"Le Supplément" : comment Idriss Sihamedi alimente un buzz qui fait les affaires de BarakaCity

Idriss Sihamedi, le responsable de l’association humanitaire islamique BarakaCity, a une com’ bien rodée : se faire passer pour la victime des médias qu’il accuse de vouloir faire le « buzz » et du « fric sur son dos ». Une stratégie dont l’ONG admet pourtant elle-même qu’elle lui profite…


Idriss Sihamedi est-il une victime ou un pro du buzz ? Presque toutes les interventions du président de l’association humanitaire islamique BarakaCity dans les médias généralistes français donnent lieu à une passe d’armes. Son passage, dimanche 25 janvier, dans « Le Supplément » sur Canal +, n’a pas dérogé à la règle. Invité notamment pour parler d’un membre de l’ONG actuellement emprisonné au Bangladesh, il a affirmé sur les réseaux sociaux avoir été victime d’un « guet-apens »  le plaçant, dit-il, « sur le banc des accusés ».

La raison, selon lui, de ce piège qu’il décrit ? Sa pratique de l’islam. Une pratique qu’il qualifie de « normale », voire « d’orthodoxe », mais qui se rapprocherait du salafisme quiétiste, autrement dit d’un islam rigoriste (ce qui ne signifie pas terroriste, faut-il le préciser). Pas de quoi, donc, susciter en soi un incident médiatique, chaque citoyen étant libre dans ce pays de défendre sa liberté de conscience, y compris religieuse, tant que celle-ci ne trouble pas l’ordre public.

Et c’est bien là que se joue l’intérêt de la séquence. En plateau, interrogé en tant que responsable d’une ONG qui intervient en Syrie — car c’est bien à ce titre que le sujet a été abordé, et non du fait de sa religion — Idriss Sihamedi a donné l’impression de défendre l’Etat islamique. Par des réponses alambiquées, mêlant notamment l’emploi récurrent de la négation, l’intéressé a sciemment entretenu le flou quant à ses positions et aux valeurs défendues par l’association. « Ce n’est pas qu’on ne condamne pas l’Etat islamique (…) S’ils tuent, s’ils brûlent des gens dans des cages etc, je ne vais pas vous dire oui, s’ils tirent sur des femmes enceintes, je ne vais pas vous dire ‘non je ne condamne pas’, donc je pense que oui… ».

En clair pourtant, BarakaCity condamne « toutes les exactions commises par des groupes armés ». Mais ce n’est pas forcément le cas du public de l’association, comme l’a d’ailleurs constaté lui-même Idriss Sihamedi en 2014. Alors que BarakaCity militait pour la libération de l’humanitaire britannique Alan Henning, détenu de longs mois avant d’être décapité par les terroristes de l’Etat islamique, l’ONG avait en effet reçu un torrent de critiques sur sa très populaire page Facebook (650.000 soutiens). Un épisode qu’Idriss Sihamedi avait d’ailleurs raconté à Marianne à l’occasion de la dernière Rencontre annuelle des musulmans de France.

Instrumentalisation de l’intrumentalisé

Est-ce à ce moment là que Sihamedi a pris conscience que des positions trop tranchées risquaient de faire perdre à son association sa précieuse audience, et la générosité des donateurs qui va avec ? Ceux-ci ont en effet renfloué ses caisses à hauteur de 16 millions d’euros en cinq ans. L’intéressé ne cesse en tous cas désormais d’entretenir une posture controversée qui finit, quoi qu’il en dise, par faire les affaires de BarakaCity.

En témoigne notamment ce message posté par l’ONG sur Facebook quelques heures à peine après la diffusion de l’émission, dimanche midi : « Nous recevons beaucoup d’emails de soutiens, de demande de bénévolat, de demande de virements permanents pour nos actions, et de nouvelles inscriptions. Merci à vous !«   Se posant en victime d’un côté, Idriss Sihamedi revendique donc de l’autre avoir gagné contre « ces journalistes, qui pour du buzz, tombent dans l’inconscience, l’imprudence, et l’irrespect ».

Alors en quelques heures je suis:responsable de l’islamophobie en France,comptable des actes de l’EI et un manipulateur.
j’ai dépassé Dieudo

— Sihamedi Idriss م (@IdrissSihamedi) 25 Janvier 2016

Se justifier C quelque part,s’accuser.
Aucun musulman ne doit tomber dans la justification et la condamnation de ce qu’ils n’ont pas fait

— Sihamedi Idriss م (@IdrissSihamedi) 24 Janvier 2016

Nous recevons beaucoup d’emails de soutiens, de demande de bénévolat, de dons pour nos actions, et de nouvelles inscriptions. Merci à vous !

— BarakaCity (@Barakacity) 24 Janvier 2016

Reste une question : était-ce, comme il l’a affirmé sur les réseaux sociaux après l’émission, si « imprudent » de lui demander de clarifier ses positions ? L’argument, longuement développé sur Facebook dès dimanche après-midi, est le suivant : impossible pour Idriss Sihamedi de prendre position sur l’Etat islamique sans mettre en danger ses missions sur le terrain. La neutralité est en effet un principe salvateur des ONG en terrain difficile. Sauf qu’en l’occurrence, de neutralité il n’est pas question : sur Twitter comme sur Facebook, Idriss Sihamedi partage volontiers son opinion politique sur les conflits au Moyen Orient, à Gaza ou… en Syrie ! Laquelle serait devenue, selon ses propres termes, « un plat bien garni où chaque puissant a pu se servir ». « Je me demande, écrit-il le 30 octobre dernier sur Facebook au sujet des bombardements de la coalition, jusqu’à quand durera ce silence qui laissera ces monarques frapper impunément les terres… » Une opinion qui, si elle est libre, paraît bien éloignée de la distance effectivement adoptée par la plupart des responsables d’ONG sur les conflits en cours.

Où est donc l’instrumentalisation dont Idriss Sihamedi se dit victime, si ce n’est celle qu’il fait lui-même de la situation ? Outre les billets sur Facebook et les nombreux tweets, l’habile président de BarakaCity prépare d’ores et déjà une vidéo censée répondre à ses détracteurs, alimentant ainsi le « buzz » dont il dit être victime. Une stratégie de com’ qui paie peut-être mais qui ne fera pas libérer Moussa Ibn Yacoub, le membre de l’association incarcéré au Bangladeh pour « activités suspectes » fin décembre. Et ce, alors qu’il apportait son aide aux Rohingya, une minorité musulmane persécutée en Asie du sud-est.

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