, Manuel Valls confiait à l’ancien Garde des Sceaux la lourde mission de « définir les principes ayant vocation à constituer le socle de l’ordre public du nouveau code du Travail ». Ce qui avait inquiété à l’époque à gauche comme dans certaines centrales syndicales au regard du livre publié quelques mois auparavant, Le travail et la loi, par Robert Badinter, justement, et l’avocat Antoine Lyon-Caen. Ce livre avait suscité une bronca lors de sa parution parmi les spécialistes du droit du travail. Trop pro-patronal, favorisant à outrance les accords collectifs plutôt que la loi, trop simpliste surtout. D’où une certaine inquiétude. Ajoutez à cela les dernières « macronades » – du nom du ministre de l’Economie – sur les 35 heures, en marge du sommet de Davos, et obtenez un texte particulièrement attendu. 

Pourtant, rien de tout ça – en apparence en tout cas – dans le rapport. Le texte, au travers des 61 articles, semble se borner à rappeler les grandes lignes de ce que l’on retrouve dans l’actuel code du travail. Robert Badinter qui présidait la commission en charge de sa rédaction précise d’ailleurs en préambule que « le comité a travaillé à droit constant, c’est-à-dire en fondant son analyse sur les dispositions actuelles du droit du travail. Il ne s’est pas cru autorisé, à regret parfois, à proposer de nouvelles dispositions ou à formuler des suggestions. Il appartiendra à la commission de refondation du code du travail qui doit lui succéder d’y pourvoir dans le respect des principes identifiés par le comité ». Le cataclysme libéral n’aura donc pas lieu ? Les médias ont pour leur part largement titré de la même manière, relevant que le CDI, le salaire minimum et la durée légale du travail étaient inscrits comme des principes indiscutables. Un pied de nez à Emmanuel Macron en quelque sorte ? A voir, car ce rapport pose plus de questions qu’il n’apporte de réponses.

Laurent Berger, le secrétaire général de la CFDT, dans un entretien vidéo accordé au journal Le Monde ce lundi, considère tout d’abord qu’il « n’est pas inintéressant du tout de rappeler ces grands principes ». C’est à dire de rappeler que le « CDI est la forme normale du contrat ». « Il y a la représentation syndicale, il y a la dignité, le respect des bonnes conditions de travail, c’est important », ajoute-t-il. Voilà pour l’idée. Pour la pratique, tout reste flou. Comme le soulève le leader syndical, « la question est de savoir ce qui sera fait de ce rapport ».

Le syndicat Force ouvrière, de son côté, dans un communiqué, affiche sa prudence « Après lecture, il s’apparente davantage à une déclaration de « bonnes ? » intentions dont l’objectif est plus de guider que de contraindre ». Une formule interrogative, car, écrit le syndicat, « plus d’une dizaine d’articles posent des principes assortis de dérogations laissées à la discrétion du législateur. S’agit-il réellement de principes fondamentaux ? » Et de relever le manque de clarté des dispositions relatives à la laïcité, à la hiérarchie des normes ou sur le temps de travail. « Par ailleurs, nous n’avons aucune certitude sur le devenir de ce préambule qui devra être discuté prochainement au Parlement, ni sur la façon dont les principes retenus seront déclinés par la commission chargée de la rédaction du nouveau code du travail (…) Nous resterons donc vigilants sur les futurs consultations gouvernementales et travaux parlementaires, tout l’enjeu de la réforme portant désormais sur la déclinaison de ces principes fondamentaux dans le niveau 1 du futur code », conclut le syndicat. Pas de quoi créer l’inquiétude, mais pas de quoi rassurer non plus.

Gérard Filoche, inspecteur du travail à la retraite et membre du bureau national du Parti socialiste, est à l’inverse particulièrement inquiet. « Lecture du rapport Badinter : pire que tout ce que je craignais, la guillotine libérale à 100 % pour les droits des salariés », prévient-il sur twitter.

lecture du rapport Badinter : pire que tout ce que je craignais, la guillotine libérale à 100 % pour les droits des salariés

— Gerard Filoche (@gerardfiloche) 25 Janvier 2016

Contacté par Marianne, il ne décolère pas : « C’est catastrophique. C’est revenir sur un siècle de luttes sociales qui ont permis l’édification de l’actuel code du travail. Ce n’est ni un travail de juriste, ni un travail d’expert, mais bien un travail politique avec une lecture libérale ». Il prend pour exemples le choix du terme de « personne » au lieu de « salarié » dans le rapport ; le choix d’écrire que « le principe d’égalité s’applique dans l’entreprise », objectant que le contrat de travail se définit de fait par une subordination du travail envers son employeur ; de parler de « la durée normale du temps de travail » plutôt que de « durée légale » ou de lever l’inconstitutionnalité de l’article 51. Celui-ci édicte que « tout projet de réforme de la législation du travail envisagé par le Gouvernement qui relève du champ de la négociation nationale et interprofessionnelle fait l’objet d’une concertation préalable avec les partenaires sociaux en vue de l’ouverture éventuelle d’une négociation ». Filoche rappelle que ce sont les seuls parlementaires qui font la loi selon l’article 34 de la Constitution, sans préalable particulier. Et la liste des critiques est encore longue. Mais pour lui, le péché originel se trouve essentiellement dans la volonté même de réécrire intégralement un code du travail qui « est une construction historique et politique qui a une épaisseur sociale, c’est un siècle de lutte sociale, de précisions, de jurisprudence. » Et d’enfoncer le clou : « ce texte n’a aucun sens. Il laisse bien trop de portes ouvertes pour être utile à quoi que ce soit ». 

Difficile donc de savoir ce que ce rapport porte et apporte vraiment. Au mieux une somme de « bonnes intentions« , au pire un vrai danger. Pour beaucoup un travail pas « inintéressant« . La faute peut-être à des rédacteurs qui ont perdu de vue que simplifier ne voulait pas dire simpliste. Résultat, un texte inapplicable en l’état. Pas sûr que Myriam El Khomri, en charge de la réforme du code de travail, ne soit vraiment aidée par ce rapport. 

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