Ce vote FN qui prospère sur le malaise des fonctionnaires

Une récente étude du Cevipof, le Centre de recherches politiques de Sciences-Po, révèle la percée du vote FN chez les fonctionnaires dans les trois fonctions publiques. Une donnée nouvelle en terme de dynamique électorale, la fonction publique étant considérée jusque-là comme une terre de résistance aux idées du FN. Promesses non tenues de la gauche gouvernementale, contestation sociale et manque de clarté dans la défense de la laïcité seraient autant de causes de cette nouvelle implantation.

Depuis 2012, la même conclusion s’impose un peu plus à chaque élection : le FN s’implante. Les dernières régionales ont même mis au jour une progression en nombre de voix par rapport à la dernière présidentielle. Jusque-là, on pensait que ce vote prospérait principalement dans le secteur privé en réaction à la crise économique et au chômage endémique. Mais une récente étude du Centre de recherches politiques de Science Po (Cevipof), vient rebattre les cartes.

Selon les conclusions de son auteur, Luc Rouban, les idées portées par Marine Le Pen gagneraient aussi les fonctionnaires, une catégorie de votants considérée jusque-là comme imperméable au tentation du vote extrême. « [Le vote FN] se mesure aussi par un changement qualitatif qui le voit devenir l’un des trois partis préférés des fonctionnaires, un milieu qui lui a toujours été très hostile, du fait d’un ancrage politique et historique à gauche comme d’une sociologie particulière liée à la forte présence de diplômés et de surdiplômés (…) On peut parler d’un tournant historique mettant en évidence la crise profonde que traverse la fonction publique », explique ainsi, en introduction de l’étude, le directeur de recherche au CNRS. Une pénétration des idées de Marine Le Pen qui trouverait un écho favorable principalement chez les fonctionnaires de catégorie C, les agents modestes en somme, qui trahit « un décalage croissant entre les agents de terrain au contact avec les usagers et les cadres devant assurer la gestion des services », peut-on ainsi lire. Les fonctionnaires de catégorie A et B résistent mieux.

Première leçon, le vote FN chez les salariés du public rattrape celui des salariés du privé. En se basant sur les intentions de vote moyennes pour les listes FN aux régionales de 2015, les agents de catégorie C de la fonction publique d’Etat (FPE) et de la fonction publique hospitalière (FPH) dépassent même les salariés du privé. 33,6% pour ceux de la FPE et 38,9% pour la FPH contre 29% pour les salariés du privé.

Cette percée est encore plus flagrante lorsque l’on compare les résultats de la présidentielle de 2012 et les intentions de vote pour les régionales de 2015. Dans la fonction publique d’Etat, ils étaient 16% à se saisir d’un bulletin FN en 2012 contre 22,7% en 2015. La progression est encore plus spectaculaire chez les policiers et militaires, 30% en 2012 contre 54,5% en 2015. Chez les professeurs, le vote Marine Le Pen augmente aussi passant de 5% à 9,2% pour les enseignants du second degré par exemple.

Si l’auteur de l’étude pointe un effondrement du vote Front de gauche et extrême-gauche dans la fonction publique, c’est surtout pour la droite que le bât blesse. « Les nouveaux électeurs viennent pour l’essentiel de la droite : dans la FPE, 19% des agents électeurs FN ont voté Nicolas Sarkozy en 2012. Dans la FPT, ils sont 25%, dans la FPH, 18%. Et cela sans compter les anciens électeurs de François Bayrou ou de Nicolas Dupont-Aignan. Les anciens électeurs de François Hollande sont en moyenne 10%. L’analyse des transferts depuis le second tour de la présidentielle de 2012 est encore plus claire : de tous les fonctionnaires choisissant le FN en 2015, 58% avaient voté pour Nicolas Sarkozy et 25% s’étaient abstenus ou avaient voté blanc et nul. Le jeu des abstentions recouvre la porosité des frontières électorales entre le FN et la droite représentée par les listes LR-UDI », analyse ainsi Luc Rouban. Un sacré démenti de la stratégie de Patrick Buisson. Plus la droite durcit son discours plus le FN en profite.

Mais la gauche n’est pas exempte de tout reproche, loin de là. Si le chercheur du Cevipof explique que l’abandon du discours anti-fonctionnaire par Marine Le Pen – longtemps porté au sein d’un FN très marqué jusqu’à récemment par l’idéologie poujadiste – porte ses fruits, les causes de cette dynamique électorale sont à chercher ailleurs. « Le gel du point d’indice et la réduction régulière des effectifs, notamment dans la FPE, ont créé des tensions fortes à l’égard d’un gouvernement de gauche dont les fonctionnaires attendaient beaucoup après 2012 alors même que la crise économique puis les attentats terroristes ont démontré la faiblesse des moyens d’action de l’État. Par ailleurs, dans une grande mesure, la contestation sociale s’investit désormais moins dans l’action syndicale, comme en témoigne le faible taux de participation aux élections professionnelles de décembre 2014, que dans le choix électoral. Enfin, une grande partie des fonctionnaires souffrent du décalage entre les discours sur la République et la laïcité et les pratiques du terrain où les demandes communautaires se multiplient ». Dévalorisation du service public, crise sociale et manque de clarté dans la défense républicaine de la laïcité, semblent donc être les trois mamelles du vote des fonctionnaires modestes pour le FN. 

Un signal d’alarme que la gauche au pouvoir devrait prendre particulièrement au sérieux d’ici à 2017, au risque de voir l’un de ses derniers bastions lui filer définitivement entre les doigts.

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