Un séminaire de travail est prévu fin janvier dans un parti autrefois peu enclin à débattre en interne. La question du changement de nom du FN y sera notamment posée. Mais cette seule évolution peut-elle vraiment changer quelque chose ?
Le FN n’a pas su s’élever au-dessus de la digue construite par ses adversaires aux dernières régionales. Marine Le Pen et sa nièce Marion Maréchal-Le Pen ont notamment subi des revers cuisants dans le Nord et en PACA, provoquant une déception chez les caciques du FN à la hauteur de l’espoir qu’ils mettaient dans cette élection : “Ce qui les a touchés particulièrement, explique Jean-Yves Camus, politologue spécialiste de l’extrême-droite, interrogé par Marianne, c’est l’ampleur des victoires de leurs rivaux. Pour eux, il y a encore beaucoup de chemin à faire avant de remporter un deuxième tour. Ça a sauté aux yeux du FN qu’ils ne pouvaient pas gagner en 2017. »
Conséquence, on s’interroge au sein du parti sur la stratégie à adopter à plus long terme. Stratégie sur le fond et sur la forme : comment faire encore évoluer l’image du FN dans l’opinion ? Comment passer le cap des alliances ? “Le plafond de verre, on l’atteint si on continue d’y aller seul, se désole un des membres de l’équipe de campagne de Marion-Maréchal Le Pen, partisane d’une stratégie “droitière“. La dynamique et l’image sont moisies après le soir du deuxième tour. On n’est pas encore la droite. On avait l’occasion de les tuer et c’est raté !“
« Les Français gardent une image répulsive de Marine Le Pen. »
Sur le terrain, certains ne désespèrent pas de convaincre des élus LR de franchir le Rubicon, comme l’a fait Franck Allisio en devenant porte-parole de Marion Le Pen par exemple, mais ça coince encore. “On n’a pas pu mobiliser 100 militants pour une action pendant la campagne“, continue cette source. “Il faut que Marine Le Pen bouge aussi. Après une torgnole en 2017, ça va être très compliqué de remobiliser et de refaire croire à la victoire derrière elle.“
Alors, comment aller plus loin ? Encore une fois, l’idée du changement de nom apparaît comme une solution possible et sera débattue, entre autres choses, lors d’un séminaire organisé fin janvier au FN. Même si la manœuvre paraît cosmétique, risquée et… potentiellement source de conflits internes. “Cette idée du changement de nom traîne depuis que Marine Le Pen a pris la tête du FN, c’est-à-dire en 2011“, souligne Jean-Yves Camus. “Mais ce n’est pas le changement de nom qui va tout changer. Aujourd’hui, les Français continuent de penser que le FN n’est pas un parti de gouvernement. Ils gardent une image répulsive de Marine Le Pen et, surtout, ce changement ne fera certainement pas oublier l’histoire et le passé du FN.“
“Le changement de nom n’est pas une nécessité absolue pour le FN“, argumente de son côté Joël Gombin, politiste, membre de l’observatoire des radicalités de la Fondation Jean Jaurès. “Le parti est dans une ambiguïté entre son noyau dur et sa périphérie, comme ses partis alliés, le SIEL ou le RBM, qui sont déjà des moyens de dépasser l’étiquette FN. Sur le terrain, les candidats font souvent campagne sur leur nom ou celui de Le Pen. Ce qui est sûr, c’est que si le FN changeait de nom, il n’y aurait pas de renversement d’alliances majeur. Cela n’aurait pas beaucoup d’impact.“
L’idée, en tout cas, n’est plus taboue. Même si Marine Le Pen se fait prudente : “Le changement de nom doit correspondre à une réalité politique (…) Pas question de faire comme les Républicains“, souligne-t-elle dans Le Parisien, mi-décembre. Robert Ménard, allié au FN mais qui plaide pour une union plus large, justement pour se défaire de cet héritage, plaide depuis longtemps pour cette mesure “symbolique“ :
Changer le nom du @FN_officiel serait un symbole très fort d’ouverture du parti.
— Robert Ménard (@RobertMenardFR) 17 Décembre 2015
“C’est important mais pas capital“, réagit Florian Philippot. “Il faut que le changement, s’il a lieu, ajoute quelque chose à notre propos politique. S’il doit permettre à de nouveaux électeurs de nous rejoindre en dépassant une sorte de blocage politique, alors il faudrait le faire, sinon cela n’aurait pas de sens. Nous devons mobiliser pour le second tour, voilà notre objectif pour gagner.“
Derrière le changement de nom, c’est en fait la poursuite de la stratégie de dédiabolisation qui est en jeu. “Celle-ci ne fonctionne que si on continue d’en parler“, insiste Joël Gombin. “Ce qui est intéressant, c’est le processus, pas la finalité. » “En imaginant de changer de nom, on a l’impression que le FN s’adresse à ceux-là même qu’il dénonce : les médias“, renchérit Jean-Yves Camus.
Efficace ou pas, le changement de nom rencontre de toutes façons plusieurs obstacles. Jean-Marie Le Pen, d’abord, qui s’est toujours affiché hostile à cette transformation sémantique. “Moi vivant, cela ne se fera jamais !“, avait-il promis. Ensuite, force est de reconnaître que c’est aussi en partie sur sa “marque“ que le FN a rassemblé près 6,8 millions de voix aux régionales et 358 élus. Pourquoi se débarasser d’un label gagnant ? En modifiant son identité, le FN risque même d’éloigner une partie des fidèles, de la base, reliée émotionnellement à une histoire à laquelle est forcément rattaché Jean-Marie Le Pen, qui apparaît pour beaucoup de militants comme un gardien du temple.
Pour le secrétaire général du FN Nicolas Bay, qui a échoué en Normandie, “les conditions ne sont absolument pas réunies aujourd’hui. Un changement de nom ne peut se faire qu’à l’occasion d’un changement de dimension du parti, de son poids électoral“. Si ce poids électoral du FN a bien évolué, le paysage politique, lui, ne s’en trouve pas encore recomposé, car nos institutions favorisent un fonctionnement binaire, avec deux grandes forces, LR et PS, qui dominent l’ensemble, chacune avec des alliés. Les alliances, c’est justement le talon d’Achille du Front national.
“Personne, ni au FN, ni à LR, ne souhaite engager une alliance entre les deux partis. Le FN est dans une impasse, et n’a pas d’autre choix que d’espérer une dose de proportionnelle pour obtenir une meilleure représentation nationale“, estime Jean-Yves Camus. “Ensuite, seul l’émiettement et, dans un deuxième temps, l’éventuelle explosion de la droite, peut donner au FN l’espoir de gagner la présidentielle.“ Si l’emballage se transforme mais que le fond reste le même, pourquoi de nouveaux électeurs viendraient gonfler les rangs du FN ? Finalement, Marine Le Pen a surtout en tête cet espoir secret : que la gauche ou la droite s’effondrent, pour les remplacer.
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