La participation du Premier ministre à l’émission de Laurent Ruquier programmée ce samedi soir sur France 2 a provoqué quelques réactions effarouchées. Dans lesquelles on perçoit une légère hypocrisie, voire du mépris pour le débat grand public.
Manuel Valls sera l’invité samedi soir de l’émission « On n’est pas couché » sur France 2. La nouvelle, tombée mercredi, aurait dû rester cantonnée à la rubrique programme TV. Mais elle a vite inondé les colonnes politiques de médias éberlués, sur le thème : comment donc le chef du gouvernement ose-t-il aller poser son fondement ministériel dans le fauteuil de Laurent Ruquier ? Et surtout, pourquoi ? Eh bien c’est tout simple : pour répondre à 1h30 de questions (la séquence interview a été rallongée, invité exceptionnel oblige) dans une émission de grande audience. La belle affaire.
Si les réactions ont été aussi nombreuses, c’est bien sûr parce que c’est la première fois qu’un Premier ministre s’invite à « ONPC« . Manuel Valls, lui, y est déjà allé huit fois, entre 2007 et 2013. Mais jamais encore depuis qu’il a été nommé à Matignon. Pourtant, si l’on met de côté ce détail, le fait que le plateau de Laurent Ruquier soit devenu un rendez-vous incontournable de (presque) tous nos politiques n’est pas une surprise. En 2012 encore, les principaux candidats à la présidentielle ne s’y sont-ils pas bousculés, sans que personne ne s’en émeuve ?
ONPC rassemble 3 millions de téléspectateurs pour l’interview politique
Oui mais là, Manuel Valls est Premier ministre, nous rétorquent certains élus et observateurs, frappés soudains d’un excès de pudeur fillonesque. Son prédécesseur François Fillon figure en effet parmi le tout petit cercle de ceux qui résistent encore à la tentation du studio Gabriel, clamant haut et fort que s’il n’en reste qu’un, il sera celui-là ! Dût-il lui en coûter l’impact potentiel que lui offre un format regardé par 1,7 million de téléspectateurs, avec un pic à 3 millions au moment de l’interview politique. Et si François Fillon s’y refuse (alors qu’il se rend sans scrupules au « Grand Journal » et au « Supplément » de Canal +), c’est parce qu' »ONPC » n’offre selon lui « qu’une forme de débat qui n’apporte rien au débat public ». Sic.
Mais que reproche-t-on exactement à l’émission phare du samedi soir ? En premier lieu, d’incarner l' »infotainment », comme le soulignent Le Monde ou Les Echos : s’y rendre, pour un haut responsable, serait donc un « pari » pour le premier, « osé » pour le second. Mais qu’y a-t-il d’abêtissant, ou de hardi, à aller répondre aux questions d’un animateur, certes populaire mais notoirement féru d’actualité (Laurent Ruquier), d’une journaliste justement sacrée meilleure intervieweuse de l’année 2015 (Léa Salamé) et d’un intellectuel (Yann Moix) dont on peut contester les raisonnements (quand on les comprend) mais auquel on ne peut guère faire le reproche d’être le Cyril Hanouna du service public.
Le défi : encaisser 1h30 d’interview sans déraper
Le reproche paraît d’autant plus hypocrite que même la très convenable (voire convenue) émission politique « DPDA » sur France 2, s’était essayée en septembre dernier à une séquence divertissante, le « mean tweet », lorsqu’elle avait invité… Manuel Valls ! La tentative s’était soldée par un bide, le Premier ministre s’étant refusé à l’exercice en arguant justement « que la politique, c’est pas du spectacle ». Le plus difficile, chez Ruquier, est finalement d’encaisser le flot de questions, posées sur un rythme plus soutenu et un ton plus délié qu’à « DPDA ». Et ce, sans déraper, comme l’a malencontreusement fait Nadine Morano avec sa fameuse « race blanche » en octobre dernier, sonnant le début de l’hallali contre « ONPC ».
Les dérapages, clashs et autres buzz, voilà justement le second reproche fait à l’émission. Passons sur l’hypocrisie qu’il y a, pour de nombreux médias, à mépriser le format tout en en relevant soigneusement chaque dimanche matin, fièvre du clic oblige, les moindres perles sur leurs sites Internet. En l’occurrence, selon les indiscrétions qui ont filtré du tournage, jeudi soir, de l’émission programmée samedi avec Manuel Valls, clash il y aura. Enfin clash… « Il y a eu un moment tendu à la toute fin de l’interview mais à la vérité, c’est assez anecdotique« , relativisent pour Marianne des personnes présentes lors de l’enregistrement. Chacun jugera sur pièce samedi soir mais on veut bien les croire a priori, si l’on garde à l’esprit que ce choc des titans s’est produit entre Manuel Valls, donc, et Jérémy Ferrari, humoriste inoffensif.
Eh bien voilà, nous y sommes ! Un Premier ministre s’adonnant à la controverse avec un déconneur public, c’est de l’infotainment ! Ou de la vie réelle… Car c’est justement tout l’intérêt de l’émission de Laurent Ruquier : sortir, un peu, les politiques du confort (qui vire parfois au conformisme) des habituelles émissions politiques, dont les téléspectateurs du samedi soir peuvent être éloignés. Sans aller non plus jusqu’à tomber dans des scènes absurdes à l’américaine, quand le président Obama slame par exemple sa politique au « Late Night Show ». Le type de séquences que, soit dit en passant, la presse française trouve toujours si « fun » et qui rendent Obama si « cool ». Bref, en allant à « ONPC », Valls fait le « pari » de s’expliquer sur sa politique aux cotés d’invités qui ne sont pas de son monde, devant des millions de Français qui ne sont pas du monde des journalistes. Une forme de débat qui n’apporte rien au débat public ?
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