Emmanuel Maurel : "Face à la Chine, l'Europe ne doit pas être l'idiot du village planétaire"

La Chine, membre depuis 2001 de l’OMC, pourrait accéder d’ici fin 2016 au statut d’économie de marché. Un sceau qui empêcherait à tout pays membre de l’OMC de lui opposer des mesures anti-dumping. La commission européenne ouvre cet épineux dossier ce mercredi. L’eurodéputé socialiste Emmanuel Maurel, qui s’inquiète des possibles retombées sur l’industrie et l’emploi européen, regrette que l’Europe se comporte en « idiot du village planétaire ». Et regarde de l’autre côté de l’Atlantique, les Américains ayant déjà fait savoir le refus.

Marianne : La Commission européenne et les Etats-Unis se penchent à partir d’aujourd’hui sur la possibilité d’attribuer dans le cadre de l’OMC le statut d’économie de marché à la Chine. Qu’elles seraient les conséquences de cette décision pour l’économie européenne ?

Emmanuel Maurel : A partir du moment où la Chine acquiert ce statut, tous les Etats appartenant à l’OMC ne pourront plus utiliser un certain nombre d’outils de défense commerciale. Notamment des mesures anti-dumping, social et commercial. Depuis son entrée à l’OMC en 2001, la Chine était considérée comme une « économie non marchande », avec un délai de quinze ans qui lui était donné pour faire évoluer ses régles intérieures et obtenir ce nouveau statut. 

Aujourd’hui, un certain nombre de fonctionnaires et d’idéologues de la Commission européenne considèrent que, de fait, il y a une automaticité de l’obtention de ce statut. Tout l’enjeu est justement de leur faire comprendre que cette automaticité n’existe pas sur le plan juridique. Pour une raison simple : pour être considérée comme une « économie de marché », il faudrait que la Chine remplisse les cinq critères qui la définissent. Objectivement, elle n’en remplit qu’un seul. Que ce soit à cause des subventions d’Etat aux entreprises chinoises, à l’absence de concurrence ou aux obligations des entreprises étrangères de s’associer avec des entreprises chinoises pour s’implanter en Chine. Donc, l’argument juridique ne tient absolument pas. 

Cette question est d’abord une question politique. Est-ce que l’on veut que l’Europe soit l’idiot du village planétaire en étant la seule à respecter les règles ? Et puis quelle naïvité des tenants de ce changement de statut qui n’hésitent pas à dire que « ça encouragerait la Chine à se réformer ». Qui peut y croire ?

 

Marianne : Quelles seraient les retombées pour l’emploi en Europe ?

Il y a très peu d’études et certaines sont contestées. Mais d’après les plus fiables, l’impact dans certains secteurs industriels, comme celui de l’acier ou la céramique, pourrait être considérable. On estime qu’au niveau européen, c’est entre 1,5 à 3 millions d’emplois qui sont menacés. Le coup serait particulièrement rude.

 

Marianne : Qui sont les pays qui poussent à cette évolution de statut ?

Aucun pays européen ne pousse vraiment dans ce sens. Certains sont persuadés qu’il n’y a pas d’autres choix. L’Allemagne, elle, pense que sur certains secteurs, où elle a une forme de monopole, elle aurait un coup à jouer. Et puis il y a la Commission européenne qui donne l’impression de n’avoir jamais réfléchi à la question et qui se retranche derrière des arguments qui se veulent juridiques.

 

Marianne : Vous dénonciez dans une tribune cosignée avec Edouard Martin le pari dangereux de la Commission. La levée des mesures anti-dumping contre la Chine contre des possibles investissements en Europe de cette dernière…

C’est le grand non-dit de ce débat. Certaines personnes à la Commission pensent que la Chine va déverser sur l’Europe des millions et des millions. Jean-Claude Juncker, qui veut lancer un grand plan d’investissements pour les années à venir, ce qui est en soit une bonne chose, a besoin de financement. De son côté, la Chine, qui a vu une carte à jouer, laisse clairement entendre que l’obtention de ce statut d’économie de marché avec tous les avantages que ça comporte, débloquerait une vague d’investissements. Il faut bien se rendre compte que cette hypothèse serait terrible pour les industriels européens. De nombreux chefs d’entreprise que j’ai pu rencontrer avec mon collègue Edouard Martin, ont tous clairement partagé leur inquiétude. Même le Medef semble être inquiet… Il faut vraiment que l’Europe se dote d’une véritable stratégie commerciale pour protéger ses salariés. D’ailleurs, Les Etats-Unis, le Japon, le Canada ou l’Inde, sont tous opposés à cette idée.

 

Marianne : Il est amusant de noter que les Etats-Unis, souvent décrits comme le chantre de l’ultra-libéralisme, n’hésitent pas à se poser en véritables keynésiens…

Pas que, protectionnistes même. Quand on regarde en terme de marché, alors que l’Union européenne a environ 80% des siens ouvert au « libre-échange », les Etats-Unis n’en ont que 40%. Ils ont par exemple le Buy American Act qui oblige pour le secteur public, et même pour certains Américains, d’acheter des produits made in USA . Contrairement à ce qu’on dit, les gouvernements américains sont d’un pragmatisme absolu. Libéraux ou protectionistes quand cela va dans leurs intêréts. 

 

Marianne : La Commission européenne a-t-elle produit des études d’impact ou part-elle les yeux fermés ?

C’est ce que l’on réclame, il faut absolument en faire pour connaître les conséquences économiques et sociales de cette hypothèse. Et que l’Europe se mette enfin à avoir une réflexion sur ses instruments de défense commerciale. Ce débat va bien au-delà du clivage traditionnel gauche/droite. Au niveau du Parlement européen, la majorité des parlementaires y sont opposés. Par contre, je suis bien plus inquiet en ce qui concerne la Commission européenne.

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