Affaire Cahuzac : deux comptes en Suisse, un procès et beaucoup de questions

D’où venaient les fonds ? Qu’ont-ils alimenté ? Qui savait ? Autant de questions encore non résolues, moins d’un mois avant le procès de l’ancien ministre et évadé fiscal, Jérôme Cahuzac.

Malgré les relevés bancaires, un enregistrement audio et les propres aveux de l’intéressé, il reste encore beaucoup de questions dans l’affaire Cahuzac, du nom de l’ex-ministre délégué au Budget, fraudeur et évadé fiscal qui avait, juré, promis, craché, « les yeux dans les yeux », ne pas détenir de compte(s) en Suisse, en dépit des premières accusations, fin 2012.

Révélée à l’époque par Mediapart, l’affaire avait conduit le ministre à quitter ses fonctions après plusieurs mois de controverse et de mensonges, juste à temps cependant avant sa première mise en examen, en avril 2013. Presque trois ans plus tard, alors que s’ouvre dans moins d’un mois, le 8 février prochain, le procès de Jérôme Cahuzac, pour (entre autres) fraude fiscale, et blanchiment de fraude fiscale, les zones d’ombre demeurent donc.

Quant à l’origine des fonds tout d’abord. Si les juges constatent bien les divers mouvements effectués sur le compte suisse de Cahuzac ouvert en 1992, puis transféré à Singapour en 2009, ils sont incapables d’identifier, dans la plupart des cas, leur provenance, en raison, écrivent-ils dans l’ordonnance de renvoi, publié dans l’intégralité ce lundi 18 janvier, par Mediapart, de « l’ancienneté des faits », de « l’absence de témoins » ou encore de « documents… »

 

Des labos fantômes

Une hypothèse domine néanmoins. Contrairement à ce qu’a affirmé l’ancien ministre de François Hollande, l’argent proviendrait de prestations facturées à plusieurs laboratoires pharmaceutiques. En échange de quelques centaines de milliers de francs, Jérôme Cahuzac a en effet accepté de faire du lobbying en leur faveur, auprès de décideurs politiques, auxquels il avait un accès privilégié depuis son passage au cabinet de Claude Evin (nommé ministre de la Santé à la fin des année 80n ndlr).

Cahuzac a « confirmé avoir reçu des rémunérations occultes liées non pas à son activité de médecin – les montants sont beaucoup trop élevés – mais à son activité de conseil auprès des laboratoires », soulignent les juges. Seulement, l’intéressé n’a curieusement pas su dire lesquels. « Cahuzac ne donnera qu’un nom durant l’enquête, celui du laboratoire Pfizer, pour lequel il s’est entremis au sujet du médicament Amlor (contre l’hypertension) », écrit de fait Mediapart. Entre le 23 décembre 1992 et le 13 mai 1993, près de trois millions de francs seront pourtant crédités en huit opérations distinctes sur le compte suisse de Cahuzac.

Trois millions de francs, autant dire une pacotille dont peine à se souvenir l’ancien ministre sauf lorsqu’il s’agit de s’offrir, par exemple, de (très) belles vacances. Jérôme Cahuzac se souvient alors soudainement de l’argent qu’il détient en Suisse et qui lui servira à financier son voyage à l’Ile Maurice, en 2004, pour une valeur de 18.000 euros, ou encore son séjour, plus modeste, en 2007, aux Seychelles, (6000 euros)…

 

Caisse noire rocardienne

Des millions pour de simples dépenses courantes ? L’écrivain Jean-Luc Barré, qui consacre cet hiver un livre portrait à Jérôme Cahuzac, intitulé Dissimulations, ne veut pas y croire. L’argent servait en réalité, selon lui, une cause plus noble. Bien qu’il ne puisse le prouver, les liasses de billets auraient servi, selon lui, de caisse noire aux ambitions présidentielles de l’ancien Premier ministre Michel Rocard. Ce dernier finira par ne pas se présenter.

Les juges quant à eux s’en tiennent au montage financier « sophistiqué » sciemment mis en place par Cahuzac afin de dissimuler ses avoirs. Comme dans un polar, l’ex-ministre donnait ainsi un nom de code – en l’occurrence un terme employé dans les parties de golf – pour s’identifier lors des divers échanges téléphoniques avec son gestionnaire de fortune – la banque Reyl. Celle-ci mettait alors à disposition de son illustre client les sommes demandées, parfois dans des mallettes, livrées, à l’ancienne, en plein Paris, par coursiers.

 

Hollande

Se pose par conséquent la question essentielle des responsabilités voire des complicités. Devant les magistrats, Cahuzac et la banque Reyl se sont renvoyés la balle, en ce qui concerne notamment le transfert des fonds à Singapour. D’un point de vue politique, François Hollande et son gouvernement pouvait-il ignorer ces agissements ? D’autant qu’un enregistrement audio, faisant état de l’existence de ce compte suisse, circulait déjà depuis au moins en 2006, date à laquelle la bande a été envoyée au juge Bruguière qui l’a étrangement « détruite ».

« Je n’aurais pas menti comme je l’ai fait si je ne m’étais pas senti couvert », affirme pour sa part Jérôme Cahuzac dans Dissimulations, selon Mediapart qui a pu lire l’ouvrage (pas encore sorti en librairie). « Seulement voilà, poursuit le pure player, impossible d’en savoir plus. Le livre, qui sous-entend plus qu’il n’informe, ne dit pas qui, précisément, a couvert les mensonges du ministre. Tout juste est-il évoqué « le plus haut niveau de l’État » ».

Dans Merci pour ce moment, Valérie Trierweiler évoquait quant à elle un « rendez-vous secret » entre le Président et Jérôme Cahuzac, au domicile que partageait le couple dans le 15e arrondissement de Paris, quelques jours à peine après les premières révélations de Mediapart, en décembre 2012. Aux intimes, Hollande confiera s’être fait « berné ». Officiellement, on retiendra cette belle déclaration, prononcée dans la foulée de la démission de son ministre : « Je remercie Jérôme Cahuzac pour l’action qu’il a conduite depuis mai 2012 comme ministre du Budget pour le redressement des comptes de la France. Il l’a fait avec talent et compétence. Je salue la décision qu’il a prise de remettre sa démission de membre du Gouvernement pour mieux défendre son honneur. »

Cahuzac aura jusqu’au 18 février pour en répondre devant la justice. 

 

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