Najat Vallaud-Belkacem a confirmé qu’une partie des classes bilangues seraient maintenues. Mais les professeurs d’allemand s’inquiètent de leur très inégale répartition sur le territoire.
Faudra-t-il déménager à Paris pour pouvoir apprendre l’allemand dans de bonnes conditions ? Une question curieuse, mais que l’on est en droit de se poser après les dernières annonces de Najat Vallaud-Belkacem. La ministre de l’Education nationale a confirmé vendredi 22 janvier qu’une partie des classes bilangues, qui permettent à des collégiens d’apprendre deux langues vivantes dès la sixième, seraient maintenues. De quoi rassurer les professeurs d’allemand, inquiets pour l’avenir de leur enseignement ? Pas vraiment… Car en réalité, le choix de maintenir ou non des classes bilangues est laissé à la discrétion des recteurs. Résultat : des inégalités flagrantes dans leur répartition, selon que l’on se trouve dans telle ou telle académie.
Sur 4.800 collèges qui proposent des classes bilangues, 3.000 continueront à le faire, selon le cabinet de Najat Vallaud-Belkacem. Soit une suppression d’environ un tiers des collèges avec bilangues. Mais d’après les remontées de terrain – encore partielles – compilées par l’Association pour le développement de l’enseignement de l’allemand en France (ADEAF), la saignée sera beaucoup plus forte dans certaines académies que dans d’autres : -78% à Grenoble et à Poitiers, -77% à Rouen, -70% à Lyon, -62% à Reims. Le summum est atteint à Caen, où 95% des bilangues seraient supprimées. En revanche, Montpellier (-9,7%), Clermont (-15%) ou Nantes (-22%) sont bien mieux loties. Et à Paris, la totalité des classes bilangues sont maintenues !
Ces disparités territoriales contrastent avec l’exigence d’égalité prônée par la ministre.
Des disparités territoriales qui contrastent avec l’exigence d’une plus grande égalité prônée par la ministre pour motiver sa réforme du collège. « Je me réjouis pour les élèves parisiens, mais que dire aux autres ? », déplore la présidente de l’ADEAF, Thérèse Clerc, interrogée par Marianne. « Il ne peut pas y avoir de telles disparités en matière d’enseignement, a fortiori lorsqu’il s’agit des langues. » Au cabinet de Najat Vallaud-Belkacem, on explique ces différences par la marge de manœuvre laissée aux recteurs, chargés de dessiner la « carte des langues » dans leurs académies respectives. « L’Alsace compte beaucoup d’établissements où l’on enseigne l’allemand dès le primaire, mais un territoire comme la Normandie sera plus tourné vers la Grande-Bretagne, de la même manière que l’Aquitaine sera plus tournée vers l’Espagne », soutient un conseiller.
Un énième rebondissement dans une polémique qui dure depuis le printemps dernier, lorsque Najat Vallaud-Belkacem a présenté sa réforme du collège. Au nom du renforcement de l’enseignement des langues, celui-ci prévoit alors de faire commencer une seconde langue vivante à tous les collégiens dès la cinquième (et non plus la quatrième). En revanche, c’en est fini des classes bilangues dès la sixième, jugées trop élitistes. Chez les germanistes, c’est le tollé. Car les sections anglais-allemand sont un bon moyen d’attirer dès la classe de sixième bon nombre d’élèves vers la langue de Goethe, en perte de vitesse en France. Même l’ancien premier ministre Jean-Marc Ayrault, prof d’allemand de son métier, envoie une lettre inquiète à Najat Vallaud-Belkacem. L’affaire a aussi des répercussions diplomatiques : l’ambassadrice d’Allemagne en France craint « que l’allemand ne soit relégué au même rang que la culture des orchidées »…
Alors la ministre trouve une parade. Un arrêté publié en mai précise que les élèves qui ont entamé une langue étrangère autre que l’allemand en primaire pourront en poursuivre l’apprentissage en sixième. Ce que le ministère appelle, dans son délicieux jargon, des « dispositifs bilangues de continuité ». Une décision qui permet de facto de sauver une partie des classes bilangues, et de faire mentir ceux qui s’indignent de leur disparition.
L’intersyndicale contre la réforme du collège appelle à la grève mardi prochain.
Pour parachever la contre-attaque, Najat Vallaud-Belkacem insiste ce vendredi sur le renforcement de l’enseignement de l’allemand à l’école primaire. La langue sera enseignée dans 1.000 établissements supplémentaires à la rentrée, soit 3.800 au total, assure-t-elle. Histoire de faire bonne figure, la ministre a choisi le 22 janvier, anniversaire du traité de l’Elysée signé en 1963 par le général de Gaulle et son homologue allemand Konrad Adenauer, pour faire ses annonces. Elle a aussi pris soin d’inviter le maire de Hambourg à ses côtés pour visiter une école parisienne dans la foulée.
Las : l’opération de communication n’a pas convaincu ses contradicteurs. « Il y a une grande distorsion entre le discours volontariste et ce que l’on observe sur le terrain », regrette Thérèse Clerc, de l’ADEAF. L’association rejoint le nouvel appel à la grève lancé par l’intersyndicale contre la réforme du collège pour la journée de mardi prochain. Près d’un an après l’annonce de son texte, et malgré ses tentatives pour ménager la chèvre et le chou, Najat Vallaud-Belkacem n’en a toujours pas fini avec une contestation qui dure.
Powered by WPeMatico
This Post Has 0 Comments